Après 60 ans, l’école malienne doit encore relever de nombreux défis. Regard croisé de deux générations d’enseignants : Drissa Sidibé, enseignant à la retraite ayant servi au lycée Cheik Anta Diop et Nouhoum Sanogo enseignant sortant de l’Institut de formation des maîtres (IFM) sur l’école malienne.
Le Mali, après à son accession à l’indépendance a adopté une première réforme de l’enseignement en 1962. Ladite réforme avait pour objectif de recruter un grand nombre d’élèves pour donner un nouvel souffle au système éducatif malien. Parmi ces inscrits peu arrivaient au sommet. Les recalés étaient appelés à suivre d’autres formations dans des écoles techniques et professionnelles soit l’industrie surtout dans l’agriculture ou d’autres domaines que l’Etat avait mises à leur disposition.
La faiblesse de cette réforme de 1962, à entendre M. Drissa Sidibé, enseignant à la retraite ayant servi au lycée Cheik Anta Diop, a été qu’il y avait moins d’infrastructures scolaires dans beaucoup d’arrondissements à l’époque, voire aussi un grand manque d’enseignants. “A l’époque pour aller au second cycle, il fallait être parmi les cinq premiers de chaque arrondissement par manque d’école dans lesdits arrondissements, car les seconds cycles étaient centrés uniquement dans les cercles”.
Après le coup d’Etat en 1968, les militaires au pouvoir ont continué avec ce système, selon l’ancien enseignant du lycée Cheik Anta Diop : “la politique de l’éducation va changer d’où la création des seconds cycles dans les arrondissements. Au fil du temps, l’Etat n’arrivait plus à payer ses fonctionnaires ce qui va pousser beaucoup d’enseignants à la retraite anticipée, fatigués du non-paiement de leurs salaires. A défaut de pouvoir financer l’éducation, la banque mondiale est intervenue, exigeant la réduction des agents de la fonction publique. Il y aura donc le programme de la retraite volontaire où beaucoup d’enseignants n’hésiteront pas à partir. En même temps, l’éducation scolaire ne serait plus une priorité pour les dirigeants car les formations et les examens avaient perdu tout leur sens. Les contenus des formations n’étaient plus comme avant car ils étaient réduits“, continue-t-il.
Education de masse et un enseignement de qualité
- Sidibé réaffirme qu’avec l’avènement de la démocratie en 1992, le pays est allé à la 3e République qui va plus affaiblir l’école malienne vu que les enseignants sont partis à la retraite anticipée et il a fallu faire un programme visant 2 objectifs : l’éducation de masse et l’enseignement de qualité.
Pour atteindre cet objectif, il a fallu un village, une école voire en même temps la création de nouvelles filières et de nouveaux centres de formation professionnelle,
Qu’est ce qui a empêché ce nouveau programme à marcher ? Pour l’interlocuteur, ces écoles ont été créées, mais il n’y avait pas d’enseignants d’où la fermeture de l’Institut pédagogique d’enseignement général (Ipeg) et Ecole normale secondaire (Ensec) qui, “d’ailleurs serait un fléau engendrant beaucoup de problèmes dans l’éducation scolaire”, regrette-t-il. Ce programme va directement échouer pour manque d’enseignants de qualité et ce manque sera bouclé par la création d’écoles communautaires qui ont été mises à la disposition des enseignants novices c’est-à-dire qui n’ont reçu aucune formation pédagogique leur permettant d’enseigner“.
“Fléau”
En outre, la politisation de l’école malienne en 1992 dans la 3e République par la participation de l’Association des élèves et Etudiants du Mali (AEEM) dans la gestion de l’Etat par le Comité de transition pour le Salut du Peuple (CTSP) a été un fléau pour l’éducation scolaire. “Il faut comprendre par-là que cette association des élèves et étudiants va énormément perturber l’éducation avec des assemblées et des grèves perpétuelles qui vont beaucoup jouer sur le niveau des élèves vu que les programmes scolaires seront désormais inachevés. Les hommes politiques vont chercher toujours à mettre la main sur les membres de l’AEEM”.
La privatisation de l’enseignement, avec la création en grand nombre des écoles privées l’Etat va perdre l’autorité sur les mouvements de l’AEEM et il n’avait pas de moyens pour contrôler ces écoles, souligne M. Sidibé Drissa, enseignant à la retraite.
60 ans après, les résultats des différentes reformes élaborées dans le secteur de l’éducation malien sont loin d’être satisfaits aux yeux de la nouvelle génération. L’école malienne souffre d’énormes problèmes aujourd’hui constate, M. Nouhoum Sanogo, enseignant sortant de l’Institut de formation des maitres (IFM). “Il y a les effectifs élevés d’élèves face à une poignée d’enseignants. A titre illustratif, le Mali compte de nos jours plus de 11 millions d’élèves face à 68 000 enseignants allant du primaire au secondaire. Le manque de suivi pédagogique à tous les niveaux est le grand mal de l’école scolaire au Mali”.
Comment peut-on employer un enseignant sans chercher à savoir si ce dernier travaille dans les normes prévues ? Selon M. Sanogo, beaucoup d’écoles privées aussi bien que gouvernementales ne sont plus sous le contrôle des responsables de l’éducation. “Du début de la rentrée des classes jusqu’à leur fermeture, peu d’entre elles reçoivent le suivi des conseillers pédagogiques deux fois par an dans une année scolaire. Ce qui n’est pas du tout normal pour un Etat qui veut une éducation de qualité”.
- Sanogo soutient que la formation incomplète des enseignants serait la cause même de la déperdition de l’école malienne et le fait de minimiser l’autorité de l’enseignant sur son élève. “Les enseignants ont oublié ou négligé la formation continue, ce qui a beaucoup anéanti le système éducatif et affaibli le niveau des formateurs voire même celui des élèves. Le système éducatif en est réduit de nos jours au laisser-aller, phénomène auquel on assiste lors des examens de fin d’année où tout se passe dans des conditions loin d’être légales au vu et au su de toutes les autorités administratives”, dépeint-t-il.
Quelles solutions pour redresser l’éducation scolaire ? Il faut revoir la situation à tous les niveaux répond M. Sidibé. Cela passe d’abord, estime l’enseignant à la retraite, par une bonne formation des formateurs pour tous les ordres d’enseignements. “L’Etat doit revoir le système éducatif tels que les programmes scolaires, c’est-à-dire, former pour l’emploi. Il faut investir davantage dans l’enseignement primaire avec un bon programme à l’appui, qui est une priorité. Une fois que la base est bonne, l’élève serait capable de mieux comprendre. Au niveau secondaire, il faut plus de formations professionnelles et techniques que générales. Cela permettra encore de réduire le grand nombre de chômages des jeunes diplômés. Au niveau supérieur, il faut mettre en place un vaste programme de recherches à tous les niveaux universitaires, ce qui poussera pas mal d’étudiants à pouvoir se perfectionner et se spécialiser”, profère M. Sidibé.
Selon M. Sanogo, l’Etat doit procéder à la réforme du système éducatif en comblant le manque du personnel enseignant et du matériel, suivre de très près les écoles privées et revoir surtout leur critère de création et leur méthode d’enseignement.
Sita Sidibé
(stagiaire)