La situation au Nord Mali se complique. L’arrivée de centaines de touaregs en armes réfugiés de Libye, ce week-end, vient compliquer un peu plus la situation dans une région déjà troublée par l’influence grandissante d’Aqmi, Al-Qaïda au Maghreb islamique.
Pour en parler Olivier Rogez de Radio France internationale (Rfi) reçoit l’anthropologue André Bourgeot, directeur émérite au CNRS et spécialiste de la bande saharo-sahélienne. Nous publions l’intégralité de cette interview.
RFI : Bonjour André Bourgeot, on assiste à une certaine agitation depuis quelque temps dans le nord Mali où les rumeurs vont bon train concernant la constitution d’une rébellion touareg. Alors y a-t-il actuellement des signes indiquant que les touaregs ou du moins certaines tribus touaregs seraient sur le pied de guerre.
André Bourgeot : Oui il y a des signes avant-coureurs qui mentionnent effectivement une certaine turbulence mais il me parait prématuré d’envisager une émergence de rébellion touareg même si quelques uns font référence à cette éventualité.
Peut-on considérer que le mouvement national de l’Azawad qui est apparu en 2010 constitue un embryon de rébellion ?
Ce mouvement ne semble pas avoir une grande assise sociale, il ne semblait pas non plus avoir de grand écho jusqu’à la situation qui prévaut actuellement. Avec la situation créée par l’intervention militaire de l’Otan en Libye, il me parait impossible que ce nouveau contexte donne un certain écho. Quant à en déduire qu’il serait susceptible de prendre des armes pour fomenter une rébellion, je ne ferais pas cette déduction. En tout état de cause, il a durci son vocabulaire, il a durci les intentions, il dénonce d’une manière assez systématique des carences de l’Etat malien. Il accuse même l’Etat malien d’être dans le narco trafic, donc il a sensiblement durci son vocabulaire.
En 2006 on a assisté a une agitation des touaregs qui avaient des revendications économiques à l’époque. Aujourd’hui, ils semblent formuler des revendications plus politiques et réclament notamment l’autonomie. Est-ce que vous y croyez vous à un mouvement qui réclamerait l’indépendance, l’autonomie du nord Mali.
C’est des propos qui ont été tenus très tôt à partir des rébellions des années 1990, au moment des conférences nationales. Ils n’ont pas eu d’échos parce que le contexte ne s’y prêtait pas mais actuellement il n’est pas impossible que ce genre de discours trouve un certain écho. Il y a trois choses qui ont changé, d’abord la présence de l’Aqmi, puisque Aqmi est décentralisé au nord Mali, le deuxième élément c’est l’émergence de ce trafic de drogue, ici, on a tous les ingrédients pour que ça devienne une poudrière, ce qui est probablement le cas actuellement avec les réfugiés libyens qui viennent d’arriver dans le septentrion malien
Comment se positionnent ces tribus par rapport à cette problématique d’Aqmi ou par rapport aux narcotrafiquants. Est-ce qu’ils veulent nettoyer la région, nettoyer la zone, ou est-ce qu’ils veulent au contraire des complicités ?
Il y aura une diversité de cas, certains sont susceptibles de faire en sorte de nettoyer la zone, de chasser l’Aqmi de son sanctuaire. D’autres se sont ralliés, donc il y a une diversité de cas où il est extrêmement difficile de généraliser les choses. Ce qui me parait important c’est cette arrivée de 78 véhicules composés de 50 véhicules pour les tributaires, 19 véhicules pour les Iforas et les Imghads, qui eux ont un statut politique d’aristocrate et 9 véhicules pour les Chamanamas, ces 19 véhicules associés aux 9 véhicules pour les chamanamas qui se sont réunis dans un endroit, qui eux auraient- je parle au conditionnel – des propos indépendantistes. Alors que ce n’est pas le cas des 58 véhicules concernés par les tributaires. Il y a des clivages importants à l’intérieur même des sociétés touaregs.
Vous faites allusion à l’arrivée ce week-end dans le nord Mali de touaregs maliens qui travaillaient depuis des années au service de Mouammar Kadhafi, qui étaient intégrés dans ses forces armées. Si je comprends bien au sein de ces gens il y a des gens plutôt favorables au gouvernement et d’autres qui seraient plutôt indépendantistes.
On ne sait pas très bien quels sont les objectifs de ces gens là, mais on peut imaginer et retenir une hypothèse qui mérite d’être vérifiée mais on peut se demander si on n’assiste pas actuellement en quelque sorte à un déplacement du conflit qui irait vers les frontières. Dans le cas ou ce serait des pro-Kadhafi donc le déplacement du conflit irait aux frontières, il y aurait à la fois une opposition interne et une opposition externe d’où le problème des modalités de gestion de frontière dans ce contexte là.
Est ce que les autorités maliennes vous semblent avoir le niveau de réponse adéquate pour continuer à préserver l’influence de l’Etat au nord Mali ?
C’est une véritable poudrière qui vient se verser là-dessus, un enchevêtrement de pratiques illicites. Une généralisation de la délinquance. C’est un espace qui n’est plus du tout contrôlé. On assiste aujourd’hui si vous voulez à une activation tribale avec des formes de territorialisation tribales ; ça c’est quelque chose de nouveau, qui est lié justement au trafic de cocaïne et qui ce confirme actuellement avec les réfugiés de la Libye. Comment intégrer tout ces gens là ?comment intégrer les civils et les militaires qui viennent de la Libye ? Il faut replacer ça dans le contexte actuel, il y a une campagne présidentielle qui commence à s’engager. Et s’il ya des grandes turbulences au nord Mali, ce qui est fort probable, est-ce que les élections présidentielles vont pouvoir se tenir ?
RFI