Il y a plus de deux ans que l’école pour déficients auditifs à l’Hippodrome ne reçoit plus de subvention de l’Etat. Elle vit dans une précarité qui menace la scolarité des enfants handicapés auditifs. L’autre établissement sur la rive droite, Jigiya Kalanso traverse les difficultés similaires.
Deux écoles existent spécialement pour les enfants déficients auditifs à Bamako. Actuellement les conditions de ces écoles sont déplorables à cause de la distance, le manque de qualification des enseignants en matière de langage de signes, le manque de transports, le manque de cantines équipées et de matériels didactiques.
Plusieurs enfants sourds-muets ont le désir et le courage d’étudier. Cependant, ils sont confrontés à des difficultés liées au déplacement, à la compréhension, à la restauration, au manque de matériels didactiques et l’enchainement des études. Après le DEF, les élèves victimes de handicap auditif, sont livrés à eux-mêmes, car ils sont orientés dans l’enseignement secondaire général qui ne dispense pas en langage de signes ou un suivi des élèves. Ainsi plusieurs d’entre eux abandonnent au lycée, seuls les courageux parviennent à s’adapter à l’enseignement des non handicapés.
Selon les informations du directeur de la petite enfance de la rive gauche, Makan Koné, l’école pour déficients auditifs de l’Hippodrome disposait d’un bus scolaire qui est tombé en panne depuis quelques années et les moyens manquent pour l’entretenir et le réparer. “Il y a deux ans que la cantine de l’école n’est plus opérationnelle à cause du manque de vivres et frais de condiments. L’école possède un centre de dépistage de surdité et de soin qui ne fonctionne plus il y a plusieurs années”, affirme M. Koné.
Jigiya Kalanso, a des partenaires techniques et financiers comme l’Association malienne des sourds-muets (Amasourd), l’Unicef, Humanité et Inclusion, Zakat Fondation. Certains enfants sont parrainés par des ONG tels qu’Humanité et Inclusion.
Des dons pendant les mois de la solidarité uniquement
L’établissement scolaire sur la rive gauche est subventionné par l’Etat malien et elle obtient des dons des ONG de développement local pendant les mois de solidarité uniquement.
“C’est la seule école spécialisée sur la rive gauche. Elle a connu une paralyse à travers les grèves passées et elle souffre d’une rupture de subvention. Depuis deux ans, l’Etat ne paye plus de subventions à l’école pour déficients auditifs. A cela s’ajoute le manque de transport qui implique la difficulté de déplacement des différentes élèves. Avant, nous bénéficions des vivres la cantine des enfants. Mais maintenant plus de dons, donc plus de cantine”, explique Demba Diallo, président du comité de gestion scolaire EDA.
Le manque de formations progressives en langage de signes à l’endroit des enseignants, favorise un déficit de communication entre eux et les élèves. Les enseignants des écoles des sourds sont majoritairement ressortissants de l’Institut de formation des maîtres (IFM).
Après les études professionnelles, les enseignants doivent suivre 9 mois de formation sur le langage des signes. Par conséquent, il s’avère que les 9 mois sont insuffisants pour être spécialiste de la communication de signes et la pédagogie adaptées aux enfants sourds-muets.
Successivement créés, les deux écoles ont vu le jour de janvier 1993 à 1994 par l’Association malienne des sourds (Amasourds). La première est située sur la rive gauche à l’Hippodrome et la seconde à Niamakoro communément appelé Jigiya-Kalanso. Elles sont structurées par les mêmes programmes et systèmes éducatifs que les écoles fondamentales des non handicapés. Seuls le langage et les matériels didactiques diffèrent.
A l’Hippodrome, l’école pour déficients auditifs possède plus de 365 élèves, soit 15 élèves recrutés par an. Elle est la plus grande école et est constituée d’une préscolaire, premier cycle et deux seconds cycles.
Créée en 1994, l’école pour déficients auditifs Jigiya-Kalanso accueille 167 élèves dont 109 garçons et 58 filles. Au préscolaire, il n y a que 7 enfants.
Le président d’Amasourd, Dana Benjamin Diarra enseigne aux seconds cycles à EDA. Après avoir bénéficié de ces 5 ans de bourse d’études aux États-Unis, il enseigne l’éducation civique et morale en 7ème et 8ème année. Selon lui, l’Association malienne des sourds a créé 10 écoles au Mali pour les sourds-muets, à Ségou, Koulikoro, Kita, Tombouctou, Sikasso, Marakala, Kati et 2 écoles à Bamako (sur la rive gauche et droite).
La déficience auditive se définit par une perte de son vocal traduit par une difficulté de parler et d’entendre. La surdité est innée chez certains enfants tandis qu’elle est provoquée par les séquelles de certaines maladies telles que la méningite et des fausses couches.
“L’éducation des sourds-muets se déroule dans une plus grande difficulté liée au manque de compréhension dans la communication et la difficulté de transmission des messages aux élèves malentendants”, a fait savoir Makan Koné, directeur de la petite enfance à l’EDA de l’Hippodrome.
A ses dires, l’enseignement pour déficients auditifs s’effectue par une méthode spécifique qui répond à l’état des enfants. Il s’agit d’utiliser un langage de signes visuels, gestuels et mimiques. Il existe différentes origines de signes didactiques tels le signe Bambara, signe français et américain appelé (ASL). Les écoles pour déficients auditifs de Bamako utilisent le signe américain qui dispose de 26 signes correspondant à l’alphabet français.
L’école pour déficients auditifs de Bamako se situe dans un espace bien entouré de plusieurs lieux de détente et de divertissements. Selon le directeur Makan Koné, ces espaces ne perturbent en aucune manière l’enseignement de leurs élèves car ils sont sourds et n’entendent pas les bruits.
Comme d’autres établissements publics, les élèves payent une cotisation annuelle, mais selon le président du comité de gestion EDA, Demba Diallo, le défaut de payement de la cotisation n’entraine pas d’exclusion des enfants, car beaucoup de parents vivent dans la précarité.
Le frais d’inscription à Jigiya-Kalanso situé à Niamakoro est de 2500 francs et la mensualité est fixée à 2000 francs CFA.
Fatoumata Kané
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ENSEIGNEMENT AUX DÉFICIENTS AUDITIFS
Entre les signes et pratiques techniques
En dépit d’être privés d’entendre et de parler, les élèves sourds-muets savent bien lire et écrire. Toutes les communications se déroulent en langage de signes et illustrations. Aussi ils sont très doués en éducationsportive.
Selon une enseignante de EDA Hippodrome, Mme Diabaté Alima Sissao, les difficultés d’enseignement au préscolaire sourd-muet, sont multiples. Elle précise que les enfants en état de déficience auditif ont tendance à oublier très vite. La qualification des enseignants en langage de signes est primordiale. A son avis, il faut une solide formation pour les enseignants de l’EDA.
En préscolaire section petite à l’Hippodrome, les enfants de 2 à 4 ans sont au nombre de 29 écoliers dont 10 garçons et 19 filles. Les préscolaires sont dotés des matériels didactiques tels que les jouets, les tables rondes et sièges, une télévision et bien d’autres.
“Nous préparons les signes pour les rendre compréhensibles aux élèves. Toutes les 26 lettres de l’alphabet et les 10 chiffres (0-1-2-3-4…) sont représentés en signe. On éprouve de la peine à nous faire comprendre par les enfants car il y a d’autres parmi eux qui sont déficients mentaux. La surveillance permanente est la clé de leur protection. On les surveille de près pour ne pas qu’ils se blessent entre eux. Pour pallier leurs bousculades et cris, on dispose des jeux et un téléviseur qu’on allume pour garder leur attention. A la fin des dessins animés, ils sont même en mesure de raconter les images. Ces enfants adorent les jouets mais nous disposons de peu pour les satisfaire tous à la fois”, a expliqué Mme Koureichy Fatoumata Sylla, moniteur en grande section.
Le directeur de la petite enfance, Makan Koné a fait savoir qu’il faut beaucoup de mimiques pour amener les enfants à comprendre les savoirs transmis. Par exemple pour leur parler d’oiseau, il faut interpréter les gestes et forme d’un oiseau.
En phase terminale du premier cycle, c’est-à-dire en 6ème année, les élèves obtiennent un peu de maturité et ils comprennent facilement dans la plus grande sérénité. Ils savent lire et écrire en ce moment, mais ils expliquent par des gestes de signes.
Selon la directrice du premier cycle, des matériels auditifs existent pour augmenter l’audition des enfants sourds. Parmi ces appareils on trouve le prothèse et implant cochléaire. Mais elle prévient que ces appareils peuvent provoquer des complications en cas de mauvais usage sans prescription des spécialistes.
Plusieurs parents d’élèves s’impliquent dans l’éducation et la prise en charge adéquate de leurs enfants vivant avec ce handicap. La maman de Hadjarata Abdoulaye est une mère exemplaire qui s’investit dans l’éducation de sa fille.
« Elle est née sans ce handicap mais l’a acquis suite à une méningite. On l’a inscrit à l’âge de 6 ans, elle est intelligente et ne se débrouille pas mal. Au premier cycle elle obtenait des bonnes notes et avait 6 comme faible moyenne. Ses moyennes variaient entre 12 et 13 au second cycle. Malheureusement elle n’a pas réussi l’examen du DEF cette année. On ne se décourage pas, j’ai pris des cours à domicile pour elle. Je lui consacre la majeure partie de mon temps. Le frais de sa scolarité est à 2000 Francs’’ a-t-elle affirmé.
Des parents s’impliquent
Dans la société, quelques enfants normaux ont tendance à stigmatiser les enfants en état handicap. Et cela engendre souvent le manque de confiance chez eux. Ils peuvent échapper à ces comportements sociétaux lorsqu’ils sont bien défendus et protégés par les parents comme c’est le cas avec la mère de l’élève Hadjarata.
“Elle n’est pas embêtée par les autres enfants à cause de son handicap car à mon avis cela dépend de la manière dont les parents s’occupent de l’enfant en déficience auditif. Si les parents ne s’occupent pas de leur enfant handicapé, c’est évident qu’il soit à la merci de tout le monde. Les conseils que je donne aux parents d’enfants handicapés auditifs, c’est de leur demander de ne pas les délaisser, de bien s’occuper en leur donnant la chance d’aller à l’école. C’est important qu’ils apprennent et la preuve avec notre fille Hadjarata, on communique bien. Elle écrit tout ce qu’elle a besoin de dire”, poursuit-elle.
“Pour détecter la surdité chez son enfant, il faut effectuer un dépistage précoce avec ORL. Le dépistage permet également de connaitre le degré de surdité de l’enfant en vue d’utiliser la méthode adéquate et adaptée à lui”, a indiqué Makan Koné.
Dans les écoles de déficients auditifs, la majorité des enseignants ne sont pas des sourds mais ils sont appuyés par quelques enseignants sourds, notamment dans le préscolaire.
Nouhoum Keita est un enseignant, éducateur au préscolaire à l’Hippodrome. Il est sourd-muet et enseigne en petite enfance, petite section. Il est également le président de l’équipe nationale des sourds au Mali. Son équipe a remporté de multiples trophées en football en Tunisie, au Ghana, en France, au Mali et bien d’autres.
“Je ne suis pas né sourds-muets. Je suis tombé gravement malade lorsque j’étais petit et à mon rétablissement j’ai attrapé la surdité. A l’époque, il n y avait pas d’école spéciale pour les déficients auditifs. Dès que j’ai eu 12 ans, mes parents m’ont envoyé en France pour mon éducation. A Marseille je me suis spécialisé en enseignement et en langage de signes. Je n’ai pas eu assez de difficulté, car j’étais entouré des camarades sourds-muets”, raconte-t-il sa petite histoire. A ses dires, il n’a pas de difficulté pour communiquer avec ses élèves, car il est mieux placé pour comprendre leurs attentes et il possède des méthodes adéquates pour leur apprendre.
“Les conséquences liées à la surdité sont énormes, le manque de compréhension dans la société, la marginalisation des enfants en handicap auditif. L’apprentissage des déficients auditifs se déroule dans une communication purement gestuelle”, a expliqué le Directeur de Jigiya Kalanso Bakary Traoré.
A notre passage à Jigiya Kalanso, on remarque bien que les enfants déficients auditifs adorent les petites attentions et sont contents de voir des points de similarité entre eux et les personnes sans handicap. Fatoumata Kané, est une brillante élève en 6ème année à Jigiya Kalanso. Elle nous relate sa situation. “Je suis devenue sourde à la suite d’une maladie. Je parviens à bien étudier et je ne me plains pas car mon handicap ne m’empêche dans rien. A la maison, je m’exerce en lisant des documents à travers les signes. En dehors de mes études, je fais des travaux ménagers”, dit-elle.
Fatoumata kané