Les cartes d’électeurs A l’épreuve du bricolage !

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L’on se souvient qu’au moment du lancement et de la conclusion du marché des cartes d’électeurs dites biométriques, il n’existait absolument aucun support légal auxdites cartes, la législation électorale de l’époque ne reconnaissant la qualité de cartes d’électeurs qu’aux seules cartes NINA qui en tenaient lieu. Du coup, ce marché public bricolé n’aura été qu’un marché complètement irrégulier qui continuera très certainement de hanter les esprits au sein du régime du Président-candidat IBK.

Plus particulièrement, la conscience tourmentée au sein de ce régime doit probablement souffrir de la question suivante : « Sur quelle base juridique les mentions devant figurer sur la carte d’électeur auraient-elles été proposées à la société adjudicataire du marché de l’impression » ?

Cette question est déterminante, puisque c’est d’abord une décision du ministre chargé de l’Administration Territoriale qui fixe en amont le modèle et le libellé de la carte d’électeur afin que ces mentions soient portées sur la carte par l’imprimeur responsable de sa confection.

Or, il se trouve que le processus de fabrication de la carte d’électeur a commencé en l’absence de la décision en bonne et due forme du ministre qui devrait au préalable en fixer le modèle et le libellé. Comme dans une république bananière, le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs.

 Un colmatage tardif

Après avoir illégalement conclu le marché et commencé à exécuter l’impression des cartes d’électeurs dites biométriques, le gouvernement probablement conscient, au moins pour une fois, du grotesque de cette attitude antirépublicaine, tente maintenant de colmater les brèches en faisant amende honorable à travers son ministre chargé de l’Administration Territoriale. C’est tout le sens de la Décision n°2018-000074/MATD-SG du 10 mai 2018 fixant le modèle de la carte d’électeur. Cette Décision ne mériterait certainement pas qu’on s’y attarde davantage si le problème qu’elle pose était uniquement lié à son intitulé focalisé sur le « modèle de la carte d’électeur » contrairement à l’alinéa 1er de l’article 61 de la loi électorale qui « instruit » en la matière au ministre de fixer à la fois « le modèle et le libellé de la carte d’électeur ». L’impasse sur le « libellé » n’est peut-être pas le problème essentiel de la Décision n°2018-000074. Son vrai problème, c’est qu’elle semble avoir été édictée à la sauvette dans le but de « régulariser » l’absence totale de fondement juridique à la fameuse carte d’électeur dite biométrique. La Décision occulte à peine, le fait grave pour le gouvernement d’avoir commencé à imprimer la carte d’électeur avant que n’intervienne la Décision qui en fixe le modèle et le libellé. La logique de l’alinéa 1er de l’article 61 de la loi électorale est ainsi inversée, battue en brèche, et donc allègrement piétinée. Tout s’est passé comme si c’était l’imprimeur adjudicataire du marché qui elle-même fixé le modèle de la carte d’électeur que la décision du ministre n’a ensuite fait qu’entériner. L’imprimeur a semblé suppléer à la carence du ministre dont il se serait en quelque sorte arrogé les prérogatives.

 Les Maliens de l’extérieur privés de cartes d’électeurs ?

Est-ce la même carence du ministre qui conduit logiquement à se demander si les Maliens de l’extérieur ne sont pas privés de cartes d’électeurs dites biométriques.

La Décision n°2018-000074/MATD-SG du 10 mai 2018 fixant le modèle de la carte d’électeur n’est effectivement pas sans soulever d’interrogations quant au droit des Maliens de l’extérieur de disposer également de leurs cartes d’électeurs, ne seraient-ce que pour le scrutin présidentiel du 29 juillet 2018 auquel ils participent. Le ministre chargé de l’Administration territoriale en a -t-il tenu compte ? La question se pose avec d’autant plus d’inquiétude que la Décision n°2018-000074/MATD-SG du 10 mai 2018 fixant le modèle de la carte d’électeur ne prend nullement en compte les mentions spécifiques à cette population électorale. Si de façon générale la Décision partage avec les autres électeurs de l’intérieur la plupart des mentions figurant sur la carte d’électeur, il n’en est pas de même en ce qui concerne particulièrement « Les informations relatives à la localisation » dont les cinq (05) premières données ne les concernent nullement : « Région ou District de », « Cercle de », « Commune de », « Village/Fraction/Quartier ». Il est clair qu’aucun Malien de l’extérieur ne pourrait être localisé sur cette base. C’est bien pour cette raison de simple bon sens que les Décisions fixant les modèles et libellés des cartes d’électeurs ont toujours pris le soin de préciser que pour les ambassades et consulats du Mali, les mentions « Région ou District de », « Cercle de », « Commune de », « Village/Fraction/Quartier » sont remplacées par « Ambassade ou Consulat », « Pays », « Ville ». Il existerait probablement une Décision spéciale sécrète pour les Maliens de l’extérieur qu’il va falloir chercher. Ou alors, ils ne voteront qu’avec les seules cartes NINA ? Autrement, on ne voit pas comment pourraient-ils disposer de cartes d’électeurs. Mais peut-être aussi qu’il n’est pas prévu qu’ils participent à la présidentielle du 29 juillet 2018 ! Qui sait ?

 De simples cartes d’électeurs ou des vraies cartes d’électeurs biométriques ?

La Décision n°2018-000074/MATD-SG du 10 mai 2018 fixant le modèle de la carte d’électeur est une décision décidément problématique. Au regard de la loi électorale qui institue la carte d’électeur biométrique, elle laisse filtrer au contraire un faisceau d’indices concordants tendant à jeter le doute sur cette option. C’est ainsi que le qualificatif « biométrique » a subitement disparu de la Décision et n’accompagne plus celui de « carte d’électeurs » comme dans la loi électorale. La Décision ne parle plus que de « cartes d’électeurs » tout court, comme on peut le constater au niveau de son intitulé « Décision…fixant le modèle de carte d’électeur ».Faut-il y voir une renonciation déguisée aux cartes d’électeurs biométriques ? C’est ainsi également qu’on ne retrouve nulle part dans la Décision le mot « empreinte digitale ». Même s’il se pourrait que celle-ci cachée dans la « Zone réservée au Code Quick Response (QR) » ou peut-être dans la « Zone réservée pour le code 2d pdf 417 », toujours est-il que la Décision ne fait pas cas des empreintes digitales. Enfin pour couronner le tout, l’article 2 de la Décision rappelle étrangement les modèles de cartes d’électeurs qui ont précédé les cartes NINA, notamment celles de 2002 : « La carte d’électeur est confectionnée en papier blanc offset laser crown de 120 grammes et de couleur jaune. Son format est de 74,25 mm de hauteur sur 105 mm de largeur… ». Ce qui veut dire en terme plus clair, que la soi-disant carte d’électeur biométrique est fabriquée avec du simple papier.

Certes, par rapport aux cartes d‘électeurs d’avant 2013, elle innove par la photo et peut-être l’empreinte si elle existait. Par rapport à la carte NINA, sa valeur ajoutée paraît également bien mince. Au-delà de la mention visible du centre et du bureau de vote, la carte d’électeur semble d’un niveau technique et de fiabilité nettement en deçà de celui de la carte NINA. Et si en définitive on glissait vers de vraies fausses cartes d’électeurs biométriques ? Pour l’instant, tout indique que le gouvernement va mettre à disposition des cartes d’électeurs soi-disant biométriques mais dépourvues de tout système matériel d’authentification à l’entrée des bureaux de vote. Or en l’absence de moyens matériels d’identification et d’authentification automatisées de l’électeur par exemple à travers ses empreintes digitales ou sa photo, il est évident que c’est un gros mensonge que de parler de cartes d’électeurs biométriques.

Dr Brahima FOMBA

Université des Sciences Juridiques  et Politiques de Bamako(USJP)

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