(L’objet du présent article, le premier d’une série de quatre, est de mettre les acteurs scolaires et universitaires, les gouvernants et les parents d’élèves et d’étudiants au même niveau d’information par rapport à la réforme LMD)
Depuis bientôt une quinzaine d’années, les gouvernements européens se sont engagés dans un processus de rapprochement de leurs systèmes d’enseignement supérieur par la mise en place de l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur. Ce processus, communément appelé « Processus de Bologne » est essentiellement basé sur la refonte des objectifs assignés aux universités dans un contexte de mondialisation. Cette volonté commune des Etats européens d’harmoniser leurs offres de formation et de bâtir une architecture commune des divers systèmes de formation et d’enseignement supérieur, inspirée du système d’enseignement supérieur anglo-saxon, a abouti au lancement en 1998 par l’Allemagne, la Grande Bretagne, la France et l’Italie, de la réforme Licence, Master, Doctorat (LMD) qui concerne désormais plus d’une quarantaine d’Etats de l’Europe continentale. Les Etats d’Afrique francophone ne pouvaient donc plus rester en marge de cette réforme. Ils ont tous senti la nécessité d’harmoniser les concepts liés à la circulation des savoirs et les modèles pédagogiques qui sont « appelés à se côtoyer ou se combiner » sous l’effet de la mondialisation. Aussi, les universités francophones d’Afrique de l’ouest et du centre ont elles jugé urgent d’aller au devant du changement pour anticiper les effets afin de mieux les maîtriser. C’est ainsi que le Conseil de l’Université de Bamako (UB), en sa session du 24 février 2006 a d’une part, donné un avis favorable à l’adhésion de l’Université de Bamako au Réseau pour l’Excellence de l’Enseignement Supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO), et d’autre part, invité le Rectorat de l’UB à entreprendre des actions pour la mise en œuvre du système LMD dans ses différentes structures de formation supérieure. Entre autres réalités qui ont conduit à cette prise de conscience des Responsables universitaires, on peut citer :
- la marchandisation de l’enseignement supérieur, de plus en plus considérée par la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) comme un ‘’service’’ avec des objectifs de rentabilité et de redevabilité vis-à-vis de ses clients (étudiants, parents d’élèves et d’étudiants, et autorités en charge de l’éducation), et de moins en moins comme une mission régalienne de l’Etat. Le savoir, les fruits de la recherche et l’enseignement même deviennent des objets de commerce qui échappent de plus en plus aux politiques publiques et sont par voie de conséquence soumis aux lois du marché, notamment la compétitivité. (cf. Accords Généraux des Services de l’OMC).
- la privatisation par le développement et la reconnaissance d’établissements d’enseignement supérieur privés, très souvent au détriment des établissements d’enseignement supérieur publics.
- la globalisation: la connaissance fondée sur le savoir, tout comme l’économie, devient mondiale dans son orientation, sa portée et son mode opératoire. La commercialisation de l’enseignement supérieur attire les investissements de capitaux, stimule la compétition, génère des profits, et par conséquent participe à la mondialisation de l’économie. Dès lors, la compétitivité d’un pays dépendra de sa capacité à produire et à assimiler des connaissances.
- la responsabilité et l’autonomie : l’urgence d’assurer et de maintenir un enseignement supérieur de qualité par l’adoption et la mise en place de standards académiques de qualité, la nécessité de promouvoir la liberté académique et de s’inscrire dans le cadre de la globalisation deviennent des impératifs pour les Responsables des structures scolaires et universitaires.
- le constat d’échec, plus ou moins accentué selon les pays, du système classique encore en vigueur dans un grand nombre de formations supérieures francophones, surtout en ce qui concerne la préparation des diplômés à leur insertion dans la vie active.
QUELQUES OBJECTIFS DE LA REFORME.
La réforme LMD a pour objectif principal d’aider les universités à mieux remplir leurs missions. Elle vise, plus spécifiquement à :
- assurer une transition harmonieuse entre la vie académique et la vie active ;
- offrir aux apprenants un complément de formation pouvant favoriser leur entrée sur le marché de l’emploi par la diversification des offres de formation et des stratégies pédagogiques ;
- répondre aux défis de la formation par la définition de nouvelles compétences en direction des enseignants-chercheurs, d’où la nécessité d’une transformation en profondeur des pratiques pédagogiques et des méthodes d’évaluation et de suivi des programmes envisagés (deux des cinq recommandations du REESAO, à savoir Enseigner autrement, Etudier autrement, Evaluer autrement, Gérer autrement et Professionnaliser.
- aider les universités à participer pleinement au processus de développement économique et social ;
- permettre aux universités de devenir compétitives par la création de pôles d’excellence.
Cette réforme vise surtout à réduire autant que possible le taux d’échecs dans les différents cycles de formation, tout en mettant l’accent sur les efforts personnels des étudiants. Elle repose de ce fait sur l’autonomie décisionnelle des structures de formation. Sa mise en œuvre ne devrait cependant pas être comme un maquillage cosmétique consistant à vouloir faire du neuf avec de l’ancien (old wine in a new bottle, comme le diraient les anglo-saxons), mais plutôt comme le fruit d’une profonde réflexion sur les offres de formation et les parcours à proposer aux apprenants.
SON ARCHITECTURE
L’architecture du système lui-même comprend trois niveaux de diplôme bien définis, organisés en semestres :
- un premier niveau de six semestres, sanctionné par la Licence obtenue après validation de 180 crédits ;
- un deuxième niveau de quatre semestres, sanctionné par le Master obtenu après validation de 120 crédits après la Licence ;
- un troisième niveau de six semestres, sanctionné par le Doctorat obtenu après validation de 180 crédits après le Master.
Cette architecture est, bien entendu, sous – tendue par :
- une restructuration de l’offre des formations (décloisonnement des enseignements) ;
- une flexibilité des parcours (pour une meilleure adaptation des formations à la demande sociale) ;
- la semestrialisation des enseignements, favorisant ainsi une certaine souplesse dans le système d’entrées et de sorties des étudiants du dispositif ;
- une réduction du taux d’abandon et d’exclusion ;
- la simplification et la lisibilité des procédures de validation des acquis ;
- la mobilité nationale et internationale des étudiants et des enseignants ;
- une internationalisation des cursus d’études : meilleure homologation des diplômes (donc une meilleure employabilité internationale des étudiants) ;
- l’amélioration de l’accompagnement pédagogique et social des apprenants ;
- une meilleure régulation des flux par une orientation mieux maîtrisée et essentiellement basée sur les capacités d’accueil et d’encadrement des apprenants.
Comment assurer une transition harmonieuse du système classique au système LMD ?
Compte tenu du fait que seulement deux établissements d’enseignement supérieur publics, à savoir la FAST et l’IUG, peuvent prétendre avoir basculé d’une manière ou d’une autre dans le système LMD, en dépit des critiques plus ou moins fondées formulées à leur encontre, les recommandations ci-dessous semblent encore d’actualité pour les autres formations supérieures publiques et privées :
- 1. Ne pas planifier la mise en œuvre du LMD du sommet à la base : les aspects relatifs à la mise en œuvre incombent beaucoup plus aux structures de formation, en fonction des compétences disponibles, qu’aux Autorités en charge de l’enseignement supérieur.
- 2. S’inspirer de la recherche collaborative : le travail collégial, aussi bien à l’interne qu’à l’externe, est inhérent à l’élaboration des programmes.
- 3. Développer mutuellement l’apprentissage institutionnel : mutualiser les efforts dans le sens d’un apprentissage institutionnel harmonieux pour assurer un passage sans heurts du système classique, encore en vigueur, au système LMD.
- 4. Eviter une version cosmétique, mais instaurer un contrat social et pédagogique : nécessité d’une transformation en profondeur des pratiques pédagogiques et des méthodes d’évaluation et de suivi des programmes envisagés.
- 5. Transformer les contraintes en ressources : la capacité d’imagination des équipes en charge de la mise en œuvre est une des conditions indispensables à la bonne conduite des programmes.
- 6. Participer à la définition et à la résolution des problèmes sociaux : la conception et l’élaboration des programmes dans le cadre du LMD devront faire appel à tous les acteurs et à tous les partenaires sociaux de l’université. Ces tâches ne sauraient plus être réservées aux seuls universitaires, « détenteurs des savoirs académiques »
- 7. Développer la professionnalisation : la professionnalisation ne peut guère se limiter à la mise en place de filières professionnelles et même simplement professionnalisantes. En effet, l’étudiant ne développe pas seulement des compétences professionnelles dans tel ou tel domaine, il devient un apprenant actif, capable de s’orienter dans un vaste marché, de se mettre en valeur, de compléter sa formation initiale en fonction de ce qu’il découvre de l’espace où il vit. Professionnaliser correspond à un esprit ; ce qui fait que les filières porteuses correspondent à la nécessité d’axer toute formation sur les projets professionnels des apprenants par la définition :
- des objectifs et des activités d’apprentissage en termes de compétences ;
- des contenus de la formation en adéquation avec le marché de l’emploi, mais aussi en lien étroit avec l’auto – création d’emploi;
- d’un schéma de formation prenant en compte la logique des projets tutorés, l’alternance entreprise-université, l’évaluation des stages en crédits capitalisables, bref la possibilité d’acquérir une expérience professionnelle à l’université. Il ne s’agira donc plus pour l’université de se contenter d’une simple adaptation au marché de l’emploi, mais plutôt d’adopter une vision prospective lui permettant de proposer aux étudiants de nouveaux parcours. Les filières porteuses seront, bien entendu, celles qui répondront aux exigences du marché de l’emploi, mais aussi celles qui tenteront de préparer les étudiants à prendre en charge l’avenir des espaces UEMOA et CEDEAO qui seront devenus les leurs.
- 8. Assurer le financement : veiller à ce que la problématique du financement ne justifie pas l’incompétence des Responsables universitaires, et l’absence d’engagement et de volonté politique des décideurs. Il s’agira pour ce faire de créer les conditions favorables afin que les institutions d’enseignement supérieur (Universités, Ecoles et Instituts) jouissent véritablement d’une large autonomie de fonctionnement leur permettant de renforcer leurs structures de gouvernance. C’est à ce prix que les enseignants-chercheurs et les responsables scolaires et universitaires seront tenus comptables de la qualité de leurs « produits » quelque soient les forces ou les faiblesses que ces derniers amènent avec eux à l’université.
La réussite de la Réforme LMD requiert la mise en place dans toutes les Universités et Grandes écoles d’une démarche qualité (à ne pas confondre avec l’Assurance Qualité dans l’enseignement supérieur) caractérisée par:
(i) l’approbation, le contrôle et la révision périodique des programmes ;
(ii) l’évaluation continue des acquis des étudiants ;
(iii) la garantie de la qualité du corps enseignant (intimement liée à l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail);
(iv) des outils pédagogiques et de soutien de qualité pour les étudiants ;
(v) un système d’information performant permettant de traiter de toutes les données ;
(vi) l’information au public.
OBSTACLES LIES AU NON BASCULEMENT DE TOUS LES ETABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT SUPERIEURS PUBLICS.
C’est en décembre 2008 que le gouvernement du Mali a adopté le décret n°790 du 31 décembre 2008 portant adoption du système Licence-Master-Doctorat en vue de transposer la Directive de l’UEMOA concernant l’adoption de la réforme Licence-Master-Doctorat dans l’espace UEMOA.
Le retard pris dans la généralisation du système LMD dans les établissements d’enseignement supérieur publics du Mali, est essentiellement dû :
(i) à l’insuffisance, voire l’absence de financement pour l’organisation des ateliers d’identification des Unités d’enseignement (UE) et de validation des contenus des UE identifiées dans les différents Départements d’Enseignement et de Recherche (DER) par les différents Conseils de perfectionnement (Cas de l’ENI et de l’IPR-IFRA de Katibougou en particulier) ;
(ii) les arrêts des activités pédagogiques imputables d’une part, à la non satisfaction des doléances des syndicats d’enseignants (retard dans le paiement des frais de déplacement occasionnés par les divers ateliers, entre autres) et d’autre part, aux revendications des comités AEEM.
Ce qui a été réalisé à ce jour, l’a été, en grande partie grâce à l’appui financier (équipements et stages de formation) du Service de Coopération et de l’Action Culturelle (SCAC) de l’Ambassade de France à travers la Direction Nationale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (DNESRS), et aux divers financements qu’ont bien voulu mettre à la disposition du MESRS le Département du Développement Social de la Commission de l’UEMOA, dans le cadre du Projet d’Appui à l’Enseignement Supérieur (PAES), et le Bureau Multi pays de l’UNESCO à Bamako..
Pr Salam Diakité
Programme de Formation des Formateurs :
Des critères injustes et imposés pour pousser les détenteurs de DEA à ne pas faire la thèse.
Mis en œuvre il y’a de cela au moins 6 ans, financé par la Banque Mondiale et le Budget national et logé au Rectorat de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques, le Programme de Formation des Formateurs a pour but essentiel de subventionner les Assistants détenteurs du DEA des Universités du Mali à faire la thèse. De sa mise en œuvre à aujourd’hui, il a permis de subventionner de nombreux Doctorants, dont certains ont déjà soutenu leurs thèses. Ce Programme, dans sa conception, ambitionne de mettre à la disposition des Universités du Mali, des chercheurs ou Docteurs afin d’améliorer la qualité de l’Enseignement Supérieur. En effet, selon les diagnostics réalisés par le Département de l’Enseignement Supérieur à l’époque appuyé par les partenaires techniques et financiers, l’un des maux qui minent l’Enseignement Supérieur au Mali, c’est l’insuffisance des chercheurs et Docteurs. Etant donné le nombre très élevé d’Assistants détenteurs de DEA qui n’arrivaient pas à avoir des bourses d’études pour la thèse alors qu’ils avançaient en âge ; le Programme de Formation des Formateurs constituait une aubaine et un tremplin pour de nombreux Assistants. Notons aussi, que le Programme permet aussi de palier à long terme aux nombreuses dépenses de l’Etat dans le cadre du payement des heures supplémentaires.
Malheureusement cette année, c’est la grande déception. L’espoir commence à s’assombrir avec la décision de la commission d’octroi des subventions regroupant les Recteurs et Vices Recteurs, les Doyens et Vices Doyens, le Coordinateur du PFF et d’autres personnes ressources. La commission qui s’était réunie les 27 et 28 février 2013 a décidé d’instaurer des critères de limite d’âge maximum à 40 ans.
Ce critère de limite d’âge de 40 ans est injuste, dictatorial et arbitraire pour plusieurs raisons :
– De sa mise en œuvre jusqu’en 2012, des Assistants de 50 ans ont été subventionnés et continuent à être subventionnés.
– Cette limite d’âge de 40 ans n’a pas été au préalable communiquée dans les Facultés et les DER afin que les éventuels chercheurs soient préparés psychologiquement à ne pas déposer leur dossier pour postuler.
– Ce critère n’a pas tenu compte de l’âge de recrutement dans la Fonction Publique de l’Etat des Assistants avec DEA ou Doctorat qui est de 40 ans. Du coup pour que la commission soit respectueuse des textes de la Fonction Publique, elle doit revoir son critère d’âge limite ou c’est la Fonction Publique qui doit revoir son âge limite de 40 ans à 38 ans au moins.
Face à cette situation, les personnes concernées ont manifesté leur mécontentement auprès de la commission qui a motivé sa décision par sa volonté de rajeunir la race des chercheurs en adoptant cette mesure discriminatoire. Sauf que cette mesure est sans fondement puisque l’âge limite pour bénéficier des bourses Chinoises et Russes pour la thèse est de 45 ans. Aussi, vus les parcours scolaires et universitaires des jeunes maliens, ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir son DEA à bas âge. En analysant cette situation, plusieurs constats se dégagent. Premièrement, c’est que les Professeurs de Rang A qui bénéficient de beaucoup d’avantages dans l’enseignement supérieur ont peur que leur cercle ne s’augmente, par ricochet, ils freinent l’arrivée massive des nouveaux docteurs. Deuxièmement, Il convient de se demander si le Fonds du Programme de Formation des Formateurs est bien géré ?
Enfin pour terminer, malgré les cris de cœur, les amertumes et les frustrations lancés par les « Exclus » du Programme, la commission reste sourde à leur détresse. Quant au syndicat (le SYNESUP) et le Ministère de l’Enseignement Supérieur, ils n’ont rien fait pour le moment. Si la situation reste comme ça, ils auront tous contribué à la détérioration de la qualité de l’Enseignement Supérieur au Mali.
Sambidja DRAME, Assistant à la FSJP