Trêve de polémique. La retraite anticipée, qui a permis au Général ATT d’être candidat à la fonction présidentielle en 2002 et qui lui permettra de l’être cette année encore, relève certes de l’autorité de la chose jugée, mais elle procède aussi de la volonté délibérée de faire revenir – et de faire perdurer – le général ATT au pouvoir, quitte à «légaliser» la triche. Donc, la situation nous révèle une lacune dans la formulation de la loi, de l’article 131 (144 nouveau) en particulier. Une lacune cependant source d’injustice corrigible – et c’est heureux ainsi – pour éviter à l’avenir toute manipulation de statut personnel. Si nous partons du postulat que l’erreur commune fait loi, nous devons tout aussi envisager (et comprendre) que la Cour Constitutionnelle n’est pas le siège de petits dieux infaillibles émettant des avis bibliques au dessus de toute erreur.
Une fois ne sera pas coutume, espérons-le, qu’on me permette, dans le cadre de cette chronique, de m’exprimer occasionnellement à la première personne. Non pas par égocentrisme, mais pour répondre, très fraternellement, aux violentes charges qui ont été lancées ces derniers jours contre ma personne.
En effet, parce que j’ai évoqué l’article 131 de la Loi électorale ancienne (devenu l’article 144 de la nouvelle Loi promulguée le 4 septembre 2006), que j’estime avoir été violé en 2002 au profit d’Amadou Toumani Touré, j’ai eu droit, de la part de personnes non identifiées, tant sur mon téléphone portable que sur le web, à une avalanche de propos peu amènes qui m’auraient fait désespérer de la démocratie et de la République si des concitoyens mieux éduqués n’avaient donné incidemment la réplique en appréciant positivement mon raisonnement.
Un de mes «contradicteurs» bravement anonymes, sans doute un de ces gredins de la pire espèce, m’accuse même d’«ATTphobie» insensée et de «Boubèyephilie» surprenante. Qu’il se rassure, ni l’un, ni l’autre de ces néologismes ne constitue la ligne sur laquelle je me tiens. Je fais simplement partie, avec toute l’honnêteté dont je suis capable, de ceux qui, avec tous leurs défauts et toutes leurs insuffisances, mais avec toute leur conscience citoyenne, sans nullement prétendre au monopole du magistère de la République, estiment qu’il y a des erreurs à corriger et ils y contribuent ; pensent qu’il y a des débats à susciter et à mener, et ils y consacrent un peu de leur sincérité.
Or, justement, l’article 131 de la Loi électorale ancienne (144 dans la Loi revue), tel qu’il est formulé et au regard de l’exploitation qui en a été faite en 2002, risque d’être, pour longtemps, un sujet de controverse, qu’il s’agisse encore du Général ATT, ou demain du capitaine Pierre ou de l’adjudant Sidiki. Cas d’interrogation, il l’a été dès le départ tant pour le citoyen lambda que pour les hommes politiques.
Dès avril 2002, quelques jours seulement après la validation de la candidature d’ATT par la Cour Constitutionnelle, mon jeune frère Chahana Takiou avait entrepris d’accoucher patiemment les hommes politiques sur la question. Morceau choisi, avec Me Mountaga Tall (L’Indépendant n°470 du lundi 8 avril 2002), il a été d’une «brutalité» soudaine et fort opportune en raison, sans doute, de la double qualité de l’intéressé qui est à la fois juriste et leader politique, de surcroît acteur de premier ordre du Mouvement démocratique :
-«Chahana Takiou : N’êtes-vous pas estomaqué par la validation de la candidature d’ATT par la Cour Constitutionnelle ?
-Me Mountaga Tall : Moi, ma conviction est que le Mali aurait gagné si le Général ATT avait démissionné purement et simplement de l’armée. On aurait fait l’économie de tout le débat que nous connaissons aujourd’hui. Cela aurait été un acte hautement patriotique».
Me Tall, mentionnons-le pour l’histoire et par honnêteté intellectuelle, a bien ajouté : «Cela dit, je suis, par principe, opposé à toute forme d’exclusion ,surtout celle qui peut conduire quelqu’un à dire : je suis martyr».
Le politique a certainement vite pris le pas sur le juriste, et la parole d’hier explique peut –être le positionnement d’aujourd’hui ; il n’ y a que les imbéciles qui ne savent pas humer l’air du temps.
L’article 131 de la Loi électorale (144 maintenant), clair comme l’eau de roche, ne souffre d’aucune ambiguïté : «Tout membre des Forces armées et de sécurité qui désire être candidat aux fonctions de président de la République doit démissionner six mois avant l’ouverture de la campagne».
Cette disposition ne parle aucunement de retraite, fût-elle forcée ou anticipée, et ne devrait, si tant est que nous sommes des citoyens soucieux du respect de nos propres lois, prêter à aucune équivoque. Mais l’interprétation abusive, voire rusée qu’elle a reçue pour valider la candidature d’ATT, pose un problème de jurisprudence.
Les décisions de la Cour Constitutionnelle n’étant susceptibles d’aucun recours, faut-il admettre que désormais dans le droit positif malien «démission» et «retraite anticipée» ont le même sens et les mêmes effets ?
Peut-on dire que désormais ceux qui sont interdits de politique par la loi , en l’occurrence les citoyens en uniforme et les magistrats entre autres, rien qu’en allant à la retraite, peuvent briguer des postes électifs ? Que pour ce faire, ils n’auront pas besoin de démissionner en se conformant à la loi ?
Il y a dans cette vision tronquée et dans cette perspective courte, de mon point de vue, un problème d’avachissement de l’intelligence nationale qui se pose à la conscience commune. Le respect des lois, d’abord par ceux qui en sont les garants et ensuite par n’importe quel citoyen, est le pivot principal du trépied sur lequel repose la République.
Pour moi, et je ne suis pas le seul dans le pays, loin s’en faut, la retraite anticipée, qui a permis au Général ATT d’être candidat à la fonction présidentielle en 2002 et qui lui permettra de l’être cette année encore, relève certes, désormais, de l’autorité de la chose jugée, mais elle procède aussi de la volonté délibérée de faire revenir – et de faire perdurer – le général ATT au pouvoir, quitte à «légaliser» la triche. Donc, la situation nous révèle une lacune dans la formulation de la loi, de l’article 131 (144 nouveau) en particulier.
Une lacune cependant source d’injustice corrigible – et c’est heureux ainsi – pour éviter à l’avenir toute manipulation de statut personnel. Si nous partons du postulat que l’erreur commune fait loi, nous devons tout aussi envisager (et comprendre) que la Cour Constitutionnelle n’est pas le siège de petits dieux infaillibles émettant des avis bibliques au dessus de toute erreur.
Mais il nous faut user, pour corriger les lacunes et les insuffisances de la loi, de l’autorité, pas de l’autorité du garde-chiourme, mais de l’autorité d’abord morale, ensuite intellectuelle, politique et citoyenne. Il n’y a aucune honte, aucune dégradation à faire évoluer la loi de manière à prévenir les abus, voire les crapuleries.
Corriger une lacune est préférable à entretenir la confusion des sens, vecteur de désordre dans la démocratie et son corollaire, l’Etat de droit.
Au Sénégal, une de ces lacunes (ou insuffisances) a empêché, 46 années durant, le militaire sénégalais d’être électeur ou éligible, qu’il soit en activité ou à la retraite.
Une reforme hardie de la Loi électorale au pays de Senghor vient de permettre, cette année, aux citoyens en uniforme de prendre part au vote à l’occasion de l’élection présidentielle.
L’histoire universelle nous enseigne que chaque fois qu’un peuple se défausse de ses exigences citoyennes, c’est la porte ouverte à tous les abus, à toutes les dérives . Adolphe Hitler en est une illustration parfaite.
Quand, à partir de 1925, il renforça son parti en créant les SS et de nombreuses organisations d’encadrement, de la jeunesse et d’autres masses populaires, que nous rappellent aujourd’hui les associations et autres clubs de soutien à ATT, il a su camoufler ses velléités dictatoriales. Ce qui lui permit de développer une propagande efficace autour du slogan «Deutchland uber alles» (l’Allemagne au dessus de tout). Son pouvoir consolidé par tant de thuriféraires, de démagogues et de profiteurs, il devient Chancelier en 1933. C’est alors qu’il commença à montrer une autre figure.
Un jour, il interdit subitement les marches sur la Berliner Strasse. Puis, à la surprise générale, il délimita un périmètre interdit dans Berlin, ensuite un autre périmètre et finit par l’élargir à toute la ville et bientôt à toute l’Allemagne.
Les Allemands ne se rendaient pas compte qu’il était en train de confisquer, en réalité, toutes les libertés. Plus d’associations, plus de partis. Hitler est désormais le Führer : tout un programme. Ainsi, venu dans l’enthousiasme et la ferveur, Hitler a créé autour de sa personne un état d’euphorie qui a abouti à ce que l’on sait.
Loin de toute «ATTphobie», il est plutôt question d’honnêteté. Si l’avenir de la démocratie n’est pas compris dans le sens de la continuité de l’Etat, nous courrons le risque de dictatures personnelles ou des lobbies. Si le respect de la loi n’est pas le nœud gordien de la survie de la République, travaillons à l’édification des duchés, baronnies, etc.
Je ne pense pas que c’est ce que nous voulons dans notre conscience de Maliens.
Amadou N’Fa DIALLO
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