La route tue beaucoup trop chez nous. En proportion, c’est-à-dire en rapportant le nombre de tués au nombre de voitures en circulation, nos rues et nos routes sont parmi les plus meurtrières au monde. La route nationale 6, celle de Ségou allant jusqu’à Gao, a fait une hécatombe entre le 23 septembre et le 8 octobre, avec 40 tués en deux accidents.
Et il s’agit de morts en convois officiels, ne prenant pas en compte les usagers ordinaires. Pour un pays sous-développé, c’est une bien triste situation que la machine, dont il a plus besoin que quinconque, lui fasse plus de mal qu’aux autres. Et quand cette manchine est la voiture ou le car, pour faucher la vie du vacancier, du congressiste ou de l’homme d’affaires, le deuil encore plus cruel. Cherchant les causes de ce malheur trop bête, certains ont invoqué l’irrationnel, les diables qui se vengent, les sacrifices négligés. Attention à ne pas provoquer la colère des djinns, qui existent bel et bien, par des allégations mensongères. Attention aussi à ne pas oublier les hommes-démons (“adamaden shètanè”), cette catégorie supérieure de malfaiteurs, dont le nombre croît à une vitesse exponentielle avec le développement de la civilisation de l’argent.
C’est l’argent qui meut cette cohorte dangereuse, qui voue un culte fervent au veau d’or. C’est à son compte qu’il faut mettre les cadavres, mutile ou pas, d’enfants sacrifiés pour obtenir une place politique ou augmenter le capital de leur commerce. Mais c’est aussi cette engeance criminelle qui est responsable des tués quotidiens de la route de Ségou et de la ville de Bamako depuis 40 ans. Elle se compose des propriétaires de camions de transport en commun trop cupides pour réparer les véhicules, de fonctionnaires trop corrompus pour délivrer de vrais permis ou de vraies cartes de visite technique, d’agents de la circulation trop malhonnêtes pour ne pas prendre de pots-de-vin.
Quant aux conducteurs, eux qui sont comparables à des capitaines de navires, ne doivent-ils pas rouler doucement, un moyen simple pour éviter les accidents? S’ils sont jeunes, qu’ils songent simplement à vivre plus longtemps !
Ibrahima KOÏTA
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