Si la discrimination positive en faveur des femmes avec 30% sur les listes et structures à caractère électoral a été rejetée pour vice de forme et de fond concernant l’article 2 de la constitution qui interdit toute discrimination entre citoyens de quelque nature que ce soit, la nouvelle loi électorale est restée paradoxalement inflexible sur l’introduction du «bulletin unique » pour un double impératif : la transparence du processus électoral et la maîtrise du coût financier des élections. Pourquoi est-ce que la commission «loi » de l’Assemblée nationale a-t-elle rejeté cette innovation introduite par le ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales, MATCL, dont la proposition était appuyée par la commission «énergie » et celle des «finances » qui est allée même plus loin avec le «couplage » des élections pour les mêmes raisons budgétaires ?
Il y a deux semaines, la nouvelle loi électorale est votée par l’Assemblée nationale qui a examiné le projet de loi initié par le ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales, MATCL, après son adoption par le conseil des ministres en sa séance du 22 février 2006. Les attentions étaient focalisées sur l’innovation importante ayant trait à la prise en compte du genre dans le processus électoral de manière à rendre plus significative la représentativité des femmes dans les instances politiques et décisionnelles à travers les listes électorales et les structures de contrôle ou de supervision comme la CENI (Commission électorale indépendante) qui ne pouvaient être constituées de plus de 70% de l’un ou de l’autre sexe. Mais le MATCL avait également introduit sans succès une innovation portant sur le bulletin unique dont le projet était appuyé par la commission «énergie » et celle des «finances », cette dernière ayant même suggéré d’opter pour le «couplage » des élections. Le bulletin unique et le couplage sont, en effet, des mesures visant à renforcer la transparence des élections et à maîtriser le coût exorbitant des élections au Mali est estimé à des dizaines de milliards FCFA.
Bulletin unique
Dans son plaidoyer au titre des innovations importantes à introduire dans la nouvelle loi électorale dont le projet de loi avait été introduit à l’Assemblée nationale pour examen et adoption, le MATCL avait insisté sur le point suivant : la possibilité de recourir au «bulletin unique » dans les scrutins en cas de nécessité. Lui emboîtant le pas, la commission «énergie, industries, mines et technologies » en a fait une de ses principales recommandations. C’est pour des raisons économiques et de transparence des élections, est-il argumenté en substance. D’une part, c’est une évidence qu’avec un seul papier, l’on réalise des économies substantielles. L’inflation des candidatures aidant (24 prétendants à Koulouba en 2002), la confection des bulletins spécimens et réels est loin d’être une promenade de santé économique pour les finances publiques. D’autre part, la transparence est garantie en amont comme en aval : le nombre réel de votants est connu avec exactitude à travers le choix coché, plus question non plus de monnayer sa voix électorale en sortant du bureau avec la tête des candidats (normalement jetés dans la corbeille de l’isoloir) comme la preuve de son choix de leur non choix. Mais la commission des lois constitutionnelles, de la législation, de la justice et des institutions de la République a plutôt fait une recommandation laconique en la matière : «Faire large concertations avec classe politique sur l’éventualité d’un recours au bulletin unique ».
Couplage électoral
La commission des finances, de l’économie et du plan avait suggéré, en plus, le couplage des élections pour augmenter la participation aux élections et maîtriser les coûts électoraux. En effet, a-t-elle révélé, le taux était de 46 à 47% aux dernières communales et de 15 à 23% autres élections. Autant dire que la politique de «une pierre, deux coups » permettrait de réaliser des économies substantielles avec le passage «unique » des électeurs pour deux (présidentielles et législatives) ou trois (communales) votes. A titre d’illustration et de comparaison, ce nouveau système permettra au Sénégal voisin de réduire sa prochaine facture électorale de 18 à 4 milliards FCFA, soit 14 milliards FCFA d’économie. Cette somme servira à recaser les populations sinistrées à cause des inondations de l’année 2005 dont des milliers de familles avaient été victimes dans les bidonvilles de la banlieue dakaroise. C’est sans doute pour cette raison, en grande partie, que le pouvoir KABILA fils n’a pu enlever dès le premier tour le gain électoral des présidentielles congolaises face au rebelle BEMBA, le second tour étant nécessaire pour les départager. L’on peut craindre que, sans ce système de bulletin unique et couplé, le général Joseph KABILA aurait passé haut les mains dès le premier tour grâce au bourrage des urnes ou à l’invalidation des voix obtenues par son grand rival Jean-Pierre BEMBA.
Appareil nommé transparence
Le Mali a pourtant la chance par rapport à tous ces Etats grâce à l’ingéniosité et à l’inventivité d’un de ses propres fils qui a mis au point un appareil électoral adapté à notre cas de pays pauvre dont l’écrasante majorité de la population est analphabète. En effet, M. CISSE a inventé un outil qui permet de voter en «bulletin unique » de la façon la plus simple et économique qui soit : se porter devant ledit appareil sur lequel les images des candidats sont gravées, tourner l’outil de manière à porter devant soi l’image de son candidat, appuyer ensuite sur le bouchon et le choix est automatiquement comptabilisé au profit dudit candidat. Plus besoin d’isoloir spécifique ni de bureau encombrant, son propre corps pouvant faire écran. D’autre part, les résultats de chaque bureau étant connus de façon instantanée, le suspens sera de courte durée pour que chacun soit fixé sur son sort électoral. Par ailleurs, les urnes étant fabriquées sur place par nous-mêmes, ce sera un moyen de créer des emplois et de lutter contre le chômage et la pauvreté dans le pays. Pour une fois, nous allions pouvoir consommer ce que nous produisons nous-mêmes, sans avoir besoin d’importer de l’extérieur des urnes «transparentes » à coûts de millions ou de milliards. En tout cas, M. CISSE, en son temps, avait fait le tour des structures chargées des élections pour présenter et faire la promotion de son produit : MATCL, CENI et DGE.
Le profit du crime électoral
L’erreur de la commission loi, selon les observateurs, c’est de n’avoir pas saisir la chance ainsi offerte par le MATCL au sujet du bulletin unique dont l’adoption présente incontestablement plus d’avantages que d’inconvénients. Est-ce à dire que l’administration est-elle prête à jouer le jeu de la transparence des élections plus que les partis politiques qui sont ceux auxquels le crime de la fraude profite ? Ceci n’explique-t-il, pas cela ? Faut-il se laisser aller par cette mauvaise pratique de réviser les lois à la tête du client politique au lieu de se convertir aux normes impersonnelles et intemporelles dont le caractère non partisan permet de traverser les âges sans amendements à répétition ? Car, d’habitude en Afrique, c’est l’administration publique qui est indexée pour ne pas jouer franc-jeu avec la classe politique en matière de transparence électorale. Le plus souvent, ladite administration fait montre de faiblesse à l’endroit du pouvoir en place qu’elle en tendance à favoriser au détriment des autres acteurs du jeu politique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, un chef d’Etat africain a affirmé qu’on n’organise pas une élection pour la perdre. Comme quoi l’alternance au pouvoir par les urnes est une exception qui confirme la règle politique en Afrique en dépit du formalisme démocratique et institutionnel.
Par Seydina Oumar DIARRA-SOD “