Éditorial: « Presse : demain, le péril… » ?

0

Comme un couperet, la décision de sanctionner la chaîne de télé Joliba TV News est tombée ce jeudi 3 novembre. La Haute autorité de la communication (HAC) a utilisé ainsi les ciseaux de la régulation qu’elle détient pour suspendre d’exercice la chaîne privée pendant deux mois.

La vie dans le pays ira son train-train habituel, sauf pour ces confrères privés de leur travail. Et inutile de dire que les évènements ont pris une tournure pire que ce qu’on craignait. Inutile aussi de s’étaler sur les griefs de la HAC à l’encontre du confrère Mohamed Attaher Halidou. Son éditorial incriminé, pour nous, est basé sur des constats factuels au sujet du laisser-aller et du laisser-faire sur les réseaux sociaux au Mali, que nous sommes nombreux à déplorer.

Le « règne de la pensée unique » ? Ce qui est sûr, c’est que nous vivons une période de l’histoire politique du Mali où les opinions alternatives sont peu acceptées, et les élans critiques se sentent coincés entre le marteau d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom et l’enclume du consensus autour du soutien collectif à la transition.

Dans l’état actuel des choses, la sagesse nous commande de calmer le jeu et de « jeter davantage de lait sur le feu que d’huile », pour reprendre la métaphore filée par un ministre du gouvernement de transition à destination des correspondants des médias étrangers au cours d’une rencontre il y a quelques mois.

Reste que cela ne doit pas empêcher de rappeler quelques vérités fondamentales. Depuis des décennies, l’enjeu reste le même : celui d’avoir une presse ouverte, structurée avec un traitement de l’actualité ouvert à l’analyse et à la contradiction.

La presse ne peut être réduite à un rôle de caisse de résonance. La période est « sensible » certes, comme l’a écrit la HAC dans sa mise en demeure. Mais cela n’est pas une raison pour assigner à la presse –comme on le constate depuis un certain temps– une mission de pacification ou imposer le « patriotiquement correct » qui, comme l’écrit Michel Ben Arrous, la ramène « à une fonction instrumentale comme sous les partis uniques il y a trente ans ».
Et ce qu’a dit Gaoussou Drabo, ancien chroniqueur vedette du quotidien national L’Essor et siégeant aujourd’hui à la HAC, est à redire. Nous donnons aux lecteurs un extrait de sa chronique du 11 août 1991, intitulée « Presse : demain, le péril… » publiée dans le recueil Le chemin des orages (2001, Ed. Donniya) :

« En fait, pour les journalistes, le combat s’engage tout juste. Et ils auront besoin de tout l’appui que le public leur apportera. Car la liberté d’expression est indivisible. Que l’on s’attaque à un seul de ses éléments et c’est tout l’édifice qui sera menacé d’écroulement. Il est certain qu’il s’en trouvera parmi nos concitoyens qui se demanderont à juste raison si une liberté totale n’est pas plus nocive qu’une liberté ‘’surveillée’’.
Nous leur répondrons de prendre avec nous le pari sur la responsabilité. Toute presse libre passe par une phase de puberté, donc d’excès. Mais inévitablement elle se bonifie en prenant de la bouteille et mûrit avec son public.

En outre, une société teste sa solidité en absorbant toutes les formes d’excès et en n’excluant a priori l’utilité d’aucune expérience. Les journalistes que, selon l’humeur, l’on catégorise en héros, en gêneurs ou en larbins méritent qu’on leur garantisse enfin leur fonction qui est d’informer toujours et de déranger très souvent. Camus qui (on l’oublie parfois) fut un superbe journaliste a eu une réflexion qui pose clairement les termes du choix que doit faire en matière d’information une société démocratique : ‘’Quand la presse est libre, cela peut être bon ou mauvais, mais sans la liberté, la presse ne peut être que mauvaise. Pour la presse comme pour l’homme, la liberté offre une chance d’être meilleure, la servitude n’est que la certitude de devenir pire’’. »

Bokar Sangaré/ benbere.org

Commentaires via Facebook :