Les détestables conditions de vie tiennent en bonne partie à la gestion de la cité universitaire. "Les recettes du campus sont gérées par le comité AEEM et les problèmes par le CNOU", résume un responsable des oeuvres universitaires.
La cité universitaire de la Faculté des sciences et techniques (Fast) est pleine à craquer. Le visiteur qui y débarque pour la première fois est tout de suite frappé par la chienlit qui règne là-bas. Les dortoirs sont débordés. Pas une seule place vide et des conditions hygiéniques et sanitaires catastrophiques. Au campus de la Fast, comme on le dit, c”est chacun pour soi et Dieu pour tous.
L”endroit est géré par le Centre national des œuvres universitaires (CNOU) mais c”est le comité AEEM de la faculté qui est chargé de son fonctionnement et de son organisation. Son patron s”appelle Ibrahim Lassina Traoré, un étudiant en licence maths. C”est le monsieur le plus important du campus, car c”est lui qui est sollicité pour résoudre tous les problèmes. Ses camarades l”ont surnommé le "monsieur à tout faire".
Quand nous l”avons contacté, Ibrahim Lassina Traoré était très occupé à caser de nouveaux arrivants. "Comme vous le constatez, je suis débordé à trouver des chambres pour les nouveaux étudiants. Pendant que j”étais en train de chercher une place pour un nouveau bachelier venu de Sikasso, une étudiante arrive de Kita. Son cas est spécifique car c”est une handicapée physique. Toutes les chambres sont déjà remplies, mais je suis obligé de les mettre quelque part", dit-il.
Le "patron" du campus nous invite à entrer dans sa chambre, une pièce minuscule, afin d”échapper aux innombrables sollicitations dont il est l”objet. Peine perdue. Notre entretien a été plusieurs fois interrompu par ses camarades. Qui pour demander un service, qui pour signaler un problème ou pour faire le compte rendu d”une situation. Son téléphone portable ne cessait aussi de sonner. "Je m”occupe de tout ce beau monde. Je suis tellement pris par les problèmes que je rate très souvent les cours magistraux. Je suis obligé de me rattraper dans ma chambre en lisant les documents dont je dispose", révèle-t-il.
PLUS DE 1500 ÉTUDIANTS
Le campus de la Fast comporte 16 blocs avec une capacité de 10 chambres chacun. Chaque chambre est occupée au moins par 16 étudiants. Certaines en contiennent 19. Actuellement le nombre d”étudiants qui vivent au campus est estimé à 1500, venant de toutes les facultés. Ce chiffre est une estimation du comité de gestion du campus. Ibrahim pense qu”il est difficile d”évaluer le nombre des étudiants qui sont hébergés au campus car, constate-t-il, beaucoup sont entrés sans passer par la voie légale.
"Le campus est surpeuplé parce qu”il y a beaucoup d”étudiants qui ne se sont pas inscrits à notre niveau. Ils sont venus par le canal de leurs camarades", explique-t-il. C”est le cas de cette étudiante de la Flash. Elle héberge une amie dans une chambre qu”elle partage avec 17 autres filles. "Nous avons toutes les deux fait le lycée de Sikasso. Mon amie est venue tardivement au campus et elle n”a pu trouver une place. J”ai accepté qu”elle vienne dans notre chambre. Nous sommes plus de 19 filles à occuper cette pièce. C”est très difficile, mais on n”a pas le choix. Nous sommes toutes les deux venues loger au campus parce que nous n”avons pas de parents à Bamako", détaille-t-elle.
Et pourtant, les étudiants qui veulent vivre au campus doivent théoriquement remplir certaines conditions. Pour les nouveaux bacheliers, ils doivent remplir une fiche d”inscription et fournir certains documents. Les anciens sont astreints seulement à la fiche d”inscription. Les frais d”inscription annuels s”élèvent à 7500 Fcfa, payables à la commission d”inscription du comité AEEM contre délivrance d”un reçu. Le campus est ouvert aux étudiants maliens venus de l”intérieur et de l”extérieur du pays. "Mais la priorité est donnée aux étudiants de la Fast et à tous ceux qui prennent leurs cours sur la colline", indique Ibrahim qui regrette que l”endroit soit devenu le refuge de toutes sortes de personnes.
Chaque bloc de l”internat est dirigé par un responsable. Ce dernier doit être un étudiant de bonne moralité, responsable, dynamique, courageux et charismatique, nous dit-on. Il est aussi tenu de respecter et de faire respecter le règlement du bloc et de veiller à son assainissement. La vie au campus est soumise à un règlement intérieur établi par le comité AEEM de la Fast. Le règlement impose aux étudiants de respecter une certaine attitude sur le campus. Il est, par exemple, interdit de jeter des aliments solides dans les poubelles et les eaux usées dans les lavabos ou les caniveaux. Le tapage nocturne ou toutes les autres manifestations de caractère populaire sont aussi prohibés. Les contrevenants sont théoriquement sanctionnés conformément au règlement en vigueur.
UN ESSAIM DE CAFARDS
Le patron du campus reconnaît la difficulté, dans les faits, d”appliquer le règlement compte tenu du caractère peu "citadin" de certains étudiants. "Beaucoup d”étudiants du campus sont venus de la brousse. Ils ne respectent pas du tout certaines conditions d”hygiène et ils cassent tout sur leur passage", regrette notre interlocuteur.
Ibrahim nous fait faire le tour de chambres occupées par des étudiantes dans lesquelles sont entassés pêle-mêle lits, habits, chaussures, ustensiles de cuisine. Ces chambres ressemblent plus à des cuisines qu”à des dortoirs. Ici on ignore tout confort et les conditions de vie sont insoutenables. Les toilettes et lavabos sont très sales et, parce qu”ils sont mal isolés, expédient leur puanteur jusqu”à l”intérieur des chambres. Certaines toilettes n”ont même pas de battants et restent ouvertes aux quatre vents.
Plus grave, une colonie de cafards a investi les chambres. "Nous avons du mal à les chasser car ils se reproduisent très rapidement", déplore le patron du campus. Les étudiants, eux, se plaignent de vivre dans des taudis. "On vit ici dans des conditions inhumaines. En réalité ce n”est pas par gaieté de cœur qu”on est là, c”est parce qu”on n”a aucun parent à Bamako qui peut nous héberger", raconte une étudiante en licence lettres de la Faculté des arts, lettres et sciences humaines (Flash). "Nous sommes 16 filles dans une minuscule chambre qu”on est en train de partager avec des cafards. Notre chambre est très sale parce qu”on est obligé d”y mettre toutes nos affaires. Il n”y a pas d”autre pièce où les garder", se désole une autre étudiante.
Les filles se plaignent désespérément de ces conditions difficiles qui peuvent jouer sur leurs études. "Ici on vit dans le désespoir et dans l”incertitude. Il est très difficile de se concentrer car le désordre est partout", se plaint une étudiante de la Fast. Ibrahim pense que la vie au campus est un enfer. "Quand on voit nos bâtiments de loin, ils sont très beaux ; mais quand on y entre, on ne constatera que de la pourriture", dit-il.
ON N”A PAS LE CHOIX
Le problème de nourriture est une autre réalité. En l”absence d”une cantine digne de ce nom, les étudiants sont obligés de manger dans les gargotes privées installées à l”intérieur du campus, quelle que soit la qualité des plats qu”on leur propose. La plupart des filles cuisinent pour elles-mêmes dans leur chambre. Chacune ou presque possède des ustensiles et un réchaud à gaz. Mais le patron du campus est opposé à la présence des bouteilles de gaz dans les chambres, estimant, à juste raison, qu”elles peuvent être à l”origine d”une catastrophe. "J”ai expliqué aux filles le danger que font courir les bouteilles dans leurs chambres, mais elles font la sourde oreille. En réalité, elles ne savent pas où les garder, c”est ça le vrai problème", constate-t-il.
Dans ce contexte rien d”étonnant que tout un commerce se soit développé sur le campus. Le rez-de-chaussée du bâtiment principal a été transformé en un marché où l”on trouve de tout : des légumes frais, des fruits, et autres denrées alimentaires mais aussi des cabines téléphoniques et des secrétariats qui offrent des services publics. Le campus est interdit aux vendeurs et cireurs ambulants. Pourtant ces derniers ont aujourd”hui envahi le lieu.
Les conditions sanitaires sont à l”avenant. L”endroit surpeuplé n”a pas encore une infirmerie digne de ce nom. "C”est nous mêmes qui avons transformé une pièce en une infirmerie gérée par les internes de médecine. Elle fonctionne avec la contribution de tous les étudiants. Les frais d”inscription s”élèvent à 500 Fcfa par étudiant. En plus chacun paie 1000 Fcfa par trimestre", révèle Ibrahim en indiquant que le comité a adressé une liste de doléances aux autorités mais qu”aucune n”a été encore prise en compte. Il énumère entre autres, l”installation d”une cantine et d”une infirmerie dignes de l”endroit, la fourniture de 1000 matelas, la rénovation des lits et des toilettes et des systèmes d”adduction d”eau et d”électricité.
Le Centre national des œuvres universitaires indique avoir pris connaissance de ces doléances, mais son directeur, Abdoul Haïdara, estime que la gestion du campus par le comité AEEM empêche le centre de faire normalement son travail. "La gestion des internats relève théoriquement de notre centre. Mais la pratique est tout autre. Ce sont les étudiants eux-mêmes qui gèrent leur internats et ils font ce qu”ils veulent. Ils ne viennent nous voir que quand il y a de problèmes. Presque toutes les semaines, ils viennent nous soumettre des factures à payer. On les paie parce qu”on n”a pas le choix. On nous a donné instruction de ne pas trop tirer sur la ficelle avec les étudiants", dit Abdoul Haïdara qui mesure parfaitement l”état lamentable du campus de la Fast. "L”internat de la Fast a une capacité de 600 places, mais actuellement on ne connaît même pas le nombre des étudiants qui vivent là-bas", constate-t-il.
NOUVELLES RÉSIDENCES
Sa structure, assure-t-il, s”est toujours occupée des problèmes du campus de la Fast notamment les petits travaux de plomberie et d”électricité. "On change sans cesse les ampoules grillées, on répare les têtes de robinet et les égouts d”eau" énumère-t-il. Abdoul Haïdara impute sans faux fuyant, à la gestion catastrophique du comité AEEM, le grand désordre qui règne actuellement au campus. "Le centre ne s”est jamais mêlé de la gestion financière du campus.
C”est le comité AEEM qui gère les frais d”inscription et soutire de l”argent aux gargotiers et boutiquiers qu”il a installés là-bas. Cette année, ils sont venus nous présenter 2 millions de Fcfa comme frais d”inscription. Si vous multipliez 7500 F par le nombre d”étudiants occupant le campus, vous verrez vous mêmes que le compte est loin d”être bon", commente-t-il avant de résumer la situation par une formule tranchante : "les recettes du campus sont gérées par le comité AEEM et les problèmes par le CNOU".
Le Centre national des œuvres universitaires qui est convaincu qu”il ne pourra récupérer la gestion des internats, envisage de construire de nouvelles résidences universitaires en 2009 pour, explique-t-il, désengorger les infrastructures existantes.
"Ce projet est aujourd”hui très avancé et il y a même un promoteur privé de la place qui nous a fait une offre intéressante". Ce projet prévoit la construction d”un internat sur la colline de Badalabougou d”une capacité de 4000 places et d”un autre sur la colline du Point G d”une capacité de 2000 places. Ce qui fait un total de 6000 places. "Actuellement il y a plus de 60 000 étudiants maliens dont 20 % ont besoin d”être hébergés. La réalisation de ces infrastructures peut répondre à ces besoins", souligne Abdoul Haïdara.
Les projets du CNOU se prolongent en 2012 avec la réalisation d”un internat d”une capacité 12 000 places et en 2015 avec une cité de 30 000 places. "Ces nouvelles résidences universitaires permettront à nos étudiants de vivre et étudier dans des conditions décentes. Il n”y aura pas de surpeuplement car les critères d”accès seront très pointus", assure notre interlocuteur.
En attendant la réalisation de ces infrastructures, les étudiants du campus de la Fast passent actuellement des moments désagréables. Le CNOU envisage d”effectuer certains travaux immédiats. La signature d”un contrat avec la direction des services urbains de voirie et d”assainissement en vue d”assainir le campus entre dans ce cadre. L”exécution de ce contrat, précise le responsable des oeuvres universitaires, permettra d”effectuer certains travaux de rénovation, notamment la plomberie, les circuits électriques et les égouts d”eau. Mais le CNOU ne compte pas pour le moment acheter des lits et matelas ou construire une cantine.
Madiba KÉITA
L”Essor du 20 Mars 2007
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