CENI : L’illégalité cautionnée !

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Alors qu’en sa qualité de Chef de file de l’opposition, il était censé mettre la pression sur le gouvernement, y compris par voie judiciaire, afin de le contraindre à respecter la légalité républicaine relativement à la constitution de la CENI, Soumaïla CISSE a préféré faire faux bond à l’Etat de droit. Par pur réflexe partisan, il propose simplement au ministre de l’Administration territoriale comme un petit arrangement entre copains, une petite retouche sans grand dommage, au vétuste Décret n°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017 qui avait mise en place une nouvelle CENI dans la perspective des élections générales de 2018 dont la présidentielle.

Sa lettre n°003/2020-CCFOP en date du 12 février 2020 n’a pour seul et unique objet que cette bien curieuse demande de modification du Décret n°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017. Un décret pourtant devenu caduc depuis la proclamation le 20 août 2018 par Arrêt n°2018-04 de la Cour constitutionnelle, des résultats définitifs de la présidentielle de 2018. Cette correspondance du Chef de file de l’opposition au ministre de l’Administration territoriale constitue l’expression la plus achevée de la renonciation du principal parti d’opposition du Mali, à assumer ce qui est justement la raison d’être des partis politiques dans une démocratie et qui justifie les milliards que les pauvres contribuables maliens leur offrent annuellement  : «  contribuer à l’édification de l’Etat de droit et à la consolidation de la démocratie…» comme stipulé par la Charte des partis politiques en son article 35.

 

Le parrainage de strapontins plutôt qu’une CENI conforme à la loi

Le caractère scandaleux de cette correspondance du Chef de file de l’opposition tient à son objet ainsi libellé : « Demande de modification du Décret n°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017 portant nomination des membres de la Commissions électorale nationale Indépendante ».

Dans sa lettre, le Chef de file de l’opposition prie sagement le ministre de l’Administration territoriale de bien vouloir remplacer Amary TRAORE de l’ADP-Maliba, Oumar KANOUTE du PRVM-Fasoko et Dadjé SOGOBA du PARENA par Souleymane KONE de Fare Anka-Wili, Hamet TRAORE de AFP et Abdoul Karim BAGAGA du FCD.

Soumaïla CISSE préférerait-il ainsi négocier en catimini des strapontins pour ses partisans plutôt que de se battre pour la mise en place d’une nouvelle CENI comme exigé par la loi électorale ? C’est à se demander si cette lettre ne lui aurait pas coûté quelques larmes versées comme pour attendrir le ministre de l’Administration territoriale devant lequel il semble quasiment se prosterner, rien que pour qu’il lui concède gracieusement quelques strapontins au sein d’une CENI périmée qui n’a plus aucune existence légale. Il faut dire qu’au regard de l’illégalité caractérisée qui frappe actuellement la CENI, l’objet et surtout le ton de la lettre du Chef de file de l’opposition sont incompréhensibles. Ce qui semble présenter de l’intérêt pour lui, c’est finalement moins la question fondamentale de la constitution de la CENI dans le strict respect de la loi électorale, que son ouverture à quelques partisans qu’il entend y placer. La bataille de chiffonnier à laquelle s’adonne la correspondance du 12 février 2020 sur la question périphérique du statut d’opposant qu’il conteste aux représentants de l’ADP-Maliba, du PRVM-Fasoko et du PARENA, en dit long sur la connivence qu’on observe assez souvent entre l’opposition et le gouvernement au mépris des exigences de l’Etat de droit qu’il n’hésitent pas à collectivement fouler au pied au nom de leurs intérêts politiciens. C’est pathétique d’en être réduit à le rappeler au Chef de file de l’opposition : l’enjeu véritable de la CENI ne réside point dans la question superfétatoire de la représentativité de l’opposition. La seule question qui vaille, mais dont le Chef de file de l’opposition n’a vraisemblablement rien à cirer, est plutôt celle de l’illégalité même de la CENI du fait de sa configuration périmée de 2017. Très en deçà des attentes liées à son statut, le Chef de file de l’opposition n’a de la légalité de la CENI qu’une approche politiquement mercantile selon laquelle il suffirait qu’Amary TRAORE de l’ADP-Maliba, Oumar KANOUTE du PRVM-Fasoko et Dadjé SOGOBA du PARENA « soient immédiatement remplacés pour que la composition de la CENI soit conforme à la loi électorale ». Drôle de conception sélective de la légalité pour un Chef de file d’opposition qui ne se bat finalement que pour les siens !

En vérité, le remplacement en catimini à travers la modificative d’un Décret périmé, des sieurs Amary TRAORE de l’ADP-Maliba, Oumar KANOUTE du PRVM-Fasoko et Dadjé SOGOBA du PARENA par les sieurs Souleymane KONE de Fare Anka-Wili, Hamet TRAORE de AFP et Abdoul Karim BAGAGA du FCD ne suffira guère à assurer la légalité de la composition d’une CENI légalement inexistante depuis le 18 novembre 2018, c’est-à- dire il y a un (01) an et six (06) mois environ.

 

L’obligation légale de reconstitution intégrale de la CENI mise sous le boisseau

La loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée par la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018 portant loi électorale est pourtant très explicite et on ne peut plus claire sur le sujet, pour ne même pas pouvoir se prêter à une quelconque extrapolation. En effet, selon l’article 17 de la loi électorale, « le mandat de la C.E.N.I. prend fin trois mois au plus après la proclamation définitive des résultats du référendum et des élections générales ». Au regard de cette disposition et compte tenu du fait que la dernière élection générale à considérer est la présidentielle de 2018 dont les résultats définitifs ont été proclamés le 20 août 2018 par Arrêt n°2018-04/CC de la Cour constitutionnelle, le mandat de la CENI de 2017 a pris fin dans les trois mois qui ont suivi. Pour être plus précis, le mandat de la CENI mise en place par le Décret n°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017 a pris fin à la date du 18 novembre 2018. Ainsi donc, depuis cette date, la CENI actuellement en place n’a plus d’existence légale. Preuve que le mandat de la CENI mise en place pour des élections générales programmées ou pour des élections générales hors du calendrier normal habituel comme le cas des législatives actuelles, prend fin ipso facto trois mois au plus tard après la proclamation définitive des résultats desdites élections, la loi électorale précise en son article 18 qu’à la fin de son mandat, « ses archives, documents et matériels sont transférés au ministère chargé de l’Administration territoriale ». Elle ajoute au même article que « ces archives et documents seront mis à la disposition de la nouvelle CENI qui sera installée ». Comment va-t-on pouvoir « installer une nouvelle CENI pour les législatives du 29 mars 2020 » à travers la simple modification du Décret périme de 2017 ?

En aucun cas, la loi électorale ne parle de vieille CENI réchauffée, mais plutôt de nouvelle CENI à mettre en place. Le mandat de la CENI mise en place par le Décret n°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017 ayant pris fin, il s’agit aujourd’hui, non pas de réchauffer par petites retouches bien ciblées  sous forme de modification de ce Décret qui n’a plus de fondement légal, mais plutôt d’édicter un tout nouveau décret conforme à l’alinéa 2 de l’article 10 de la loi électorale selon lequel « … les membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante sont nommés par décret pris en Conseil des ministres aussitôt après la convocation du collège électoral ». Pour ce faire, il appartient comme stipulé à l’article 7 de la loi électorale, au ministre chargé de l’Administration territoriale, d’inviter l’ensemble des institutions et organisations concernées à lui communiquer la liste de leurs nouveaux représentants. Avec un mandat qui a pris fin depuis le 18 novembre 2018, quel crédit peut-on accorder à la transparence d’une élection lorsque la CENI chargée de veiller à sa régularité se trouve elle-même empêtrée dans l’illégalité absolue !

Dr Brahima FOMBA

Université des Sciences Juridiques

et Politiques de Bamako (USJP)

 

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1 commentaire

  1. La transparence ne vaut que si les résultats des élections sont acceptés par tous les partis qui concourent,même si la légalité n’est pas respectée.
    La légalité des structures chargées de l’organisation des élections est dictée par une autre institution étatique.
    L’homme politique agit en fonction de ses intérêts c’est à dire à réunir les conditions d’une élection transparente.
    Il n’est pas concerné par la légalité des structures qui sont d’un autre ressort.
    Il dénonce l’illégalité de la structure, si elle agit contre ses intérêts politiques,ne manifeste aucune plainte,si l’illégalité ne le dérange pas.
    Son objectif est de conquérir le pouvoir, pas de faire faire respecter la LOI qui est de la responsabilité des autorités politiques en charge de la gestion de l’État.
    Agir autrement c’est-à-dire s’engager à dénoncer l’illégalité, SOUMAILA CISSE risque de mettre à dos l’opinion publique qui va voir un moyen de boycotter les élections alors que c’est le but recherché par le clan présidentiel pour dégager sa responsabilité d’être incapable d’organiser les élections à temps.
    L’intelligence politique recommande d’accompagner le gouvernement car il n’est pas sûr qu’il puisse organiser les élections comme convenu.
    La dénonciation de l’illégalité est d’un autre ressort.
    Par contre la dénonciation de la mauvaise organisation des élections aboutissant à des résultats tronqués est du ressort de l’homme politique.
    OSER LUTTER,C’EST OSER VAINCRE!
    La lutte continue.

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