Arsénal électoral malien : quand la misère démocratique s''installe

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C”est la Cour elle-même qui a pris sur elle la responsabilité d”établir un rapport à partir de ses propres constats liés aux élections générales de 2002 bien qu”aucun texte ni constitutionnel ni législatif ne lui en fait l”obligation. Ce rapport est donc parti de la volonté du juge constitutionnel de relever les difficultés qui sont contenues dans la constitution et les lois de la république en matière d”élections libres, transparentes et sincères dans le pays.

Malgré tout, rien n”y fit : les élections de 2007 sont intervenues dans un contexte de cafouillage juridique tel que des énormités procédurières ont pu se glisser dans l”appréciation juridique que la Cour elle-même a donnée au scrutin présidentiel qui mettra du temps à se remettre de ces écueils juridico-politiques. Autopsie d”un anachronisme juridique et judiciaire !

Dans le rapport que la Cour a adressé aux décideurs nationaux, il est écrit ceci : " Le processus électoral malien est organisé de telle manière que les différentes contestations sont jugées au fur et à mesure que les différentes phases de l”élection sont accomplies (convocation du collège électoral, enregistrement des dossiers de candidatures, validation des candidatures reçues, campagne électorale, opérations électorales du premier tour du scrutin, résultats provisoires du deuxième tour). Dans ce cas de figure, la réalité se présente comme il suit : " Les contestations relatives à l”enregistrement des candidatures sont jugées avant que les candidatures soient validées, les réclamations relatives à la validation des candidatures sont jugées avant l”ouverture de la campagne électorale, les contestations et réclamations relatives aux opérations électorales du premier tour sont jugées en même temps que la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la régularité des opérations électorales avant la proclamation des résultats définitifs du premier tour, ainsi en est-il du second tour s”il y a lieu " ". Voilà qui est noté noir sur blanc dans le rapport que la cour elle-même a conçu sur les difficultés d”application contenues dans la loi qui détermine les règles de son organisation et de son fonctionnement ainsi que la procédure suivie devant elle. En réalité, comme on le voit, le diagnostic de la cour sur ces écueils procéduriers est sans appel.

Propagande électorale

Autre constat décelé dans le même rapport relatif aux dispositions de la loi électorale en ses articles 62 : " Les pratiques publicitaires à caractère commercial, les dons et libéralités en argent ou en nature à des fins de propagande pour influencer ou tenter d”influencer le vote durant la campagne électorale sont interdites. De même, l”utilisation des biens ou moyens d”une personne morale publique, institution ou organisme public aux mêmes fins est interdite. " Dans le même ordre d”idées, l”article 63, lui, précise : " Il est interdit de procéder, lors des campagnes, à des déclarations injurieuses ou diffamatoires par quelque voie que ce soit à l”endroit d”un ou de plusieurs candidats ou listes de candidats. "

 Et au 65 d”ajouter : " Il est interdit de distribuer ou de faire distribuer le jour du scrutin, des bulletins, circulaires ou autres documents." Au niveau de toutes ces dispositions légales évoquées, c”est la Cour elle-même qui reconnaît dans son rapport de 2002, transmis aux autorités compétentes, que des interdictions sont signalées et qui ne sont pas sanctionnées. De fait, le rapport tente de corriger cette anomalie en suggérant qu”à défaut d”une procédure pénale semblable à celle prévue pour les articles 101 et suivants de la loi électorale, il y a lieu que les dispositions des articles 62,63 et 65 ci-dessus évoquées prescrivent " l”annulation des suffrages obtenus par un candidat grâce à de telles pratiques ".

Qu”en a-t-il été pour le scrutin présidentiel du 29 avril dernier ? Les Législatives qui s”approchent à grands pas vont-elles connaître un sort différent ? Voilà la triste réalité dans laquelle se trouve le juge constitutionnel qui, manifestement, a semblé quelque peu cafouiller lors du dernier scrutin présidentiel d”autant qu”il a été incapable de prendre toutes ses responsabilités pour juguler à jamais dans notre arsenal électoral ces incongruités procédurières qui continuent du reste à gripper la machine électorale.

Mécanisme de la fraude

Dans le rapport de la Cour constitutionnelle, de nombreuses incohérences et contraintes sont révélées. Elles portent sur de nombreux aspects liés à l”organisation matérielle des élections et même à la procédure légale de supervision et de contrôle de ces opérations électorales. L”un de ces écueils, spécifiquement énumérés, portent par exemple sur les documents électoraux. Le constat en la matière est ahurissant : " Des documents électoraux de certains bureaux de vote ne sont pas parvenus à la Cour constitutionnelle mettant cette institution dans l”impossibilité de recenser les résultats de ces bureaux.

Cette situation, qu”elle soit volontaire (ce qui constitue une véritable fraude) ou involontaire, porte un préjudice aux candidats en lice, car des suffrages exprimés en leur faveur ne seront pas pris en compte dans les résultats officiels proclamés par la cour ". C”est dire alors que la sécurisation de l”envoi des documents électoraux à la Cour constitutionnelle n”est pas assurée correctement. Dans ces conditions, comment peut-elle, en toute légalité, comme l”ordonne la loi, contrôler la régularité et la sincérité d”un scrutin réputé sincère, transparent et juste ?

Voilà l”équation de la Cour constitutionnelle du Mali qui arrive, par un manque évident de courage juridique, à cautionner la fraude électorale, celle contre laquelle elle doit sévir, conformément à l”esprit et à la lettre de la loi, histoire de garantir la crédibilité des opérations électorales. En le faisant, elle favorise dans le pays une bien meilleure culture démocratique en bannissant les mauvaises pratiques en matière du jeu électoral. En s”y refusant au nom de quelque intérêt que ce soit, elle cautionne le non droit et prend le risque d”installer notre pays dans l”enfer de la chienlit politique.

Des faits gravissimes

Dans son rapport, la Cour constitutionnelle elle-même donne des exemples troublants. En voici quelques uns : " Des documents de plusieurs bureaux de vote d”une commune, d”une ambassade ou d”un consulat ont été mis dans une seule enveloppe et envoyés à la Cour. Il n”y a aucune précaution " administrative " pour certifier que les documents électoraux (procès verbal des opérations électorales, feuilles de dépouillement, récépissé de résultats, bulletin déclarés nuls) n”aient pas pu être altérés entre leur établissement par les membres des bureaux de vote et leur réception par la Cour constitutionnelle ". Le diagnostic de la Cour est accablant quant à la sincérité des documents électoraux au cours des opérations électorales dans notre pays. Depuis 2002, elle a attiré l”attention des pouvoirs publics sur cet état de fait. Mais sans résultats. Ces derniers n”ont manifestement aucun empressement pour corriger ces incohérences et difficultés liées à la loi. Et la Cour constitutionnelle, qu”est-ce qu”elle a fait elle-même pour corriger ces insuffisances ?

 Apparemment, rien du tout d”autant qu”elle est elle-même tombée dans l”invraisemblance judiciaire en ordonnant cette année, lors du scrutin présidentiel, l”annulation des résultats dans certains bureaux de vote à travers le pays. Pour fraudes électorales avérées, sans pour autant les qualifier comme elle l”avait fait en 2002. Alors, bien qu”elle aboutisse à la commission de la fraude, on ne sait pas justement, en dépit de son verdict, dans quelle partie du territoire ni dans quels bureaux de vote ces fautes ont été commises ni au détriment de qui ?

Misère démocratique

C”est la Cour qui déclare elle-même dans ledit rapport que la loi électorale doit prescrire que les documents destinés à elle soient mis sous pli fermé et cacheté depuis le bureau de vote et que tous les membres du bureau de vote et les délégués signent sur la fermeture de l”enveloppe. Ce n”est pas tout comme précaution : la Cour précise encore que la loi doit responsabiliser les présidents des bureaux de vote par rapport à la non remise aux maires, aux ambassadeurs et consulats des documents électoraux de leurs bureaux de vote.

Dans tous les cas, la Cour savait pertinemment bien que ces dispositions légales manquaient à la loi électorale e 2007 pour la tenue des élections crédibles, justes et transparentes. Pourtant, là-dessus, elle avait alerté les décideurs nationaux depuis 2002 qui n”ont d”ailleurs rien fait dans ce sens. Pourquoi alors la Cour constitutionnelle, dans ces conditions, n”a-t-elle pas joué sa partition dans le sens du respect des normes démocratiques dans notre pays en prenant sa responsabilité de corriger les lacunes par sa décision de dire le droit et tout le droit sauveur ? De cette manière, on se dirigeait tout droit vers la gloire " institutionnelle ". Au lieu de cela, on n”est pas loin de la misère " démocratique ".
Affaire à suivre donc !

Par Sékouba SAMAKE

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