Qui est donc le vrai ATT ?

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Il est le président de treize millions de Maliennes et Maliens. Même les gamins le reconnaissent et les Africains voient en lui un modèle. Au fond, a-t-on fini de le connaître ?

Dakar, fin 1991. Le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, tombeur de Moussa Traoré et président de la Transition effectue une visite au Sénégal. Après une audience avec Abdou Diouf, ce dernier lâche à un de ses conseillers : « Je n’ai jamais rencontré de ma vie un militaire aussi rusé ! ».

Paris, novembre 2000. Dans la salle de rédaction d’un hebdomadaire, le général ATT, ancien président du Mali, vient de terminer une causerie à cœur ouvert avec un groupe de journalistes. Après son départ, un vieux routier de la politique africaine lâche : « Il sera candidat en 2002 mais il est trop malin pour se faire prendre très tôt ! ».

Bamako, 2009. La nouvelle mouture du Code de la famille et des personnes provoque une vague d’indignation et de protestation à travers le pays. Fin août, le Haut conseil islamique organise un meeting monstre au stade du 26 mars. Une mobilisation jamais vue dans l’histoire du Mali indépendant. Quelques semaines plus tard, ATT reçoit les chefs religieux et traditionnels à l’origine de la fronde. Au détour d’un exposé, il est pris d’un accès de sincérité : « Nié sordachi yé, n’ga n’tè naloma yé ! » (Certes, je suis un soldat, mais je ne suis pour autant pas bête).

Ces trois anecdotes ont un dénominateur commun et résument un pan de la personnalité politique d’Amadou Toumani Touré qui refuse d’assumer cette étiquette : la ruse, le calcul quasi obsessionnel et la recherche de l’unanimité. Un de ses vieux compagnons, oublié sur la route de Koulouba, témoigne : « Au premier abord, ATT vous donne l’impression d’un grand naïf, d’un homme faible, indécis et perdu dans ses cauchemars. Et pourtant, je vous jure que c’est un excellent comédien. Il est très rusé, calculateur, connaît les hommes et sait comment les manipuler par leurs faiblesses, notamment en leur donnant une importance qu’ils n’ont pas. » Il poursuit en ces termes : « ATT m’a raconté une histoire qui m’a convaincu que je ne le connaissais  pas vraiment. Un jour, après des semaines de rumeurs insistantes sur un coup d’Etat, Moussa Traoré le convoque et lui pose brutalement la question : "Est-ce vrai que tu veux faire un putsch ? " ATT répond : "Non… mais comment cela se peut-il que je pense à ça ? " Cette réponse à suffi à rassurer Moussa Traoré. Et pourtant, nous savions tous qu’Amadou n’attendait que la bonne occasion pour cravater le patron ! »

Bien qu’épié par le général Moussa Traoré qui se méfiait de lui, il a survécu au CMLN, à l’UDPM, à la répression féroce du régime qui n’avait pas besoin de preuves solides pour envoyer à la mort sur simple suspicion. Pourquoi ? Parce que, dès l’enfance, il a développé un réflexe de survie. L’orphelin de mère s’est très tôt bâti un monde imaginaire, un monde dans lequel il sera le chef, sera respecté, admiré et aimé de tous. Car, il ne supporte pas l’inimitié, apparente ou latente. Son désir d’amour est tellement fort qu’il supporte avec peine la moindre remarque désobligeante. Un de ses anciens collaborateurs du CTSP raconte : « Amadou s’éloigne très rapidement des personnes qui lui rapportent ou lui apportent des problèmes. Je ne dis pas qu’il veut seulement des béni-oui-oui ou des faux-culs autour de lui. Mais, chez lui, la manière de parler t la gestuelle est importante, il abhorre l’agressivité et les signes de mépris. »

Paradoxe pour un militaire, para-commando de surcroît. Notre interlocuteur nuance : « Pour ATT, malgré tous les écueils, les blessures et les souffrances de la vie, il est devenu président de la République en ayant eu le courage d’arrêter GMT, de laisser le pouvoir pour revenir par les urnes. Il ne doit rien à quelqu’un. Il ne comprend donc pas que certaines personnes ne l’admirent pas, ne l’aiment pas. Il ne fait pas de distinction entre sa personne physique et l’institution qu’il est. Pour lui, tout commence dans le comportement verbal et le langage qu’on lui tient. Il est convaincu qu’il ne fait de mal à personne et ne comprend pas qu’on lui en fasse. Et alors, dans son entendement, ne pas approuver ce qu’il fait ou dit, c’est ne pas approuver sa personne. L’instruction n’a rien à voir ici… et il faut reconnaître que certains maliens sont capables d’une méchanceté incroyable… »

Notre source affirme que son ami s’est bâti un système de défense qui consiste à ne jamais attaquer en premier : « Toutes les années qu’il a passées au régiment, il n’a jamais radié quelqu’un. En fait, il préfère fermer les yeux sur une faute et donner une seconde chance. Ou, il se décharge de la sanction sur quelqu’un d’autre ! »

Un officier, ancien membre du CTSP, raconte : « ATT a transféré dans la vie, l’attitude, le réflexe de survie et le sens de l’anticipation du commando : il envoie un éclaireur, tâte le terrain, détecte s’il est miné et s’il y a un obstacle, avance, demeure statique ou recule. Au besoin, selon le renseignement, il termine la mission ou se replie. » Voilà donc une des grandes différences entre ATT et GMT dont il était le commandant de la Garde présidentielle. Il n’est ni entêté, ni borné, ni cruelle malgré son parcours scolaire très bref.

Un membre de la délégation des chefs religieux au moment de l’affaire du Code de la famille raconte : « Quand le problème a commencé, ATT était à l’étranger et n’avait pas pris la mesure des périls qui menaçaient la nation. Dès son arrivée, il a compris la gravité de la situation. Il nous a invités, pas convoqués et la nuance est importante. Dès notre arrivée sur le perron du palais, il est venu à l’assaut : chaudes salutations, blagues, rires, il nous a mis à l’aise. Puis, il a banalisé le problème en prétextant qu’il a été mal informé et une explication du genre : "Si j’étais là, présent, on n’aurait pas atteint ce niveau de défiance, avec la bonne information, j’aurai agi tout de suite". Chercher le consensus, séduire, utiliser les ressorts de fraternité de la société malienne, voilà le style de l’homme ! »

L’armée, une famille

Depuis son arrivée à la tête de l’Etat, des milliards d’individus se proclament « amis d’ATT ». Qu’en est-il vraiment ? Pour comprendre ce point, il faut seulement se rappeler que le président de la République a, avant toute considération, un seul et unique cercle de vrais amis : Ses compagnons d’armes. « ATT accepte toutes les déclarations d’amitié, mais ses vrais amis sont dans l’armée. Un homme comme le colonel Abidine Guindo, son aide-camp est plus proche de lui que tous les politiciens réunis. Il considère Kafougouna Koné comme son frère de sang. Il a des liens solides avec plusieurs éléments du camp para. Et, dans le civil, vous ne verrez jamais ses vrais amis faire du tapage à son nom. Il y a des gens qui se disent ses amis, il sait que ce sont des opportunistes qui le lâcheront à la première occasion, c’est pour ça qu’il dit des choses pas bonnes à entendre à leur sujet ! » rapporte un officier.

On reproche à ATT ses promesses trop faciles et sans lendemain et il passe également pour être un des présidents les plus pingres du Mali. Notre interlocuteur répond par un sourire énigmatique et se contente de dire : « Tu sais, ce n’est pas un homme riche. S’il se met à devenir large et sans limites, les Maliens trouveront à dire qu’il vole les deniers publics. Bien sûr, un chef doit être généreux, mais donner des sommes colossales à tous les visiteurs et quémandeurs, c’est difficile… » Mais à la question insistante : est-il radin ou généreux dans la vie courante ? Notre interlocuteur refuse de répondre.

Cette question est comme un mystère. Comme d’ailleurs d’autres mystères qui entourent la carrière de l’homme du 26 mars 1991. Quelle était la nature de ses relations avec Moussa Traoré ? Quel pacte le lie au milliardaire américain George Soros, grand spéculateur devant l’Eternel et patron de l’Open Society Institute, ce centre qui, sous couvert de démocratie, finance des soulèvements populaires dans le monde (Ukraine, Géorgie, Cuba, etc.) ? Et surtout, saura-t-on un jour tout de son passage à l’Ecole de guerre de Paris 1990 et ce fameux entretien à Annecy avec la crème du capitalisme français et des éléments de la DGSE en 2000. Il est peut probable qu’il en parle un jour.

Toutefois, aujourd’hui, à 22 mois de la fin de son mandat, la préoccupation principale des citoyens est de savoir ce qu’il fera en 2012, principalement s’il fera comme Alpha Oumar Konaré en 2002, imposer un successeur. Amadou Toumani Touré, a-t-il un dauphin ? Un ex-ministre resté proche du général confesse : « Il y a des gens qui spéculent à l’effet qu’Amadou donnera les clés de Koulouba  à tel ou tel autre. C’est mal le connaître ou prendre ses fantasmes pour argent comptant. ATT veut rester le héros d’un peuple et de tout un continent en perdition, l’homme auquel on fera appel en cas d’impasse, le sauveur. Pour cela, il fait un calcul simple et tout est franchement calcul simple et direct chez lui : Si je pars dans les mêmes conditions qu’en 1992, je serai encore plus populaire, plus aimé, plus respecté. Alors qu’en faisant le jeu de la politicaillerie, je me déshonore et ternis mon image. Alors, je fais des promesses qui ne coûtent rien, tout le monde est content et se croit important. A la dernière minute, je me barre et je les laisse se débrouiller. »

Option

Dans une prochaine édition : Scénarios sur l’après ATT.

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