C’est peu dire que pendant la période des inscriptions, la planète universitaire malienne est comparable à un marché de honte, où l’incongruité devient aussi une norme. Certains étudiants, membres du comité aeem qui a charge d’organiser ces inscriptions, n’ont pas l’ombre de la crainte d’user de leur statut pour verser dans une immense opération de corruption, au détriment d’autres étudiants friands des convenances, du bon sens.
Pour qui a un souci élevé de l’hygiène morale et mentale, le seul chemin qu’il serait malheureux d’emprunter est celui qui mène à ce qu’on appelle, grande malhonnêteté, « la colline du savoir » pour designer l’ensemble des universités de Bamako. On le sait, cette période dans nombre de Facultés, resté occupée par les inscriptions notamment des nouveaux bacheliers qui, pour la plupart, se trouvent ainsi engagés dans un processus de découverte d’une terre inconnue , où ils débarquent en véritables étrangers. Mais véritablement nourris aux réalités déconcertantes de ce milieu que certains aînés se font un plaisir de leur raconter, ces bacheliers qu’on appelle non sans ironie les ‘’bleus’’, comprennent sans grand mal que dans la planète universitaire malienne, en toutes choses, le piston est plus que vraisemblablement une nécessité fatale.
Le recours obligatoire au piston
« Je suis là depuis 5 heures du matin. Les listes sur lesquelles on nous a fait écrire nos noms ont disparu bien avant le lever du soleil. Deux jeunes qui disaient être de l’aeem nous ont soutiré mille francs pour nous aider à retirer les fiches d’inscription, avant de disparaître. Je n’ai plus rien, si ce n’est les frais d’inscriptions (6.000 francs) », me confiait il y a quelques jours Halimatou S., désireuse d’étudier le droit, mais en peine sérieusement de s’inscrire à la Faculté de droit privé. Daouda, qui, à sa grande amertume n’est pas parvenu à s’inscrire à la Faculté de droit privé, s’est vu dans l’obligation de se rendre à l’ENA-centrale où s’inscrivaient les bacheliers ambitionnant d’étudier le droit public, a déclaré qu’ « ici comme à la faculté de droit privé, c’est le même problème. Si tu veux t’inscrire sans trop de problèmes, il faut donner de l’argent à ces membres de l’aeem, ou bien aller te faire voir ! Pas question de se mettre en rang devant le guichet; tout se règle dans les coulisses. Om me l’avait pourtant… »
Il est clair que ces témoignages, à eux seuls, font prendre conscience que dans le secteur de l’enseignement supérieur, surtout, l’Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM) à cause de certains membres scélérats, est en passe de devenir un mal absolu du fait justement que, pendant ces périodes, certains responsables du mouvement se signalent négativement en se rendant coupables d’actes qui ne leur permet pas du tout de gagner l’estime de ces bacheliers ou de n’importe quel autre étudiant. Parfois, en observant leurs faits et gestes, l’on a le lourd sentiment que la corruption est aussi une norme, pour ne pas dire une matière qui s’enseigne à l’université. Tout passe par le piston ! Voracité, violences, insultes faciles : il ne fait aucun doute que l’aeem, qui n’a pas encore fini d’alimenter la chronique bamakoise, compte encore dans ses rangs des cancres continuant de danser au son du tam-tam de l’égarement. Il faut donc persister à croire que le nouveau secrétaire général du bureau de coordination, Ibrahim Traoré, n’est toujours pas parvenu à donner un nouveau cap, une nouvelle orientation au mouvement. « L’aeem était comme le pays avant, maintenant elle s’ouvre comme le pays s’ouvre », a un jour laissé entendre Ibrahim Traoré au cours d’une conférence de presse, où il s’est engagé dans des révélations fracassantes destinées à mettre à nu les tares du mouvement sous la direction de son challenger Hamadoun Traoré*, l’ex-secrétaire général. Aussi est-il difficile de résister à l’envie d’écrire que ce jour, nombre de confrères étaient d’avis qu’il a visiblement l’intention de nettoyer les écuries d’Augias en s’attaquant à la corruption qui ronge le mouvement. Mais le comportement qu’affichent « les comités aeem » de certaines facultés sont de nature à inquiéter, à telle enseigne que l’on a l’impression qu’il faut consommer de bonnes doses d’optimisme pour croire au changement tant promis. Un comportement qui traduit un mépris souverain à l’égard des étudiants qui disent n’en plus pouvoir d’une ‘’aeem’’ incompétente, voire incapable. Bien entendu, ce comportement ne date pas d’aujourd’hui et c’est pourquoi aussi il a la vie dure.
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue aussi, c’est que l’incompétence ou l’incapacité ne concerne pas que l’aeem, elle s’étend à cette administration qui a laisse faire et qui continue à laisser faire. Et encore une fois, l’aeem n’est autre que le reflet d’un pays où les voyous sont devenus des archétypes pour une jeunesse désorientée, sacrifiée sur l’autel des intérêts personnels. Un pays où les valeurs éthiques les plus simples sont les moins observées, les sales mentalités régissent la conduite. C’est pourquoi il n’est en rien exagérer de dire que la situation que connaît le pays actuellement tire l’une de ses sources dans la « bazarisation », comprendre l’état de totale dégradation , du monde de l’enseignement supérieur. Les mentalités n’ont pas évolué, les mêmes comportements se répètent, et l’enseignement supérieur sera maintenu enfoncé dans la même situation.
Cela étant, le besoin s’impose d’en appeler au ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, aux administrations des différentes universités pour qu’ils prennent la mesure de la souffrance faite aux étudiants dans le déroulement de ces inscriptions et s’impliquent davantage afin de parer à ces inconvenance, corruption et favoritisme qui gangrènent la planète de l’enseignement supérieur malien.
(*) Il est détenu à la maison d’arrêt central de Bamako
Boubacar Sangaré