Le directeur national de l’Enseignement fondamental a annoncé la fermeture de plus de 1 300 écoles à la date du 31 mars 2021 sur l’ensemble du territoire national. Les localités concernées sont Gourma Rahouss, Ségou, Sikasso, Koulikoro, Koutiala, Kayes et Tombouctou. L’éducation malienne est considérablement impactée par la Covid-19, le retard lié au programme scolaire et la fermeture d’une multitude d’écoles due aux menaces proférées par des djihadistes. L’école fermée, l’enseignant au chômage.
La situation d’insécurité à l’intérieur du pays est très alarmante. Ainsi la rentrée scolaire 2020-2021, qui n’a été effective que le 25 janvier 2021, n’a pas concerné plusieurs écoles tandis que les examens de fin d’année se préparent pour le mois de juillet.
« A ce jour, nous avons 100 écoles fermées qui sont fréquentées par 14 265 élèves dont 6067 filles. Parmi ces écoles dans la région de Ségou, il y a 76 écoles fermées à Farako, 20 à Niono, 3 à Markala et 1 à Macina », selon le décompte fait par Itous Ag Ahamed Iknane, directeur de l’académie de Ségou.
Un confrère informe que dans la région de Sikasso à Yorosso, au moins 8 500 enfants, répartis dans 44 établissements scolaires, sont privés d’école. Selon un enseignant à Gao, les écoles sont fermées dans beaucoup de communes. « En dehors des communes de Gao, Asongo, Soni Aly Ber, Gounzoureye et Bourem-ville, les écoles sont fermées dans le reste des localités. Ces fermetures sont liées à l’insécurité, au manque de salles et à l’abandon de postes des enseignants ».
« Franchement, les conditions de sécurité manquent dans ces localités et il n’y a pas de possibilité d’accueillir tous les élèves dans la ville de Gao car les écoles qui fonctionnent sont toutes remplies. Même dans la ville de Gao les enseignants abandonnent » indique-t-il.
Une source syndicale à Tombouctou confie qu’il y a près de 117 écoles fermées dans le cercle de Goundam. Les enseignants sont en abandon de poste et en raison de l’insécurité, les coordinateurs syndicaux leur demandent de rester sur place en entendant que le directeur du cap procède au redéploiement.
« Plusieurs écoles sont fermées dans le Gourma et dans le Haoussa. Nous sommes redéployés dans la ville de Niafunké. Les directions sont brûlées par les djihadistes », explique Houseini, enseignant à Niafunké.
Dans la région de Tombouctou, 179 écoles sont fermées : 32 au cap de Diré, 29 à Goudam, 28 à Gourma Raouss, 37 à Nianfounké, 35 à Léré et 18 dans la ville de Tombouctou.
Notre source à Tombouctou ajoute que l’ors d’une concertation, l’Unicef a rassuré qu’elle était prête à financer la réouverture de 100 écoles. Ils ont commencé par un recrutement d’enseignants pour ouvrir certaines écoles. Les nouvelles rencontres sont prévues avec les chefs des localités pour chercher des solutions de réouverture des classes.
« En février, les djihadistes ont fermé les écoles dans le cercle de Yorosso et dans la Commune de Bourey. Actuellement c’est le même scénario à Gourma à la frontière de Rahouss. A Sikasso, ils ont fermé des écoles. La réouverture de certaines classes était conditionnée à l’introduction de l’enseignement de l’arabe. A Niafunké, dans une bonne partie des écoles qu’ils ont rouvertes, les enseignants dispensent les cours en arabe pour une heure et les autres heures sont consacrées à l’enseignement classique tandis que dans d’autres parties de la région, l’enseignement classique est tout simplement écarté. Enseigner en langue arabe n’est qu’un simple prétexte pour imposer l’enseignement coranique. Les enseignants sont surveillés de prêts pour les empêcher de dispenser les cours. A ce rythme, les gens abandonneront l’enseignement classique pour échapper aux menaces et à la colère des djihadistes », explique Almoudou Touré, secrétaire générale du Syndicat de l’éducation national.
L’enseignement coranique imposé
Selon un média de Ségou, seules les 22 medersas fonctionnent dans le cap de Farako. Les écoles classiques y restent fermées. Depuis 2017, dans la Commune de Bellen, il n’y a pas de cours.
Plus de 60 écoles sont fermées à Koutiala, a communiqué le directeur de l’académie d’enseignement de la région lors d’une attaque des djihadistes le 20 avril 2021. La privation des enfants de l’éducation est devenue une question urgente interpellant tous les acteurs de l’éducation.
« En tant que parents d’élèves, nous sommes vraiment dans la désolation et dans l’inquiétude. L’insécurité a gagné le terrain et échappe au contrôle de l’Etat notamment la zone de Farabougou, le nord Gourma, Macina, tout le nord et centre. Même à Bamako nous sommes inquiets si Koulikoro aussi n’est pas devenue une zone rouge », s’exprime Oumar Togo, enseignant à la retraite, secrétaire de la Fédération nationale des parents d’élèves et étudiants du Mali (Fenapeem).
Pour la continuité scolaire des enfants, Pr. Togo appelle au rétablissement de l’ordre, à l’accalmie et à la sérénité tout en mettant les enseignants dans les conditions. « Ce n’est que dans un climat social apaisé qu’on peut travailler et l’Etat doit prendre en compte les revendications des enseignants. Nous interpellons les autorités et les enseignants pour qu’ils fassent preuve de responsabilité et de patriotisme. Le civisme doit être de rigueur pour toute la population. Le cri de cœur qu’on lance c’est d’aller le plutôt possible à la paix. On constate que les accords qu’ils ont toujours signés sont des accords de façade. C’est-à-dire les réels djihadistes ne sont pas au cœur de ces accords. Nous sommes désolés de voir que l’Etat ne s’assume pas. Ils n’ont pas la bonne politique militaire », soutient-il.
Comme solution, le secrétaire général du syndicat suggère de redéployer les enseignants et les élèves dans les zones sécurisées pour la continuité des cours.
Mais une autre contrainte risque de s’opposer à cette alternative. Il s’agit de l’attachement émotionnel des parents à leurs enfants. A cause de cette affection et la peur au ventre, ils préfèrent se soumettre aux conditions des djihadistes qu’est l’insertion de l’enseignement coranique dans les établissements pourvue que les enfants restent près d’eux.
Les djihadistes qui profèrent des menaces dans les établissements sont très mobiles et minoritaires. Mais ils arrivent à terrifier et influencer la population jusqu’à pouvoir établir des sources fiables parmi eux qui les informent des moindres faits et gestes des directeurs et enseignants. Malheureux est celui qui collabore avec les militaires et qui s’entête à rouvrir les écoles.
« C’est des zones où l’Etat ne contrôle pratiquement rien. Le gouvernement n’a pas les moyens de mettre les agents de sécurité devant toutes les écoles mais il doit pouvoir constituer des équipes mobiles de sécurité par zone. Cela pourra coûter cher mais pour la continuité de l’apprentissage, l’Etat peut voir comment amener les élèves victimes dans les endroits sécurisés. Il sera obligé ainsi de prendre en charge leur logement, nourriture et bien d’autres », suggère le porte-parole du syndicat des enseignants.
Des enfants enrôlés dans le djihadisme ?
Il faut noter que les séries de grèves, la pandémie à coronavirus ont impacté négativement la qualité de l’éducation des élèves. A tous ces facteurs, s’ajoute la fermeture des écoles due à l’insécurité sur une grande partie des régions du pays. Les dégâts sont énormes pour la vie et l’avenir des enfants.
« Les enfants n’ont pas pratiquement d’avenir et leur niveau baisse de plus en plus. Ces turbulences ne font que favoriser la délinquance. Nous sommes inquiets pour ces élèves qui ne vont plus à l’école, qui ne soient pas enrôlés par les djihadistes pour se rebeller. Les djihadistes ne font que recruter les mercenaires un peu partout. On remarque généralement que tous les djihadistes qu’on arrive à tuer sont des jeunes », déplore le porte-parole des parents d’élèves.
Pour Almoudou, porte-parole des enseignants, la fermeture des écoles n’est pas fortuite car il y a une politique derrière que les djihadistes visent certainement. « Ces gens calculent tout. L’école est la lumière par excellence car si l’enfant est à l’école, il est occupé et n’a pas le temps de passer à autre chose. Mais lorsqu’ils ferment les écoles, ces petits sont livrés à eux et en ce moment ils les récupèrent pour faire d’eux leurs combattants. Ils ont de l’argent et peuvent facilement motiver ces enfants et leurs familles à partir de l’argent. Les enfants deviennent les soutiens des parents et ceux-ci deviennent d’offices alliés des djihadistes. C’est ainsi qu’ils obtiennent des indicateurs », précise-t-il. D’après ses informations tous les enfants arrêtés pour des cas de braquages à Ménaka, après les vérifications sont tous des jeunes élèves.
D’après nos informations, généralement deux ou trois individus à moto et armés interdisent les cours dans les établissements parfois en détruisant tous les documents administratifs. Ils ne débarquent jamais sans avertir les enseignants avec des menaces.
« Les enseignants des zones d’insécurité nous alertent toujours d’être victimes d’otages, de dépouillement de biens et de graves menaces reçues sur leurs lieux de travail. Conscient de l’ampleur de l’insécurité, on leur demande de se mettre à l’abri. Si l’Etat n’est pas en mesure d’assurer la sécurité face à trois individus armés, l’enseignant n’a pas pour rôle de prendre les armes car il se limite à enseigner. C’est inquiétant si en plus du nord et du centre, les régions du sud sont pénétrées par des individus armés. C’est incompréhensible si les gens arrivent à fermer des écoles durant un mois à moins de 30 Km de Sikasso. A Kita tout près ils ont fermé des écoles », affirme Almoudou Touré, Secrétaire général du SNEFCT.
L’Unicef en fin mars 2019, a indiqué que plus de 866 écoles fermées au Mali dont un total de 260 000 enfants privés d’éducation. En novembre 2020, il rapporte que 1344 écoles restaient fermées.
L’éducation figure parmi les droits universels de l’Homme qui est mentionné dans divers traités nationaux et internationaux tels que la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ou encore la Convention relative aux droits de l’enfant en 1989. Selon l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, toute personne a droit à l’éducation. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’éducation de l’enfant favorise le développement social, économique et culturel d’une société.
Fatoumata Kané