Violence en milieu universitaire : Le règne de l’omerta

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Les universités du Mali sont confrontées depuis plus d’une décennie à une très grande insécurité. Cela menace les droits des étudiants et des enseignants. En 2018 ces violences ont entraîné des morts, des blessés, des perturbations de cours et de nombreux dégâts matériels.

 

En 2019 le Mali comptait plus de 84 634 étudiants répartis entre 5 universités publiques et 11 instituts pour environ 1 600 enseignants-chercheurs.

Les étudiants militent au sein d’une association, l’Association des élèves et étudiants du Mali, (AEEM) dont le but officiel est d’améliorer leur condition de vie et études. A la tête de cette association se trouve, depuis 2018, Moussa Niangaly.

La violence constitue l’usage d’une force ou d’un pouvoir contre le gré d’un ou de plusieurs individus dans le seul but de dominer, contraindre, tuer, détruire ou endommager. Elle est donc considérée comme la violation des droits humains.

Parmi quelques définitions de droits humains codifiées par l’Onu les droits de l’homme incluent le droit à la vie et à la liberté. Chacun a le droit à la liberté d’opinion et d’expression, au travail, à l’éducation, etc.… Nous avons tous le droit d’exercer nos droits de l’homme sur un pied d’égalité et sans discrimination. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est entré en vigueur en 1976 et comprenait 165 États parties en août 2017. Il promeut et protège notamment le droit au travail dans des conditions justes et favorables, le droit à une protection sociale, ainsi qu’à des conditions de vie permettant à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre, le droit de toute personne à l’éducation, de participer à la vie culturelle ou de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications.

En conséquent on parle de violence dans la mesure où l’un de ces différents droits sont violés.

L’université est un lieu de formation et de recherches. Cependant, à Bamako, cet espace devient de plus en plus dangereux, avec présence d’armes à feu, d’armes blanches, de vols, de vandalismes, de harcèlements et de beaucoup d’autres formes de violences.

Les violences sur le campus sont d’ordre physique et moral. On rencontre plusieurs formes de violations de droits humains tels que les meurtres, agressions physiques, menaces, perturbation des conditions de vie, de travail et d’éducation. Les chambres sont devenues des entrepôts de couteaux, pistolets, machettes, bâtons et même des stupéfiants. En 2019 le Centre national des œuvres universitaires du Mali (Cenou) avec l’appui du 4ème arrondissement a récupéré 35 armes sur le campus de Badalabougou. Ils ont retrouvé plus de 22 cartes bancaires volées, trois cartes Cenou et quatre cartes d’étudiants de l’ULSHB dans la chambre 78 à l’IUG qui était occupée par les membres du comité AEEM de la FLSL.

Les différents bureaux AEEM sont régulièrement cités dans les infractions, surtout que, très souvent, les violences surviennent à la suite de rixes des opposants eux-mêmes.

Le décès, en 2018, d’un étudiant à la suite d’affrontements entre étudiants à Badalabougou a mis à jour un problème qui était couvert par l’Omerta. Malheur au premier qui le dénoncera !

Toutes les facultés sont exposées à ces manifestations et révoltes d’étudiants.

Un étudiant de la première année à la Faculté d’histoire et géographie a rendu l’âme et un autre a été blessé au cours des attaques inter étudiants le jeudi 4 juillet 2019. C’était suite à un affrontement survenu entre deux clans qui se rivalisaient pour gagner le poste de responsabilité de classe. Un certain Moha et Wagué étaient les deux chefs des clans. Au cours de leurs conflits, plusieurs étudiants ont eu des blessures et beaucoup de motos ont été endommagées. La police du 4ème arrondissement a interpellé des individus sur la scène du crime et récupéré plusieurs armes.

“Etre militant de l’AEEM est un privilège incommensurable au point que beaucoup manquent de respect aux enseignants, à l’administration, presque sans conséquence”, explique un étudiant qui pense que c’est une des raisons qui font que l’on se bat pour être du bureau.

Dans les amphis, les meilleures places sont réservées aux membres du bureau AEEM et à leurs protégés. “C’est comme le partage de la viande à Ségou : la part de Da Mozon est laissée aux charognards. Ici, c’est la même chose : même s’ils ne viennent pas, on préfère s’entasser derrière que de le braver en allant occuper ses place”, témoigne un étudiant.

La Faculté de droit privé Fdpri a traversé une turbulence provoquée par une grève que l’AEEM a décrétée le 17 mai 2019. A cette époque, selon l’information du Docteur MBDD, l’administration avait reçu des menaces de la part de quelques étudiants qui voulaient évaluer des classes sans pourtant travailler au cours de l’année. “Du moment où l’administration n’a pas succombé à la tentation et menace, les membres de l’AEEM ont débarqué un matin sans préavis de grève pour poser des actes de vandalisme en déchirant les pneus de tous les véhicules dans la cour de la faculté”, disait-il.

“Entre nous c’est le rapport entre étudiant et professeurs. Il n’y a pas de problèmes entre les professeurs et nous. Leur mission consiste de nous encadrer et nous avons besoin en retour de leur connaissance. C’est le respect mutuel qui existe entre les professeurs et nous”, a affirmé Moussa Niangaly, secrétaire du comité AEEM.

Des anciens PV de mot d’ordre de grève nous donnent une idée de ces violences passées.

En 2019 a eu lieu des saccages des voitures de professeurs et des menaces de mort proférées contre eux, au point qu’ils ont observé une grève pour attirer l’attention sur leur situation.

“Nous n’encourageons pas les étudiants paresseux. Il faut reconnaitre que souvent certains étudiants sont évalués sans avoir subi les examens. Nous avons dénoncé ces cas. Nous nous battons pour corriger tout ce qui ne donne pas une bonne image de notre université”, a dit le Secrétaire général Moussa Niangaly.

Selon plusieurs témoignages, les étudiants membres de l’Association des élèves et étudiants du Mali sont à la base de toutes les violences perpétrées au sein des espaces universitaires. A travers ces jugements, on retient que ces étudiants sont beaucoup écoutés et soutenus par les plus hautes autorités qui ont été aussi à leur tour des membres de ladite association.

Selon le témoignage des professeurs, les privilèges accordés à l’AEEM renforcent la mauvaise conduite des étudiants.

“La cause est vraiment profonde. Mais c’est avant tout le laisser-aller. L’Etat ne joue plus son rôle. Un étudiant reste un étudiant, mais si les étudiants même dictent leurs lois aux enseignants, cela n’a plus de sens. Il faut que les étudiants se résument à leur droit d’étudier. Quand on leur donne un autre droit qui leur fait penser qu’ils peuvent passer sans étudier, ils se croiront au-dessus de tout”, révèle TP, chercheur à l’université de Bamako. Il ajoute que le pouvoir donné à l’AEEM est plus grand que celui octroyé aux enseignants et à l’administration. De ce fait tout le monde a peur de réprimander ou sanctionner un quelconque membre de l’AEEM.

Le Secrétaire général de l’AEEM, Moussa Niangaly, réfute le fait de mettre sur le dos du seul bureau de l’AEEM, les violences.

“On ne leur apprend pas la violence dans l’AEEM. Ils viennent avec la violence sur l’espace universitaire. Dans certains contextes ceux qui sont violents ne sont pas membres du bureau de l’AEEM. Ils sont le plus souvent les sympathisants ou les nouveaux adhérents du bureau. Je pense qu’il faut sécuriser l’espace universitaire tout en restreignant l’accès des personnes étrangères”, réclame-t-il. Néanmoins il reconnait des militants AEEM très violents.

Pour la gestion des crises et manifestations violentes sur les milieux universitaires, une charte a été signée sur le vivre ensemble dans les institutions d’enseignements supérieurs et les campus sociaux. Cette signature a été effectuée en 2019

Parmi les droits des étudiants décrétés dans cette charte sur le vivre ensemble dans les institutions d’enseignements supérieurs et les campus sociaux, chaque étudiant a droit à la sécurité, au respect et à la liberté d’expression

Le département de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, le Centre national des œuvres universitaires, l’Association des élèves et étudiants du Mali, et les forces de l’ordre ont entrepris des actions dans le cadre de l’apaisement de l’espace universitaire. Beaucoup a été fait, mais il reste encore beaucoup à faire. La sécurisation des périmètres des universités est primordiale. Les punitions strictes et sévères doivent être imposées par les autorités contre la délinquance juvénile. Avant de pointer du doigt l’association, il faut revoir les comportements des enfants de nos jours. La délinquance commence dans les rues avant d’arriver aux universités. Malheureusement nos commissariats ne disposent pas de statistiques, ou en tout cas, ont refusé de nous les communiquer.

“Depuis deux ans toutes nos activités : semaines de l’étudiant, ateliers de formation… sont consacrées à la sensibilisation contre la violence. Le bureau de coordination de l’AEEM, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le Centre national des œuvres universitaires (Cénou) et les forces de l’ordre sont tous en train d’évoluer dans la lutte contre les violences universitaires. Ce combat a beaucoup porté fruit. Et là où nous sommes ces violences ont beaucoup diminué.

Pour lutter contre ce fléau, nous avons organisé des conférences, des journées de sensibilisation, des visites inopinées dans les campus universitaires. Nous avons organisé des semaines d’étudiants auxquelles 80 % des étudiants y participent. Tout ce que nous pouvons faire c’est de sensibiliser. Nous avons l’appui du gouvernement et des forces de l’ordre à neutraliser et à chercher des armes dans le milieu universitaire. Au-delà de ça nous ne pouvons que sensibiliser. La justice nous accompagne également dans la punition sévère des auteurs de violences. Grâce à ces actions entreprises ces actes ont beaucoup diminué”, informe Moussa Niangaly, Secrétaire général de l’AEEM.

“Les sanctions existent. La principale sanction qui consiste la radiation ne marche pas. Même si tu appliques cette sanction, les derniers mots reviennent toujours au ministère. Ces étudiants de l’AEEM ont des bras longs. Les anciens de l’AEEM sont repartis entre les différentes administrations. Donc ces jeunes de l’AEEM trouvent toujours la solution. La seule solution pour les enseignants reste le stylo rouge et notre droit de réserve”, affirme un chercheur TP.

“A chaque coup de feu la police du 4ème arrondissement effectue une descente, interpelle des fautifs qui sont relâchés au bout de quelques moments. C’est compliqué. Tant qu’il n’y a pas de sanctions strictes et que les autorités compétentes ne s’impliquent pas, il n’y aura pas de solution. Je pense qu’il faut pousser le problème jusqu’au niveau de la justice. On a fait comprendre aux étudiants que l’espace universitaire est inviolable et que les policiers ne devront pas y avoir accès. C’est l’autorité qui ne s’implique pas sinon ces enfants ne devraient pas avoir le dessus. Actuellement ce sont eux qui commandent aux enseignants. Il faut appliquer les mesures disciplinaires en donnant le plein droit aux différentes structures d’appliquer les sanctions. Il faut également être rigoureux avec ces sanctions”, poursuit-t-il.

Selon MB agent de la police, à chaque arrestation lorsqu’ils défèrent les détenus au tribunal, ils sont rapidement relâchés sans avoir épuisé la peine infligée.

La police manque d’autorisation pour la surveillance permanente de l’espace universitaire. Il affirme que le sujet sur les violences en milieu universitaire est très sensible et complexe, car, l’école est politisée et les poursuites ne vont jamais loin. “On les arrête aujourd’hui, deux à trois mois après, ils sont remis en liberté. Ces violences surgissent toujours au moment du renouvèlement des bureaux de l’AEEM. Chaque camp veut gagner car il y des avantages”, disait-il.

De nombreuses personnes trouvent que l’AEEM est politisée vue la position actuelle des anciens membres de l’AEEM dans le gouvernement et différents partis politiques.

“Nous sommes une association apolitique. Depuis la création de l’AEEM tous les anciens Secrétaires généraux se sont retrouvés. Ceux-ci sont plus nombreux que les membres de l’AEEM. Ils sont tous des hommes politiques. Le père fondateur qu’est Oumar Mariko est le président du parti Sadi. Lorsque nous organisons des congrès, ce sont ces ainés qui jouent le rôle de facilitateur. En cas de besoin, ils nous prodiguent des conseils. Ils nous viennent en aide grâce à leur ancien statut de l’AEEM. Nouhoum Togo du PDES et l’honorable Moussa Timbiné, président de l’Assemblée nationale, qui animaient nos conférences.

Pour contrer ces fléaux, on sensibilise et interpelle les forces de l’ordre. Une fois que l’Etat nous aide à punir sévèrement ces criminels je pense qu’il y aura moins de violence. Nous demandons l’accompagnement des autorités pour bannir complètement les violences en milieu universitaire”, souligne Moussa Niangaly.

La police interpelle souvent les coupables en cas de violences ou infraction causées. Par ailleurs ces coupables sont subitement relâchés d’un moment à l’autre.

“En tout cas nous n’intervenons pas dans ces cas. Depuis mon élection à la tête de l’AEEM, je ne suis jamais intervenu pour la libération d’un étudiant violent. Souvent la police peut arrêter des innocents sur une scène de violence. En 2018, lors des affrontements, la police a pratiquement embarqué plus de 17 personnes innocentes sur le lieu du crime. Ces personnes arrêtées n’étaient même pas de l’AEEM. Parmi elles il n’y avait que deux étudiants de la FST. On est obligé d’intervenir pour ces cas par contre on n’intervient jamais pour les militants violents de l’AEEM”, déclare Moussa Niangaly.

Selon le Procureur de la République près le Tribunal de Grande instance de la Commune V, quand les procédures arrivent et qu’elles sont et peuvent recevoir un jugement rapide, ils les envoient devant les tribunaux correctionnels qui sont compétents pour juger tous les délits et contraventions. Dans le cas contraire, les crimes sont envoyés au niveau des Cours d’assises et à la Cour d’appel. Cependant ils ouvrent une information judiciaire qui est déléguée par un juge d’instruction qui revient sur les commissions d’enquêtes du commissariat ou de la gendarmerie pour approfondir.

L’argent et le pouvoir de commandement sont devenus les objectifs principaux des étudiants. Cette situation nous renvoie à plusieurs questionnements. A qui la faute ? Qui finance l’AEEM ? Qui leur procure les armes ? Y a-t-il des sanctions strictes infligées aux auteurs ? La question demeure

Fatoumata Kané

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