Amata Sangho Diabaté, professeur à l’Université Spelman College d’Atlanta : «Je ferai tout pour réaliser au Mali une université d’excellence pour jeunes filles»

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La nécessité de promouvoir le "consommer malien" pour sortir le Mali de la pauvreté, de revoir dans notre société nos visions du rôle de la femme, vrai manager de la famille, en lui donnant plus de droits, plus de voix et plus de pouvoirs. Telle est l’ossature de la 2e et dernière partie de l’interview que nous accordée Amata Sangho Diabaté. «Quand on ne consomme pas ce qu”on produit et qu”on ne produit pas ce qu”on consomme, on ne doit point s”étonner d”être pauvre», dit-elle. Elle a surtout un projet de création, au Mali, d’une université d’excellence pour filles à l’image de la Spelman College d’Atlanta (Etats-Unis) où elle enseigne.


L’indép.: Comptez-vous un jour revenir servir au Mali ?

ASD: Oui, sans hésitation ! En fait, je suis même activement en train de préparer mon retour au pays. Il y a plus d”un an, j”avais promis à ma mère, déjà malade, de lui faire plaisir en lui donnant une raison de s”accrocher à la vie puisque je pensais vraiment rentrer au Mali au plus tard en septembre 2007. Mais je pense que quand elle a prié pour que cela se réalise, les anges l”ont entendue. Car, bien qu”elle ne soit plus de ce monde, je suis convaincue qu”il est temps pour moi de revenir au bercail. J”adore le Mali et je suis convaincue qu”il est de mon devoir de revenir contribuer à son développement après les connaissances et expériences acquises aux Etats-Unis. Je rêve de réaliser un jour ici au Mali une université d”excellence pour les jeunes filles, à l”image de la Spelman College avec la formation pragmatique américaine mais qui prendra aussi en compte nos réalités positives sociales et culturelles ! Incha”Allah, ce projet verra le jour !

L”Indép.: Il semble que vous soyez vraiment féministe !

ASD: Féministe, oui je le suis totalement, profondément ! Si être féministe c”est être en faveur des luttes visant à l”amélioration du statut des femmes dans nos sociétés où les institutions sociales, traditionnelles et coutumières établissent des inégalités profondes fondées sur le sexe, oui je suis féministe. Le féminisme, en fait, est supposé être une idéologie des femmes mais, en réalité, il est de plus en plus activement défendu par un nombre croissant d”hommes. Les féministes, qu”ils soient hommes ou femmes, luttent pour faire progresser les femmes dans leur contexte social, politique et économique mais également dans la perception qu”elles ont d”elles-mêmes.

Loin d”être radicale, mon approche du féminisme est plutôt d”ordre socio-économique. Je suis convaincue que, pour lemeilleur rétablissement possible des injustices faites aux femmes et pour une élimination totale des discriminations dont elles sont victimes, il est indispensable de revoir nos visions traditionnelles de division sociale du travail et de redistribution des revenus.

L”Indép.: La Journée panafricaine de la femme sera célébrée dans quelques jours. Le thème de cette année, c”est le rôle de la femme dans la lutte contre la pauvreté. Que pouvez-vous nous dire de ce que doit être ce rôle dans notre pays ?

ASD: Comme je l”ai indiqué ci avant, la femme ne peut pleinement jouer son rôle dans l”économie en général et dans la lutte contre la pauvreté en particulier que quand, de façon collective, nous accepterons de revoir nos visions du rôle et des droits des femmes dans notre société et ce, d”abord au sein de la famille. Il n”est un secret pour personne que, dans tous les foyers du monde, les femmes sont en fait les vrais managers de la famille. Quand elles ont plus de droits, plus de pouvoirs, quand on leur donne des "voix", les femmes font toujours des merveilles.

Par plus de droits, j”entends le droit à l”éducation et à la santé. Cela relève, bien sûr, des politiques macroéconomiques de nos Etats, de nos politiques monétaires et fiscales, qui doivent être clairement "gender-specific", c”est-à-dire tenir compte du genre. Par plus de pouvoirs, je pense notamment au pouvoir économique qui ne va pas sans l”accès aux ressources financières. Dans un environnement économique où le secteur informel occupe une place importante, l”accès facile au crédit "informel" doit être généralisé pour toutes les femmes qui en manifestent le besoin. Par "voix", je veux parler de voix sur la scène politique, de la meilleure représentativité possible au niveau des plus hautes instances politiques et administratives du Mali. Il est tout à fait déplorable de constater que, malgré l”avancée démocratique de note pays, le système de quotas de représentativité des femmes à l”Assemblée nationale n”ait toujours pas été ratifié par le Mali. La prise de conscience de l”importance des femmes comme masse électorale n”est pourtant plus à démontrer mais elle ne suscite simplement que leur exploitation à des fins politiques et politiciennes. Au-delà de la phraséologie et des défilés, agrémentés par des boubous aux couleurs chatoyantes, quelle place effective la masse des femmes maliennes occupe-t-elle dans la société civile hormis pour une minorité active triée sur le volet ?

Enfin, je reconnais que le rôle de la femme dans la lutte contre la pauvreté ne relève pas simplement des politiques macroéconomiques de notre pays ou de la volonté politique des hommes de nous céder une part de pouvoir. Je suis convaincue que, le plus souvent, la pauvreté est assez souvent le résultat d”un comportement: notre comportement microéconomique de consommateur et de producteur qui est un comportement de mauvaise gestion de nos ressources !

Quand on ne consomme pas ce qu”on produit et qu”on ne produit pas ce qu”on consomme, on ne doit point s”étonner d”être pauvre. Il revient alors à la femme malienne, manager de sa famille, de faire les choix judicieux de consommation qui minimisent les coûts, maximisent la satisfaction et encourage la demande intérieure de produits locaux. Si, par exemple, chaque Malienne de l”âge de porter un sac à main le commande à l”Artisanat au lieu de l”acheter avec les commerçants importateurs de la Chine, de Dubaï ou de l”Italie, il en résulte, à court et à moyen termes, mais de façon inéluctable, ce qui suit : une augmentation significative de la demande intérieure de sacs en cuir malien qui indique l”existence d”un marché substantiel pour les sacs maliens. Cette demande accrue va susciter, à son tour, l”augmentation de l”offre de sacs maliens et va, en plus, inciter beaucoup de jeunes Maliens chômeurs à se former dans l”artisanat et à entrer dans la production de sacs à main. Les revenus de ces nouveaux producteurs de sacs sont, bien sûr, utilisés pour couvrir leurs dépenses quotidiennes de la vie, d”où une plus forte demande intérieure de produits locaux, que ce soit des biens ou des services. Du coup, grâce a une simple modification de notre choix de sacs à main, nous femmes pouvons contribuer à la lutte contre la pauvreté à travers la réduction du taux de chômage et l”augmentation du produit intérieur brut qui en résulte.

Ce qui précède concerne juste des sacs à main et donne un schéma assez simpliste de l”impact de la consommation intérieure sur la croissance économique et l”emploi. Imaginez ce qu”on peut faire si nous femmes maliennes, surtout nous citadines, changions nos comportements vestimentaires, alimentaires, etc.!

Les Etats-Unis d”Amérique constituent une des nations les plus puissantes du monde. Pourtant, ils continuent toujours de faire la propagande du "consommer américain". Je suis donc étonnée qu”au Mali on n”entende plus parler du "consommer malien". Il est bien beau d”essayer de promouvoir la demande étrangère de nos produits mais il est indéniable que la demande intérieure, avec son effet multiplicateur, a beaucoup plus d”impact sur la croissance du PIB que la demande extérieure.

Comme je l”ai dit plus haut, nous pouvons, à tous points de vue, faire des miracles. Il revient aux femmes leaders de donner l”exemple et d”entamer un vaste programme d”information et de sensibilisation dans les villes comme dans les campagnes. Je n”ai de cesse de le répéter : la pauvreté, ce n”est pas toujours un état de fait, c”est le résultat d”un comportement.


L”Indép.: Quelle différence y a-t-il entre les deux systèmes académiques américain et malien ?

ASD: Il est extrêmement diffiile de comparer les systèmes éducatifs américain et malien. C”est vraiment comme le jour et la nuit. L”enseignement primaire et secondaire malien qui, on le sait, a été calqué sur le système français, est bien plus consistant que celui des Etats-Unis, surtout du point de vue des mathématiques. Notre système éducatif est, de même, beaucoup plus sélectif. Une chose que j”ai par exemple appréciée dans le système d”enseignement primaire américain, c”est qu”il est très rare de voir un enfant doubler les petites classes. Quant l”enfant montre des défaillances dans une matière ou deux, on les lui fait reprendre pendant les vacances scolaires et, l”année scolaire suivante il passe en classe supérieure, comme ses autres pairs, au lieu de perdre toute une année académique en redoublant.

L”enseignement supérieur, en revanche, est le plus pragmatique du monde. C”est pourquoi le monde entier converge vers les Etats-Unis pour la formation universitaire. Il est ensuite payant et assez coûteux d”ailleurs. A cet effet, moins de 30 % des sortants des lycées américains ont la capacité financière de continuer les études supérieures. Dans la mesure où l”enseignement supérieur est un choix personnel, il est évident que personne ne pense à observer une grève aux Etats-Unis. Grever contre qui ? Contre soi-même ? Beaucoup d”étudiants américains s”endettent à coup de milliers de dollars, soit auprès du Gouvernement fédéral, soit auprès d”institutions financières spécialisées en la matière, pour financer leurs études et obtenir leurs diplômes. Dans beaucoup de familles, on commence à économiser pour les études supérieures des enfants dès leur naissance. Par conséquent, l”étudiant américain n”a d”autres choix que de prendre ses études très au sérieux.

En plus, le système responsabilise l”étudiant qui, dès le début de la première année universitaire, a une connaissance détaillée du nombre de cours qu”il doit suivre pour obtenir son diplôme selon la spécialité de son choix. Il a toutefois le loisir de choisir la séquence, ainsi que les jours et heures auxquels il entre en classe. Cette flexibilité lui donne, éventuellement, la possibilité de travailler à mi-temps et d”arrondir ses fins de mois pendant qu”il continue ses études.

Une autre grande différence entre nos deux systèmes, c”est bien évidemment les moyens didactiques ainsi que les infrastructures. En fait, certaines grandes universités américaines ont des budgets de fonctionnement qui avoisinent ou parfois dépassent le budget malien dans sa totalité. Par exemple, les ordinateurs dans les bureaux des professeurs, ainsi que ceux des grandes salles d”ordinateurs, sont changés tous les deux ans. Dans les salles de classe, on utilise de moins en moins la craie et le tableau noir: c”est plutôt des présentations Power Point qui sont utilisées pour enseigner. La salle de classe, qui est directement et en permanence connectée sur Internet, utilise beaucoup cet outil. Je me rappelle par exemple qu”une fois, lors d”un cours de Macroéconomie, mes étudiants et moi sommes allés directement sur Internet pour voir l”évolution de la dette publique américaine à la seconde. Les exemples qu”on prend en classe et la plupart des questions d”examen sont en relation directe avec la réalité quotidienne. Ce qui, évidemment, rend plus facile la compréhension du sujet en question pour l”étudiant.

Finalement, la différence la plus importante, à mon avis, entre nos deux systèmes, c”est qu”aux Etats-Unis, ce n”est pas seulement le professeur qui note ses étudiants: les étudiants aussi notent leur professeur. En effet, à la fin de chaque semestre académique, il est demandé aux étudiants de faire une évaluation des capacités de leurs professeurs, aussi bien du point de vue de la maîtrise du sujet enseigné que de la capacité de transmettre la connaissance, l”assiduité et la couverture du programme de l”année, la célérité dans la correction et les remises des notes, etc. Ceci est, je pense, un grand plus dans la mesure où aucun professeur ne peut se trouver en terrain conquis. Il se sait obligé de se remettre constamment en question et, si besoin est, non seulement d”améliorer sa technique d”enseignement mais aussi de se mettre à la pointe de la connaissance dans son domaine de spécialisation à travers la recherche.


L”Indép.: Au vu de cette très riche expérience, vous devez probablement parler beaucoup de langues !

ASD: Tous ceux qui savent que je suis Sangho pensent que je parle peulh. Mais non ! Comme je l”ai déjà dit, mon arrière-arrière-grand-père a quitté la région de Mopti pour Goundam. Je suis une vraie Goundamienne, donc je parle sonrhaï. En tant que bonne Bamakoise, je parle bambara. Comme Africaine de l”Ouest dont le pays a été colonisé par la France, je parle français. Après plus d”une décennie aux Etats-Unis, je suis plus confortable en anglais que dans toutes les autres langues que je parle, à part ma langue maternelle, le sonrhaï.

Interview réalisée par Fatoumata Mah Thiam Doumbia

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