Depuis plusieurs semaines, le monde entier a les yeux braqués sur le Mali qui a tenu le premier tour de son élection présidentielle le 29 juillet 2018. La tenue de ce scrutin tant attendu, ayant fait couler beaucoup d’encres, était loin d’obtenir l’unanimité sur les plans national et international. En effet, si certains pensaient que tenir des élections au Mali à la date susmentionnée était une nécessité pour la continuité et la survie de la nation, d’autres se montraient plutôt sceptiques car, pour eux, le pays n’était pas à même d’organiser des élections libres, crédibles et transparentes sur toute l’étendue de son territoire, notamment dans certaines de ses localités septentrionales ainsi que celles du centre. Pour ces derniers, il était insensé de croire que ce pays, qui ne dispose pas d’un réel contrôle sur la totalité de son territoire depuis un certain temps, pouvait organiser une élection présidentielle permettant à tous ses fils de voter dans un climat de sécurité.
Eu égard aux nombreux incidents enregistrés sur différents lieux de vote le 29 juillet passé, nous constatons avec beaucoup d’amertumes que le verdict est tombé, mettant ainsi un terme aux inlassables tiraillements suscités par la question relative à la tenue de la présidentielle au Mali. En effet, selon les multiples témoignages véhiculés par des medias et les réseaux sociaux, certains citoyens maliens de certaines localités, ayant subi des attaques, ont été empêchés d’accomplir leur devoir civique qui consistait à exprimer leur choix dans l’élection du nouveau patron de Koulouba par la voix démocratique (la voix des urnes). Parmi les nombreuses zones qui ont été des théâtres d’attaques terroristes empêchant les citoyens d’aller aux urnes, nous pouvons énumérer : Mariko (à 45 km de Niono), Douma (13 km de Douentza), les localités de Toguéré Koumbé, Goundaka, Manako (faisant toutes partie de Mopti), Gargouna (environ 20 km d’Ansongo),…sans oublier Kikara (35 km de Douentza en allant vers Tombouctou) où le président du centre, les présidents des bureaux de vote, les assesseurs, les délégués et leurs urnes auraient été pris en otages.
Par ailleurs, il importe également de souligner que le vote n’a pas pu avoir lieu sans ombrages dans certains centres de la capitale même. C’est le cas par exemple du centre de Faladié-Sokoro, précisément le bureau de vote numéro 19 ayant enregistré 186 votants dont 8 bulletins vierges, comme nous a témoigné Sekou Bagayoko, un assesseur de l’administration dudit bureau. Selon lui, une centaine de cartes d’électeur, dont les titulaires, conformément aux annonces des autorités, étaient supposés les récupérer dans le bureau de vote numéro 19 qui était le leur, ne sont arrivées qu’à dix-huit heures moins cinq minutes alors qu’on s’apprêtait à faire le dépouillement du scrutin. Ce n’est pas tout, notre témoin a également déclaré que les responsables de certains bureaux du même centre, faute d’éclairages, étaient contraints de procéder au dépouillement à tâtons, en s’aidant, clopin-clopant, des éclairages ternes de leurs téléphones portables. Pour monsieur Bagayoko, ces insuffisances et ces irrégularités prouveraient à suffisance que le Mali n’était pas prêt à tenir des élections dignes de ce nom. Mais selon un autre membre du même bureau dont nous choisissons de taire le nom, ces élections ne seraient qu’un écran de fumée permettant au président sortant d’occulter les manœuvres captieuses dont le dessein ne serait autre que celui de prolonger son séjour au palais présidentiel.
Outre le centre de Faladié-Sokoro, nous avons également recueilli des témoignages sur d’autres lieux de vote à savoir le centre du groupe scolaire Aminata Diop de Lafiabougou (Bamako) et celui de l’école fondamentale de Missira (Ségou). Et selon les dires des différents témoins, monsieur Fomba Moctar, assesseur de la majorité du bureau 74, et monsieur Camara Mahamane, celui de l’opposition, des centres de vote respectifs, le scrutin s’est bien déroulé car toutes les dispositions sécuritaires avaient été prises pour garantir son déroulement. Selon eux, aucune irrégularité ni incident majeur n’a été constaté. Cependant, Moctar Fomba nous a révélé que les forces de l’ordre ont été contraintes d’amener, manu militari, un inconnu qui s’entêtait à vouloir assister au dépouillement du bureau 74, à travers la fenêtre, malgré les tentatives dissuasives du président du bureau. Selon le même témoin, le nombre d’électeurs inscrits sur la liste de son bureau de vote se fixait à 450 personnes dont 220 ont pu mettre leur bulletin dans les urnes. Par ailleurs, il faut quand même noter que les candidats Ibrahim Boubacar Keita, Soumaïla Cissé et Cheick Modibo Diarra, selon les résultats des différents bureaux sillonnés, étaient les trois grands favoris parmi tous les autres candidats à la course au fauteuil présidentiel.
En dehors des irrégularités et des incidents évoqués plus haut, d’autres actions à la fois honteuses et indignes d’un Etat démocratique comme le nôtre, auraient été constatées. En effet, selon un étudiant qui a préféré s’exprimer dans l’anonymat, des partisans du candidat à sa propre réélection auraient fait du porte à porte à Karanga (situé dans la zone de Koutiala) pour acheter la voix des familles entières à travers leur chef, moyennant un modique billet de cinq mille francs CFA par foyer. Alors que nous nous croyions être au comble de notre exaspération vis-à-vis de ce comportement qui inspire un dégoût moral, l’étudiant a porté un coup fatal à l’infime foi qu’on accordait à cette présidentielle, en affirmant que certains vétérans (anciens militaires à la retraite), résidant au camp Soudiata Keita de Kati, auraient perçu des sommes supplémentaires et alléchantes sur leur pension dans le seul but d’acheter leurs voix. De telles bassesses venant d’un grand parti conduit par un « grand homme politique » se réclamant démocrate à cor et à cri, ne peuvent que ternir l’image de notre grande Nation aux yeux du monde entier.
Compte tenu des faits irréguliers dénoncés supra, nous ne saurions donner tort aux détracteurs du régime sortant qui pensent que celui-ci a usé de moyens pécuniaires pour altérer la réalité des urnes lors du scrutin. Pour eux, le fait que le président sortant soit à la tête selon les résultats provisoires n’est pas juste. Il aurait puisé dans les deniers publics pour financer sa campagne et acheter ses électeurs.
Souleymane TANGARA