En abordant la problématique du devenir au Mali, l’on ne peut s’empêcher de verser de la sueur froide, tellement le trou dans lequel nous sommes tombés est profond et rocailleux. Il ne sera pas question pour nous ici de nous engager dans une analyse globale de ce déclin de notre pays du fait que les causes d’un tel désastre sont multiples et variées. C’est pourquoi, nous tenterons de lever un pan de ce cataclysme en l’occurrence le désastre de l’école malienne et donc de notre système éducatif dans son ensemble.
Il convient d’abord de rappeler que l’école malienne vient de loin comme l’indique à suffisance l’audacieuse et patriotique réforme du système éducatif national opéré en 1962 sous l’impulsion du régime nationaliste du Président Modibo Kéita. Cette réforme avait consacré au Mali, il faut le dire, un enseignement de masse et de qualité à la portée de tous les enfants du pays sans discrimination aucune. Cette réforme a fait de l’école malienne une école pilote dans la sous-région ouest africaine et en Afrique dans son ensemble. Les résultats réalisés ont honoré le Mali, son gouvernement et tous les pays amis. Les cadres sortis de nos écoles et ayant bénéficié de l’application de cette réforme faisaient la fierté de tout notre peuple travailleur partout en Afrique et dans le reste du monde. Jusque dans les années 80, la réforme a continué à produire des cadres de renommée internationale et cela en dépit du processus de désertification intellectuelle entamé par l’apache régime de Moussa Traoré.
Le 26 mars 1991 avait fait renaitre l’espoir chez les Maliens que non seulement le processus de désertification va s’arrêter mais aussi et surtout que l’école malienne connaitra un changement radical en vue de fonder un citoyen nouveau capable d’inventer l’avenir du Mali victime de la tempête du régime Traoré. Hélas, la grosse montagne a accouché d’une souris minable et ce n’est pas la Nouvelle Ecole Fondamentale (NEF) qui nous démentira.
En fait, par le truchement de cette réforme à la base de notre système éducatif national, l’école fondamentale est entrée dans un tourbillon de médiocrité sans pareil : les passages en classes supérieures, au lieu d’être déterminés par les conseils des enseignants, sont désormais déterminés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Ce qui comptait donc pour les princes du jour c’était les pourcentages de passage et de scolarisation (notamment des filles). Un folklore organisé par les institutions financières internationales et les gouvernants maliens aux dépens des enfants des masses laborieuses de notre pays.
En 1994, certains journaux avaient alerté le peuple quant au processus de privatisation de l’école malienne à compter de la classe de 7ème année fondamentale. C’était la couleuvre avalée par les autorités maliennes pour tuer notre Ecole. Trois ans après son début d’application à notre système éducatif national, la NEF a atteint toutes ses limites objectives d’où son abandon prématuré par nos autorités.
Comme on le voit, ces responsables maliens ont sacrifié l’école malienne sur l’autel des billets de banque venus d’occident capitaliste, faisant ainsi de notre pays le banc d’essai de méthodologies d’enseignements importées pour désorienter notre école avant de la tuer avec la bénédiction du régime Alpha qui n’avait réellement que faire du devenir de l’école malienne. Cette chute vertigineuse de notre école a été accompagnée par des grèves à répétition de nos élèves et des syndicats d’enseignants. La suite n’a échappé à personne : l’école malienne a été politisée à cause des prébendes ignobles.
En lieu et place de cette déconfiture du système éducatif national, le PRODEC (Programme décennal de l’éducation et de la Culture) a vu le jour entrainant avec lui, la suppression de la bourse dans nos écoles secondaires. Pendant ce temps, l’Etat malien a trouvé le moyen de se désengager de l’école au profit de l’enseignement privé. La conséquence n’échappe à personne ; la formation dans nos écoles a cédé le pas à la marchandisation tout azimut de tout ce qui se rapporte à l’école. Comme pour dire que depuis la chute de Moussa Traoré, la déperdition scolaire, la baisse tendancielle du niveau de nos élèves et étudiants n’ont fait que s’approfondir.
C’est au regard de ce tableau suffisamment sombre de notre école qu’est née l’Université du Mali et cela de façon prématurée sans que les conditions requises pour un enseignement qualitatif ne soient réunies. Là aussi le cafouillage semble inédit : des années colmatées, entraînant des cumules d’années académiques sans queue ni tête. Les effectifs pléthoriques dans les salles ne peuvent servir un enseignement de qualité. Les inscriptions dans nos facultés donnent lieu à des désordres indescriptibles. La corruption a dangereusement gangrené notre université.
A tout ce lot de léthargie observée dans notre université, il convient d’adjoindre l’insuffisance criarde de professeurs qualifiés capables de conduire de façon efficiente la formation de nos étudiants. Etant entendu que les programmes enseignés au fondamental sous le vocable de curriculum et au secondaire sous l’appellation d’Approche par compétence (APC), n’ont pas leurs répondants dans nos universités, il ne faut pas s’attendre à la bonne exécution desdits programmes quand on sait que les séminaires de formation organisés à l’intention des enseignants en charge d’exécution, ne reçoivent pas de formation sérieuse, faute de formateurs qualifiés.
Par exemple au fondamental, ceux qui doivent enseigner le curriculum, n’ont pas reçu de formation adéquate. Mais il ne peut en être autrement quand on sait que les formateurs choisis pour le besoin de la cause traînent derrière eux des lacunes colossales qui ne peuvent que les conduire à patauger véritablement. Il faut dire en passant que le curriculum et l’APC sont en expérimentation dans notre pays parce que le Mali est un champ d’essai des méthodes innovatrices dans le domaine des politiques d’enseignement.
Pour pallier à l’insuffisance des professeurs, l’Etat procède au maintien à leurs postes des professeurs devant aller à la retraite, avec des heures supplémentaires suffisamment coûteuses. Comme pour dire que la relève ne nous semble pas assurée. D’autres parts, le système Licence- Master-Doctorat (LMD) dont on vante les vertus est tout sauf assimilé à bon escient dans nos universités (allez en savoir davantage).
Par ailleurs, à cause de la très mauvaise organisation des années académiques, bien de facultés se contentent de la session unique pourtant préjudiciable à la bonne formation de nos étudiants. Face à ce désastre de l’école malienne, que faut-il donc pour redonner confiance à notre système éducatif ?
Sans être exhaustif, il faut :
– former adéquatement les formateurs qui, à nos yeux, ne peuvent produire les bonnes graines pour inventer l’avenir sans une formation adéquate ;
– réviser fondamentalement le PRODEC qui n’assure pas jusqu’ici la bonne formation à nos enfants (la baisse tendancielle de niveau est là pour le prouver) ;
– que l’Etat change carrément sa politique de coopération en matière d’éducation en vue de dire enfin que notre pays ne peut plus continuer à être le cobaye des puissances ex-colonisatrices au motif d’un besoin d’innovation de notre système d’enseignement ;
– pour assurer la relève de demain, l’Etat doit recourir à des professeurs principaux des écoles secondaires non seulement qui n’ont rien à envier aux «docteurs», mais aussi parce qu’ils sont moins coûteux et plus abordables ;
– un autre modèle d’enseignement privé compétitif, rigoureux et complémentaire de celui que reçoivent les apprenants dans les établissements publics ;
– certes, nous apprenons mieux dans nos langues nationales mais pas de façon plaquée et non préparée. Pour tout dire, il est temps de travailler à entreprendre une véritable refonte de notre système éducatif et donc avant tout de l’école malienne.
Fodé KEITA