Toutes les analyses convergent, la situation actuelle du Mali est désastreuse, et n’a fait que s’aggraver depuis une dizaine d’années.
Il en résulte un pessimisme marqué des maliens et des maliennes quand à l’avenir de notre pays ; la population est de plus en plus découragée.
Conscient, de la gravité de cette situation, j’analyse en profondeur les problèmes de l’Université du Mali.
Le système éducatif malien est en crise aiguë, à tous les niveaux d’enseignement. Sa réhabilitation interne est indispensable pour lutter contre la corruption, la gabegie et le laxisme, pour instaurer le service public et piloter son développement. La priorité exclusive donnée à l’école de base est-elle la bonne solution quand l’enseignement secondaire est fossilisé, l’enseignement technique et professionnel en panne et l’enseignement supérieur dans un Cul- de- sac ?
L’Université du Mali née après l’indépendance, a 18 années à peine, mais elle est déjà menacée d’asphyxie.
Tant d’espoirs avaient été placés en elle que la désillusion générale, aujourd’hui, n’en est que plus cruelle. Constituant le sommet des pyramides éducatives nationales, elle devait en être la voie royale de l’élite intellectuelle, elle est devenue le Cul- de- sac des diplômés chômeurs. Le développement économique avait beaucoup à attendre de la formation supérieure des meilleurs produits des systèmes éducatifs. On se demande partout maintenant que faire d’une institution dangereusement pléthorique, excessivement budgétivore et presque entièrement coupée des réalités nationales. Une interrogation aussi désespérée est le dramatique point culminant de la réflexion qu’il faut absolument étendre la totalité du secteur de l’éducation, non pour se morfondre davantage sur l’impasse généralisée, mais au contraire pour essayer de dénouer la crise dans sa globalité. Les stratégies en cours qui consistent à choisir des priorités d’action par niveaux d’enseignement, en commençant toujours par le bas de la pyramide, révèlent aussi bien le désarroi face à la crise extrême que l’impuissance à y remédier. On ne cesse de clamer que l’Université doit se recentrer sur la vie nationale pour servir le développement, mais les Universitaires restent très attachés à leurs privilèges et ils ne tiennent pas à sortir de leur tour d’ivoire.
Les bacheliers savent que les études supérieures n’offrent que très étroites perspectives d’emploi, mais ils s’engouffrent, chaque rentrée académique, dans les filières bouchées. Le gouvernement est parfaitement conscient de la sensibilité explosive des campus, mais il ne cherche qu’à régler dans l’urgence les difficultés à caractère socio- politique. L’ambigüité Universitaire se vit désormais partout au quotidien.
Ce n’est qu’en mettant les pieds dans le plat qu’on exposera la problématique de l’enseignement supérieur dans le système éducatif global et l’on ne pourra sortir de l’impasse générale qu’en traitant en même temps la redéfinition de l’école de base malienne et la réorientation des niveaux secondaires et supérieur. Il est aberrant de toujours séparer la réflexion sur l’avenir des Universités maliennes, confirmée entre les spécialistes du supérieur, et celle de l’éducation fondamentale, également réservée à d’autres spécialistes, sans parler des niveaux intermédiaires qui ne font qu’occasionnellement l’objet de débats eux- mêmes spécialisés pourtant tout aussi prioritaires. La résolution des problèmes d’un sous- secteur est inconcevable sans la prise en compte des situations scolaires environnantes et il faut se persuader que l’issue de la crise Universitaire est, plus que jamais, indissociable de la restructuration d’ensemble de l’institution éducative.
La mise en évidence des paradoxes qui paralysent l’enseignement supérieur convaincra de la nécessité d’une approche systémique, autant pour avoir une vision globale de la formation des ressources humaines que pour rechercher quelques premiers éléments institutionnels de la sortie de crise. Après les deux premières décennies tranquillement vécues, les possibilités d’adaptation et les perspectives de développement des Universités n’ont été que mollement débattues pour, finalement, en arriver à ce constant actuel d’asphyxie. L’Etat de grâce universitaires des années passées et la fuite en avant qui a suivi ont été un piège pour tous : professeurs et étudiants aujourd’hui en surnombre et bloqués, gouvernement avec une poudrière à gérer. A ce point de gravité, mieux vaudrait faire flèche de tout bois et compter d’abord sur les solutions internes puisque, en définitive, le SYSTEME EDUCATIF EST UN GROS SERPEENT QUI SE MORD
La lune de miel qui avait vu de belles Universités construites, des organisations académiques prometteuses et un solide réseau de liaisons scientifiques tissées entre les institutions maliennes et françaises, la crise économique et la poussée démographique ont peu dérangé l’ordonnancement initial. Les conditions de travail se sont détériorées, les critères de sélection ont été progressivement détournés, beaucoup de diplômes se sont alors dévalués et les équivalences internationales, en conséquence, effrités. En dépit de généreux appuis externes pour conserver la lignée universitaire et maintenir, coûte que coûte, un niveau honorable des enseignants, la dégradation était inévitable ; ce qui devrait être le fer de lance du développement est devenu la perpétuation de l’affaiblissement des niveaux scolaires précédents. Faute d’enseignants- chercheurs de haut rang, d’installations et d’équipements modernes adéquats de bibliothèques dignement pourvus, les cours magistraux ont pris le pas sur les travaux pratiques et la finalité de l’enseignement supérieur s’est secondarisée.
Au lieu de tirer notre système éducatif par le haut, nos Universités se sont laissé entrainer par le bas.
Raison de plus pour les associer à la recherche collective de l’issue de secours.
Mais cette baisse de qualité n’est pas provenue seulement de la détérioration du contexte académique, elle a aussi son origine dans l’aggravation de la situation sociale estudiantine. Comment pourrait- il en être autrement quand rien n’a été fait pour éviter préalablement l’engorgement des effectifs universitaires et pour faire évoluer l’état d’esprit quémandeur dans les campus ? Peut- on reprocher aux nouveaux bacheliers de se presser aux portes des facultés, alors que les études secondaires ne préparent à rien d’autre qu’à prétendre y accéder ? Quels efforts a- t- on faits pour multiplier les filières de formation professionnelle post- baccalauréat et que vaudrait une authentique orientation professionnelle si elle n’a pas grand-chose à proposer ? On dénonce le faible niveau des étudiants et les grandes disparités d’effectifs entre les sections littéraires et scientifiques, mais en sont- ils directement responsables ? Que peuvent espérer les « heureux élus » de l’université depuis que les possibilités d’embauche ailleurs sont très restreintes ? Si pendant une vingtaine d’années « la cheminée scolaire » a relativement bien fonctionné, depuis les années 80 l’aspiration par le haut s’est ralentie, puis éteinte, et les flux d’étudiants sont maintenant embouteillés au parking social qu’est devenu l’enseignement supérieur.
Il est scandaleux d’avoir laissé se dégrader ainsi ce qui devait être le moteur du développement et plus encore, aujourd’hui, de ne pas prendre à bras le corps la résolution de la problématique universitaire parce que la situation y est explosive et que les voies pour en sortir exigeraient des moyens financiers exorbitants. Il suffit donc de comparer les coûts unitaires entre étudiants et écoliers pour évacuer la question sans état d’âme et prôner la priorité de l’éducation de base au nom de l’équité des chances ; tout au plus lance- t- on de nouvelles études pour recentrer les perspectives de l’enseignement supérieur et pour mieux gérer les ressources qu’il mobilise, tout en recommandant leur redéploiement vers les niveaux inférieurs.
Par ailleurs, le sujet devient de plus en plus tabou et mieux vaut l’écarter de la réflexion globale sur l’éducation parce que les remèdes préconisés sont durs à avaler et les malades concernés hyper- nerveux. Comme on ne traite d’abord que de l’aspect financier, ce sont les bourses des étudiants et les salaires des professeurs qui sont dans le collimateur. Après avoir longtemps pratiqué la politique facile de la fuite en avant, ne resterait- il plus désormais qu’à adopter celle du pourrissement et de l’autodestruction ?
Tout laisse imaginer que l’avenir des universités est irrémédiablement bloqué. Que faire pour endiguer les cohortes de bacheliers ? Comment dégraisser les effectifs des enseignants ? Où trouver les ressources pour restaurer et accroitre les locaux, pour équiper les bibliothèques et les laboratoires scientifiques ? Quels débouchés pour les diplômés ? Ajoutons cette dernière interrogation : quelle est la longueur de la mèche lente qui brûle déjà depuis plusieurs années ? Il est vrai que toutes les parties impliquées sont tacitement d’accord pour qu’elle reste humide le plus longtemps possible. C’est bien l’impression que donne la fausse solution de l’autonomie de nos universités qui ressemble plus à un os à ronger qu’à une véritable reconnaissance de maturité et d’indépendance. Etre déclarées autonome pour gérer la pénurie budgétaire et la pléthore des personnels et des étudiants dans un environnement socio- économique en crise, est un maigre acquis, sinon un cadeau empoisonné. L’autre récente invention à effet de retardement qui caractérise aussi maintenant le climat conflictuel dans les enseignements secondaires et supérieur, ce sont les « années blanches » souvent à répétition. Combien encore de temps cela peut- il marcher ? On va bien en arriver un jour à devoir traiter le sujet sur le fond, c’est-à-dire dans la globalité du système éducatif défaillant, et non plus toujours comme l’espace protégé, mais combien incertain, des élites dupées.
Dans un cadre institutionnel aussi fragilisé par les dégradations successives et cumulées, oserait- on parler d’études de haut niveau, de large éventail de filières de formation et de méthodes modernes d’enseignement ? Les conditions de travail très mauvaises et les préoccupations quotidiennes de tous ordres mettent au second plan les considérations pédagogiques, celles- ci ayant de moins en moins à voir avec les objectifs élevés de recherche et de formation spécialisée. Comment former des ingénieurs de pointe dans des laboratoires le plus souvent équipés d’appareils obsolètes ou en panne, sans produits de base, par fois sans courant électrique et sans eau ? Quels juristes, quels professeurs, quels sociologues ou linguistes sortiront des bibliothèques universitaires dépourvues d’ouvrages de référence récents ? Qu’attendre des chercheurs nationaux qui ont rarement les moyens de travailler sur place et peu de possibilités de se faire reconnaître de la communauté scientifique internationale ? Pour quelques réussites exemplaires dans le cadre de certains accords de coopération inter- universitaire avec des pays occidentaux, que de compétences maliennes à jamais perdues ! On ne peut alors que constater et déplorer que la formation des élites soit dramatiquement compromise, aujourd’hui, au Mali. Quel développement du pays envisager sans elle ? La priorité démocratique donnée à l’éducation fondamentale dispenserait- elle des chercheurs locaux ? Attention, les stratégies éducatives en cours feront dangereusement fausses route si elles écartent de leurs plans d’action prioritaires l’enseignement supérieur, sous le prétexte qu’il coûte trop cher et qu’il est improductif. Le raisonnement est à revoir entièrement.
Il faut tout d’abord se demander si l’on va se contenter de pratiquer l’aide humanitaire pour sauvegarder les systèmes éducatifs dans notre pays si l’on veut réellement les réhabiliter pour qu’ils deviennent à terme les instruments pérennes du développement.
Dans le premier cas, on se donne bonne conscience en occident en se félicitant que les taux de scolarisation et d’alphabétisation vont augmenter chaque année, mais l’assistance ne suivra pas et il est hypocrite de laisser croire que les populations prendront peu à peu le relais ; dans la meilleure hypothèse, la priorité exclusive à l’éducation de base ne produirait d’effets dans les secteurs économiques que dans dix ans, autrement dit jamais. Dans le second cas, il faut changer radicalement de stratégie et amorcer une restauration frontale de tous les niveaux d’enseignement, seule en mesure d’engendrer une dynamique populaire forte, aux répercussions multiples dans les secteurs de la vie économique et sociale ; c’est toute une nation qui doit se mobiliser dans et par l’éducation pour vaincre le sous-développement : intellectuels et lettrés scandaleusement inactifs , jeunes laissés- pour-compte et adultes analphabètes. L’Université Malienne trouvera là son véritable salut et, elle, celui des populations, car il s’agit de faire naître et de nourrir une utopie, le souffle de tout grand projet de société.
Les actions quotidiennes sont nécessaires, elles peuvent infléchir le présent, mais la fonction qui prépare véritablement l’avenir est l’éducation. A condition de ne pas voir en cette fonction un moyen de reproduire indéfiniment la structure existante, mais d’en faire un outil de transformation permanente de la société.
C’est le système éducatif qui est responsable du choix par une collectivité de son avenir. C’est lui qui doit décrire les utopies possibles et présenter les choix. Il ne s’agit pas de transmettre un savoir mais de provoquer une lucidité.
L’utopie qui résume toutes les autres est celle d’une humanité consciente de son devoir premier ; faire comprendre à chacun qu’il est responsable du devenir de tous.
Voilà qui doit donner espoir aux universitaires maliens découragés et des raisons de croire en l’utilité nationale de l’enseignement supérieur. Au lieu de s’enfermer dans la spirale infernale des problèmes et des désillusions et de laisser à penser aux autres qu’il n’y a pas de sauvetage possible, la solution miracle est d’inverser la logique perdante et de se placer, au cœur du seul dispositif qui puisse enclencher le développement du Mali ; l’éducation. Jusqu’ici on avait cru que l’économie donnerait l’essor et l’on considérait l’éducation comme une prestation sociale sans prendre garde aux dérives. Aujourd’hui, on commence à reconnaître que le pari économique n’était pas le bon et l’on a la certitude que, pendant le même temps, l’évolution des systèmes éducatifs a été catastrophique. Il ne faut plus tergiverser maintenant, ni reculer devant les grandes décisions en multipliant les études. Alibis, en déclarant que les questions financières sont des obstacles insurmontables et, surtout, en décriant les maliens la capacité de se sauver eux-mêmes avec leurs propres ressources.
Là ou le rêve économique a échoué, l’utopie éducative doit réussir. Notre pays n’a pas d’autre alternative que de privilégier dans l’absolu le développement de l’éducation comme préalable incontournable aux progrès sociaux et économiques. Toutefois, il ne s’agit pas de s’en tenir aux petites stratégies de replâtrage ou de se lancer dans les seuls grands plans d’action d’universalisation de l’enseignement primaire.
C’est un véritable projet de société qu’il est question ici, de l’ampleur de ceux qui naissent lors de certains temps forts de l’histoire du pays. Mais a-t-on besoin d’attendre ces moments exceptionnel pour entreprendre de grands dossiers nationaux ? Le génie d’une nation ne serait- il pas de trouver en elle-même les forces de son évolution tranquille et de mobiliser ses compétences pour la réaliser ?
On voulait recentrer l’université malienne sur les besoins économiques nationaux, qu’elle se recentre d’abord sur les réalités humaines et qu’elle aide des populations à s’armer pour lutter contre le sous-développement. On sait que la chance du Mali réside avant tout dans le développement de son éducation qui représente un chantier fabuleux pour notre pays. Mais il n’est plus question de saucissonner la résolution de ce problème vital, comme on le fait aujourd’hui de tous côtés, et de distribuer l’aumône externe en choisissant ses pauvres et en écartant les nantis du savoir. Pour scolariser et alphabétiser dans l’optique du développement, et non plus seulement par bonne conscience humanitaire, il faut donner à l’éducation ses grandes ambitions et aux maliens l’occasion historique et les moyens de prendre leurs responsabilités dans ce domaine hautement stratégique. Oserait- on formuler courageusement la problématique de l’éducation malienne en ces termes utopiques que les solutions endogènes fuseraient de toutes parts et qu’une authentique sociale interne impulserait le progrès.
Comme on est loin des discussions ambigües qui tournent en rond dans les tours d’ivoire de nos universités et des périlleuses confrontations socio- politiques, sous les regards sceptiques et inquiets des bailleurs de fonds ! Il faut mettre l’université au cœur de la cité et au service des populations laborieuses au lieu de la laisser dans son cul- de- sac des campus en zones résidentielles. Elle trouverait alors beaucoup de voies de relance et un formidable tonus pour remplir sa véritable mission en faveur du développement des hommes.
Fréderic JONDOT
Ancien Fonctionnaire International