Le collège électoral au compte des élections législatives au Mali est convoqué le 29 mars prochain. Ces scrutins législatifs tant attendus avait été prorogés deux fois cause de la situation sécuritaire du pays. Mais à cause (toujours) de cette insécurité sur l’ensemble des 2/3 du territoire national et autres obstacles, ces législatives pourront-elles se tenir le 29 mars prochain ? Après la prolongation du mandat des députés l’impasse se profile à l’horizon à l’Assemblée nationale.
Initialement, les élections législatives devaient avoir lieu en novembre-décembre 2018. A cause notamment de la situation sécuritaire, la Cour constitutionnelle avait accepté de repousser de six mois les élections. Et le 27 juin 2019, l’Assemblée nationale avait voté le projet du gouvernement de proroger à nouveau le mandat des députés jusqu’au 2 mai 2020.
Aujourd’hui, la question qui se pose est : peut-on garantir l’organisation de ces élections et ensuite valider les résultats ? Et pour cause : l’insécurité qui règne sur plus des deux tiers du territoire ; des attaques meurtrières régulières contre les forces militaires ; 138 600 Maliennes et Maliens toujours dans des camps de réfugiés au Burkina, Niger et en Mauritanie (chiffres UNHCR-décembre 2019) ; 199 385 personnes déplacées internes (qui ont fui leur région/ville d’origine) (chiffres OCHA-décembre 2019) ; plus de 1 000 écoles étaient fermées à la rentrée scolaire 2019 (rapport OCHA-décembre 2019) et l’état d’urgence jusqu’au 20 octobre 2020.
Le hic ? Malgré la véracité de ce constat tant les attaques sont quasi quotidiennes avec son cortège de victimes, l’Assemblée nationale ne peut pas continuer à être dirigée par des députés dont le mandat est à terme depuis novembre 2018. Aussi, qu’adviendra-t-il si le gouvernement n’arrive pas à tenir ces législatives le 29 mars prochain ?
Concernant la prorogation du mandat des députés ? Pour Dr Brahima Fomba, après un premier essai de 6 mois de cette dérive institutionnelle inqualifiable, ces députés se voient de nouveau gratifiés de 11 mois supplémentaires, c’est-à-dire quasiment une année entière de hold-up représentatif. Mais le pire est que cette seconde prorogation anticonstitutionnelle, outre qu’elle se fonde comme la première d’ailleurs sur des prétextes fallacieux, a comme particularité d’intervenir dans des conditions de procédure qui ne respectent même pas la forme découlant de l’Avis n°2018-02/CCM du 12 octobre 2018 ayant soi-disant autorisé, en violation flagrante de la Constitution, la première prorogation de 6 mois. Au demeurant, la propagande d’Etat qui met en lien la prorogation des mandats et la « réunion des conditions optimales à la bonne organisation des élections » n’apparaît désormais que comme une grossière infantilisation de l’opinion nationale. La vérité est que l’acharnement thérapeutique dont fait l’objet la législature de 2013 frappée de péremption, n’a pour seul et unique objectif que de disposer d’un semblant d’Assemblée nationale dédiée, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord d’Alger, au tripatouillage de la Constitution.
Car, si l’objectif recherché était véritablement la « réunion des conditions optimales à la bonne organisation des élections », il aurait suffi, au lieu de tordre le cou à la Constitution, de mettre en œuvre bien avant le 31 décembre 2018, les ressources juridiques dont celle-ci regorge afin de faire face à la crise de carences de gouvernance du régime du Président IBK en matière électorale.
Pr Fomba poursuit : « Même dans le mépris du droit, la règle de bon sens commande parfois de respecter un minimum de formalités. Ce qui n’a même pas été observé dans cette histoire de prorogation. Car aucune demande préalable d’avis à la Cour constitutionnelle n’a été initiée ni par le Président de l‘Assemblée nationale ni par le Premier ministre ». En d’autres termes, en vertu du parallélisme des formes, avant l’adoption de tout projet de loi de seconde prorogation des mandats, la Cour constitutionnel se devait au préalable de « constater ou non le caractère de force majeure des difficultés persistantes entravant le respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles et légales … ». Pourquoi donc le gouvernement s’est-il substitué à la Cour constitutionnelle ? La question se pose évidemment, car au mépris du parallélisme des formes, le gouvernement n’a pas daigné consulter comme lors de la première prorogation, la Cour constitutionnelle et s’est tout simplement substitué à elle lors du Conseil des ministres extraordinaire du 7 juin 2019 en décrétant lui-même que « l’évaluation de la situation politique et sécuritaire du pays révèle la persistance des difficultés et contraintes qui ne permettent pas la tenue d’élections législatives régulières et transparentes ». Ainsi, sans requérir l’avis de la Cour, il a décidé de trancher lui-même. Un gouvernement juge et partie à la fois comme dans les Républiques bananières ! De manière arbitraire et en méconnaissance de toute considération de forme, il s’est tapé quasiment une année gratuite de plus au profit de sa majorité parlementaire dont le mandat est de nouveau prorogé jusqu’au 02 mai 2020 ! Qui dit mieux ?
Mohamed Sylla