La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) se trouve aujourd’hui dans une zone de turbulence, après la tenue de l’élection présidentielle. Il existe, depuis hier jeudi, un nouveau bureau présidé par Me Issiaka Sanogo (il fut président de la Commission des Affaires juridiques, administratives et du contentieux à la Ceni) suite à la destitution du désormais ancien président Amadou Bah et son Questeur Dr Béffon Cissé, pour indiscipline budgétaire caractérisée et violation manifeste du règlement intérieur de la Ceni et du manuel de procédures. Et le nouveau questeur s’appelle désormais Evariste Fousseyni Camara. Ce nouveau bureau a été élu à l’issue d’une Assemblée plénière. Déjà, une Commission interne d’audit a été mise en place pour fouiller dans cette gestion opaque au niveau de la Ceni. En tout cas, les différents démembrements de la Ceni sont aujourd’hui à près de 4 mois de retard de salaire.
Rien ne va plus au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) depuis quelques semaines. Le torchon brûle entre le président Amadou Bah, son questeur Dr Béffon Cissé et certains commissaires concernant la gestion des ressources financières de la Ceni. Il s’agit bien du budget prévu pour la tenue de l’élection présidentielle dont le 1er tour s’est déroulé le 29 juillet et le 12 août pour le 2ème tour. Ce qui a d’ailleurs vu l’élection d’Ibrahim Boubacar Kéïta pour un nouveau quinquennat.
Pour cette élection présidentielle, le gouvernement, à travers le Ministère de l’Economie et des finances, dirigé par Dr Boubou Cissé, a mis tout en œuvre pour que la Ceni puisse vraiment faire son travail sans aucun problème. C’est ainsi qu’une enveloppe financière de plus de 2 milliards de Fcfa a été mise à sa disposition, qui permettra de régler toutes les dépenses jusqu’au mois de novembre prochain. Malheureusement, la structure est confrontée à un problème de trésorerie. Plusieurs mois sans salaires et indemnités des commissaires, 3 à 4 mois (juillet, août, septembre et bientôt octobre) de retard de salaires pour tous les démembrements de la Ceni. Sans oublier d’autres pratiques de gestion qui ont été dénoncées.
Face à cette situation, les commissaires ont finalement décidé de prendre leur sort en main, d’abord avec la tenue d’une Assemblée plénière pour discuter de cette situation chaotique de la Ceni. A l’issue de cette Assemblée, qui est d’ailleurs souveraine, une Commission Ad-hoc a été constituée afin de caractériser certains manquements et errements et surtout l’indiscipline budgétaire sur la gestion de la Ceni. Dans cette affaire, le président Amadou Bah et son questeur, Béfon Cissé, sont mis en cause.
Cette Commission Ad-hoc est présidée par Me Issiaka Sanogo, représentant du Barreau à la Ceni et président de la Commission chargée des affaires juridiques, administratives et du contentieux de ladite structure. Et depuis hier, il est devenu le nouveau patron de la Ceni.
Dans un entretien à bâtons rompus avec Me Issiaka, il nous a expliqué très clairement cette situation, notamment en retraçant le film des événements. “Suite à une Assemblée plénière, tenue le 3 octobre dernier, une Commission Ad-hoc a été constituée à l’effet de caractériser certains manquements errements et surtout l’indiscipline budgétaire que cette même Assemblée plénière avait déjà constatée. Donc, ils ont demandé à la Commission Ad-hoc de mieux caractériser ces infractions. C’est dans ces conditions que nous avons travaillé. Nous avons fourni notre rapport au président de l’Assemblée plénière, qui se trouve être le 1er vice-président de la Ceni, Dazié Sogoba, en l’absence du président Amadou Bah, qui était en exil médical.
Il faut préciser que le Bureau de la Ceni est différent de l’Assemblée plénière, qui est l’instance souveraine. En d’autres termes, c’est l’instance suprême qui est compétente pour examiner les rapports et prendre une décision finale. C’est pour vous dire que le rôle de la Commission Ad-hoc est de faire une proposition” précisera-t-il, avant de déclarer : “Ce qu’il faut surtout savoir, c’est que notre règlement intérieur ne prévoit pas dans l’attribution de la Commission Ad-hoc d’écouter soit le président ou le questeur mis en cause. Donc, c’est à l’Assemblée générale d’écouter ces personnes avant de prendre la sanction. Nous, la Commission Ad-hoc, déposons notre rapport à l’intention de l’Assemblée pour l’examiner. Et s’il y a l’écoute d’une telle personne, c’est à l’Assemblée de prendre cette décision. Malgré tout, nous avons décidé de les écouter différemment. Il s’agit bien du président Amadou Bah et du questeur Béfon Cissé. Malheureusement, le président n’a pas réagi quand le 1er vice-président lui a notifié notre rapport. Pendant ce temps, nous savions que le président était bel et bien à Bamako et s’est même rendu à Niono. Comme nous ne l’avons pas vu, nous avons donc constaté son absence. Par contre, nous avons écouté le questeur Béffon qui a même produit un document pour se défendre. Le hic est les que les explications fournies par Béffon ne contredisaient en rien l’analyse de la Commission Ad-hoc. Sa nouvelle argumentation ne faisait que renforcer ou confirmer les griefs qui lui sont reprochés. Nous avons alors maintenu la mesure de destitution du président Amadou Bah et du questeur Béffon Cissé. Nous avons dit au 1er vice-président de convoquer une nouvelle Assemblée plénière pour le lundi dernier. Le président Amadou Bah est venu lui-même en personne au Bureau ce jour. Nous avons décidé de le rencontrer dans son bureau afin qu’il puisse convoquer cette Assemblée. Du coup, il nous a rejetés avec l’argument qu’il est malade et qu’il n’est pas disponible. C’était en présence du 1er vice-président en personne, Dazié Sogoba. Pour dire les choses très claires, il nous a renvoyés sous le prétexte qu’il est malade”.
Toujours selon Me Issiaka Sanogo : “Nous avons donc dit à Dazié, comme le président Bah dit qu’il n’est pas opérationnel et comme la Ceni ne peut rester dans le tempo du Président et nous ne souhaitons pas que la Commission Ad-hoc et la Ceni soient prises en otage de cette façon. Donc, il faut convoquer l’Assemblée plénière en tant que 1er vice-président. Lui, dit non, parce qu’il a déjà passé le service au président Bah. Donc, il ne peut pas convoquer l’Assemblée. Voilà pourquoi, moi-même, en tant que président de la Commission juridique et président de la Commission Ad-hoc, j’ai décidé de prendre acte de cette situation et je suis prêt à en tirer les conséquences. C’est après que j’ai saisi de la situation le 2ème vice-président, Me Moctar Mariko. Je lui ai dit de convoquer l’Assemblée plénière. Sur 15 membres, 8 personnes étaient présentes. Elles ont planché sur le rapport de la Commission ad-hoc. Elles ont décidé d’adopter ledit rapport et d’entériner la sanction proposée. Il s’agit du retrait des responsabilités du président de la Ceni et le 1er questeur. Il est ressorti dans le rapport de la Commission Ad-hoc que sur toute l’étendue du territoire, les démembrements de la Ceni sont à 4 mois d’arriérés de salaire”.
Parlant du comportement du 1er questeur, Béffon Cissé, Me Issiaka Sanogo précise : “Dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, le questeur Béffon Cissé, pour se défendre sur un autre plan, sort une correspondance du ministère de l’Economie et des Finances qui précise, par ce virement, que la Ceni aura ainsi reçu toutes les dotations prévues jusqu’au mois de novembre. Pendant que les démembrements de la Ceni ne sont payés ni en juillet ni en août ni septembre ni en octobre”. Ensuite, Me Issiaka Sanogo de rappeler que : “la Ceni est organisée de sorte qu’il y a une Commission régionale dans chaque région. Et une Commission électorale dans chaque cercle tout comme dans chaque commune”.
Le questeur Béffon a aussi expliqué, dira Me Issiaka Sanogo, que “la tension de trésorerie s’explique par le fait qu’il a soldé la facture du fournisseur des véhicules qui nous servent de moyens de déplacement avec les salaires et les indemnités des gens. Sans que les autres commissaires ne soient au courant. Il s’agit de 15 véhicules. Et chaque véhicule coûte 30 millions de Fcfa. C’est la première version qu’il a donnée à la Commission Ad-hoc. Nous n’avons pas posé de problème, mais, nous allons quand même vérifier si le total de cette facture correspond au payement en souffrance, cela veut dire que c’est plausible et dans le cas, nous ne comprendrons pas. Et nous avons fait le calcul, nous avons trouvé que c’est archi-faux. Il y a un gap de près de 200 millions Fcfa. Ce qui est encore grave, c’est que pour terminer l’élection présidentielle, ils ont été obligés d’aller faire un découvert bancaire de près de 100 millions de Fcfa à la Bdm-sa pour pouvoir tenir. Pendant que le ministre des Finances dit qu’il a tout réglé. Si vous ajoutez ce découvert aux salaires non payés des gens, vous allez vous retrouver dans un gap de plus de 300 millions de Fcfa”.
Peut-on dire aujourd’hui qu’il y a eu un détournement de 300 millions de Fcfa, Me Issiaka Sanogo répond : ” Vous savez, je suis juriste et je ne peux pas affirmer comme ça du coup qu’il y a un détournement, mais nous disons qu’il y a un manquement à la procédure des dépenses. Parce qu’aucune des dépenses de cet ordre ne doit être engagée sans l’aval de la plénière. On doit toujours exposer les difficultés à la plénière qui donne ensuite le feu vert. Rien n’a été. Et il se trouve qu’il y a des rubriques prioritaires. Tu ne peux pas, avec les salaires, faire ce que tu veux. Le plus grave encore est que lors de la 2ème séance de l’écoute complémentaire, le questeur dit qu’en réalité il a payé les missions de la Ceni avec les sous parce que le ministre de l’Economie et des Finances aurait refusé de prendre en charge les missions des éléments de la Ceni vers les démembrements. Ce qui est notre activité principale. Comment nous pouvons amener les documents, comment nous pouvons aller payer les démembrements sans être en mission. Le questeur dit que le ministre des Finances aurait refusé de prendre en charge l’activité principale et que lui, il l’a prise en charge dans le budget de fonctionnement. Ce qui fait deux versions diamétralement opposées. Finalement, nous avons maintenu la sanction”.
“La Commission a également relevé comme acte jurant avec la procédure et donc l’orthodoxie budgétaire, l’engagement unilatéral et arbitraire d’un nombre élevé de techniciens d’appui sans considération de ceux déjà pléthoriques émargeant régulièrement au budget et moins encore pour les dispositions de l’article 8 in fine du règlement intérieur qui subordonne un tel recrutement à une décision de la plénière. Toute chose ayant coûté à la Ceni plus de 11 millions de Fcfa” précise Me Issiaka Sanogo, lequel poursuit : “La Commission, poursuivant l’analyse critique des actes et décisions financières prises, jusqu’à preuve du contraire, constate qu’un marché afférent à l’acquisition de logiciels a été passé pour 29 500 000 Fcfa dont 20 millions payés à la date du présent rapport. Cela sans que la Commission des marchés n’y soit associée encore moins la plénière. Il en va de même de l’achat de 500 lampes UV pour plus de 5 millions de Fcfa tout comme l’achat de tablettes pour plus de 10 millions de nos francs” ajoutera-t-il.
Pour voir très clair dans la gestion du président Amadou Bah, une Commission interne d’audit a été mise en place. Elle va investiguer jusqu’au centime près cette gestion opaque au niveau de la Ceni afin de chiffrer les montants réellement détournés.
Il faut aussi rappeler que jusqu’à présent, les 359 délégués de la Ceni au niveau de Nianfunké et les 302 délégués de la zone inondée de Mopti n’ont pas été payés. Et pourtant, les sous, selon nos sources, ont été sortis.
El Hadj A.B. HAÏDARA