Bamako : Indignes du nom d’écoles

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Les conditions d’études dans ces établissements privés sont tellement déplorables que les autorités doivent d’urgence réagir.

« Sountougoun » A2 est une école fondamentale privée de Lafiabougou située non loin de l’ex-cinéma Banakokoun. L’établissement, de prime abord, ressemble à une concession abandonnée par ses occupants depuis une décennie. Mais dans ces bicoques insalubres et délabrées, loge bel et bien une école privée. Elle a été créée en 2003 et porte le nom de la mère du directeur-promoteur. Notre visite, l’autre jour, dans le petit établissement a pris de court le directeur-promoteur, Balla Dembélé. Il a couru dans tous les sens pour mettre à notre disposition une table-banc qu’il a placée juste devant la salle de classe de la 5è année, car l’école ne possède aucun local de direction ou de secrétariat. Notre surprise a été grande de voir des tout-petits, certainement des élèves débutants, prendre des cours dans un couloir. Tandis que ceux des 2è, 3è et 4è années étudiaient sous des hangars recouverts de tôles ondulées. Pour ce qui est des classes de 5è et 6è, elles sont faites de baraquements en tôle dont les toits mal conçus laissent entrevoir le ciel. Pire les fenêtres de toutes les classes sont ouvertes aux quatre vents sans battant aucun.

L’établissement possède néanmoins deux latrines utilisées indistinctement par les maîtres et leurs élèves. Alioune Coulibaly enseigne en classe de 6è année. Nous l’avons approché tandis qu’il délivrait ses cours dans une chaleur étouffante dont il n’avait, pourtant, cure. Magnanime, il se déclare fier de transmettre son savoir aux enfants sans prêter d’importance au « reste ». “Vous savez, je suis le doyen de cette école. Certes, les conditions de travail ici sont difficiles mais je pense que l’essentiel est de transmettre mon savoir aux élèves”, énonce-t-il. Derrière la fausse modestie de notre interlocuteur, la réalité apparaît bien plus triste que le directeur, par son omniprésence à nos côtés, s’attachait visiblement à occulter. Il a même tenu que l’élève Halimatou Bocoum de la 6è année, soit interrogée en sa présence. Sous l’influence et le regard appuyé de son directeur, la réaction de cette élève ne pouvait qu’être positive. “J’ai fait la 1ère année jusqu’en 6è année dans cette école. Donc je me suis habituée aux conditions d’ici. Je n’ai plus peur de la chaleur ou de fenêtres sans battants. J’aime vraiment cette école car les cours sont bien dispensés par les enseignants”, raconte-t-elle. Mme Doumbia Fatoumata Koïta est parent d’élève. Elle juge que les cours sont mieux dispensés à l’école « Sountougoun » A2 que partout ailleurs dans le secteur. Cependant, elle avoue ne pas apprécier que des tout-petits prennent les cours dans un couloir.

COMME UN ENCLOS. Balla Dembélé, reconnait que les conditions d’accueil de son école ne répondent pas entièrement aux normes exigées. “Je suis conscient que mon école ne remplit pas toutes les conditions d’une structure scolaire digne de ce nom. Nous avons la volonté que tel soit le cas, mais les moyens nous manquent”, explique-t-il. Balla Dembélé indique que le propriétaire des lieux refuse que sa maison soit transformée en une véritable école. Peu importe le confort, poursuit-il, l’essentiel est de donner une bonne éducation aux 285 élèves de l’établissement. “Puisque le gouvernement ne peut pas prendre en charge tous ses élèves et étudiants, nous les diplômés sans emploi, avec nos petits moyens, nous pouvons combler le déficit en ouvrant des établissements scolaires privés. Notre démarche doit être considérée comme un geste d’utilité publique”, soutient-il. Au cours de notre enquête, nous sommes également tombés sur l’école privée « La Bienvenue » à Niamakoro. Ici aussi, les conditions d’accueil sont déplorables. En effet, l’école se trouve dans une maison inachevée dont elle partage la cour avec … un enclos de moutons. Le toit des salles de classe est troué par endroits. Les fenêtres et les portes n’ont pas de battants. C’est dans ces conditions que les élèves prennent leurs cours. Visiblement, nous n’étions pas les bienvenus à “Bienvenue”. Ni le directeur de l’école, ni les enseignants n’ont voulu nous recevoir. Nous avons pu rencontrer un élève dont nous taisons le nom. Il confirme que ses camarades étudient vraiment dans des conditions difficiles car leur environnement est loin d’être sain. “Nous, les élèves, nous balayons les classes et nos parents paient régulièrement nos frais de scolarité. Il revient maintenant au promoteur de l’école d’améliorer les conditions d’accueil afin nous puissions étudier à l’aise. Sinon ça ressemble à une porcherie”, lance-t-il.

Les conditions d’accueil de certaines écoles privées interpellent les autorités. Nous avons abordé le sujet avec le directeur national de l’Education de base, Mamadou Diabaté. Celui-ci indique que toutes les écoles privées doivent respecter les conditions fixées par le décret n°94-276/P-RM portant statut de l’enseignement privé. Par exemple dans son dossier, le demandeur doit fournir un plan détaillé des locaux et des installations sanitaires, le tout agréé par le service de l’habitat. Le texte est aussi précis que la pratique est brumeuse. “Je pense que les écoles privées où les conditions d’accueil sont déplorables sont la plupart des écoles clandestines ou celles qui ont eu leur agrément avec la complicité d’agents véreux. Mamadou Diabaté pointe du doigt les directeurs des académies et des centres d’animations pédagogiques qui reçoivent les premiers les dossiers de création d’un établissement scolaire. “Les directeurs d’académies et des CAP donnent leurs avis sur les différents dossiers et une fois que ces dossiers arrivent au ministère de l’Education de base, le ministre ne peut que les signer en vertu de la confiance administrative qui demeure encore une réalité dans notre pays” précise-t-il. Il y a environ 70 centres d’animation pédagogique à travers notre pays, indique Mamadou Diabaté qui estime que si ces centres font correctement leur travail, certaines écoles privées n’auraient pas existé.


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