Mardi 04 novembre. Palais des Sports. L’année 2014-2015 a été déclarée ouverte pour les universités et grandes écoles du Mali au cours de cette cérémonie de grande envergure qui, outre le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, et le Premier ministre, Moussa Mara, a mobilisé nombre d’acteurs du monde de l’enseignement supérieur : recteurs, doyens, enseignants, Etudiants…dont la présence illustre de manière trop voyante l’importance de cet évènement. Et il n’y a rien d’offensant à rappeler que l’enseignement supérieur est aujourd’hui coincé dans l’entonnoir d’une dégradation graduelle, à telle enseigne que, pour parler clair, tous ou presque s’accordent à dire qu’il a été mis à bas.
C’est un fait, le monde de l’enseignement supérieur ne va pas fort. Et dans son discours, le détenteur du portefeuille de l’enseignement supérieur, Mountaga Tall, a procédé à un état des lieux qui laisse pantois : « l’insuffisance d’enseignants en qualité et en nombre ; le faible développement de la recherche ; le manque d’éthique et de déontologie ; les effectifs pléthoriques ; l’insuffisance d’infrastructure d’accueil ; la faiblesse du pilotage et de la gouvernance…A ces problèmes se sont longtemps ajoutées de longues et profondes crises sociales : grèves, rétention de notes, années tronquées, perlées ou blanches…» Dans une telle situation, où tout le monde est en train de battre le même tambour avec les mêmes cris, il faut consommer une bonne dose d’optimisme pour croire au changement. L’enseignement supérieur est indéniablement le symbole d’une inconscience nationale. Il y a une année, dans un article publié sur le site RUE89, la journaliste Sabine Cessou a fait le tour des maux qui ont mis à mal le secteur : corruption, piston, étudiants fictifs, salaires bas (pour les enseignants) et, pour clouer le bec à quiconque, les « Notes Sexuellement Transmissibles (N.S.T) » Elle estime que la corruption à l’université n’est que la partie visible de l’iceberg quant à « ce mal généralisé qui a en partie conduit à la dislocation de l’armée et place le Mali à la sixième, en partant du bas, dans l’index des Nations Unies sur le développement humain. » Et à l’époque, nous avons écrit que Sabine Cessou ne fait pas d’une mouche un éléphant, les phénomènes qu’elle a dénoncés existent bel et bien, même si on peut regretter que les solutions manquent toujours à l’appel. En attendant, dans les universités et grandes écoles, la pensée et la réalité sont uniques, tout ne va pas dans le sens du vent.
Décalage
«La rentrée académique a démarré de manière effective depuis le 1er Octobre dans la plupart de nos facultés et grandes écoles. C’est la première fois même, si mes souvenirs sont bons, que des facultés rentrent avant certaines grandes écoles. Cela s’explique par le fait que tous les examens se sont déroulés, les résultats proclamés et les inscriptions et réinscriptions suivent leur cours normal. », ces propos du Ministre de l’enseignement Supérieur, Mountaga Tall, ont, peut-on dire, été écris par une plume installée dans l’encre de la duperie, en ce sens qu’ils collent fort mal à la réalité. Dire que tous les examens se sont déroulés est acceptable. Ce qui ne l’est pas, c’est dire que partout les résultats ont été proclamés, et que les réinscriptions ont commencé. Cela reviendrait à maquiller la réalité, surtout quand on sait que, par exemple à la Faculté des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage (FLSL), c’est le 30 octobre passé que des classes ont fini avec les examens. A dire vrai, ces propos contribuent à ensevelir davantage l’enseignement supérieur sous un nouveau débordement de mensonge, à le noyer dans le maelstrom des discours à la prudence toute politique, faisant ainsi de cette cérémonie de la rentrée un « fait divers qui fait diversion ».
Mountaga Tall se rêvait –on voyait en lui un – redresseur de l’enseignement supérieur, il est en train de devenir le tâcheron du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, dont on a l’impression qu’il donne dans les discours une image lisse de tous les secteurs, ceux névralgiques compris. Et nous avons décodé le message : au tamis de la duperie, la réalité passe mal. La réalité est enveloppée dans un voile vaporeux, sacrifiée sur l’autel de la prudence et des calculs politiques.
«Fini donc Monsieur le Président, les années tronquées, perlées, en accordéon, blanches ou je ne sais quoi encore ! Il n’y a pas eu cette année même une classe blanche à fortiori une année blanche. Et encore une fois grâce aux responsables académiques, au personnel administratif, aux syndicats et aux étudiants. » Quand l’orage passe, le ciel s’éclaircit. On le sait, dans certaines Facultés il n’était même pas certain que les examens se tiendront aux dates indiquées tellement que le risque d’une année blanche était grand. Le ministre sait-il que dans certains départements, des professeurs parce qu’ils ont été promus à un poste dans un département, n’ont pas dispensé de cours cette année, ce qui a fait que leur matière a été annulée à l’examen ? Le ministre sait-il que certains enseignants vacataires n’ont pas donné cours dans ces 3 derniers mois parce qu’ils sont en grève ? Sait-il que, cette année encore, les étudiants ont attendu la fin de l’année pour avoir ne serait-ce que les trousseaux ?
Insoutenable vie d’étudiant
Chaque année, le modique trousseau de 35 000 et quelques francs CFA, alloué à tous les étudiants réguliers, qui devrait être payé avant la reprise des cours, n’est le plus souvent perçu par les étudiants qu’à la fin de l’année académique. Les bourses sont, quant à elles, sont payées avec 4 à 5 mois de retard.
Cette année n’a fait pas exception. A l’Université des Lettres, des Langues et des Sciences du langage, les étudiants ont passé 3 à 4 mois sans percevoir ne serait ce que le trousseau. Ce véritable dysfonctionnement ne date pas d’aujourd’hui. Il s’agit même d’une composante naturelle de la planète universitaire malienne. Les étudiants s’y sont habitués et n’en font presque plus un problème… Sans trousseau, sans bourse, ils reprennent le chemin des amphis, payent les frais d’inscription, les brochures et autres copies des cours, les chambres sur les campus, la nourriture. Ni le ministère de l’Enseignement supérieur, ni le Centre National des Œuvres Universitaires (Cenou) ne semblent chercher à résoudre ce retard chronique. Plus grave encore, ils se distinguent par leur déficit de communication sur ce problème. Ils abandonnent les étudiants à eux-mêmes, à la merci des difficultés. Comme si cela était normal. Comme si étudier rimait avec galérer.
La bancarisation des bourses, la réforme-division de l’université de Bamako en 4 grandes entités – avaient donné l’espoir aux étudiants que ces failles allaient être balayées tout de go. Mais il est ahurissant, mais vraiment ahurissant, de constater qu’on en est toujours au statu quo. Il n’y a eu aucune éclaircie dans le ciel brumeux et triste de l’enseignement supérieur. Toujours les mêmes difficultés, toujours les mêmes revendications. Celles des étudiants. Celles des profs. Arriérés d’heures supplémentaires, renouvellement des administrations des universités…
N’oublions pas que la non satisfaction de ces revendications en 2011 avait provoqué grèves illimitées, arrêt des activités pédagogiques, refus de corriger les examens, rétention des notes, blocage des concours par les enseignants. Une année blanche.
Ces difficultés n’ont pas été résolues, et si avec tout ça le Ministre, Mountaga Tall, promet une année « normale », c’est qu’il ne vit pas dans la réalité.
Boubacar Sangaré
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