Editorial : Libye : quelle sera la gestion de l’après Kadhafi?

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La Libye est désormais aux mains du Conseil national de transition (CNT) la chute de Mouammar Kadhafi étant déjà avérée, bien qu’il reste jusqu’à présent insaisissable et que sa tête soit mise à prix : depuis lors, le CNT avait « décrété » que sa capture n’était plus qu’une question de jours, oubliant ainsi « qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir abattu ».

Pourtant, les insurgés avaient fait croire que les enfants de Kadhafi, dont le fameux Seif El Islam et ses frères Mohamed et Assad, étaient arrêtés ou se sont rendus. Or quelques heures après cette information, Seif El Islam paradait devant des caméras de télé (sûrement pas ceux de la télé libyenne) et galvanisait les partisans encore fidèles à son père. Par contre, l’information fondée, c’est celle confirmée par les autorités nigériennes : la présence au Niger d’un fils de Kadhafi et non moins footballeur professionnel, Saadi Kadhafi. Mais d’ores et déjà, les tombeurs de l’ex-Guide libyen (Etats-Unis, France, Grande Bretagne, dirigeants du CNT…) envisagent l’après Kadhafi. D’abord, c’est Barack Obama qui envoie 1 500 000 dollars au CNT : un pactole issu des avoirs de Kadhafi gelés par les Etats-Unis et qui servira à la réorganisation du pays et au renforcement des capacités de guerre du CNT. Mais compte tenu des énormes dégâts provoqués par la crise, ce dégel paraît bien  insuffisant, même s’il peut contribuer quelque peu à la reconstruction du pays. Puis c’est le N° 2 du CNT, Mahmoud Jibril, qui était reçu à l’Elysée par Nicolas Sarkozy. Ensuite, c’était 13 Chefs d’Etat et 69 nations qui se réunissaient (1er septembre à Paris) sous l’égide du même Sarkozy : sur un large panneau, on pouvait lire : « Conférence de soutien à la Libye ».

La raison de cette rencontre, qui avait requis la présence du désormais  homme fort de la Libye, Moustapha Abdel Jalil (déjà considéré comme Chef d’Etat) et rassemblé des pays favorables au CNT : le déblocage des 15 milliards de dollars de Kadhafi gelés dans différents pays du au profit du CNT. Tous ces faits incitent à croire que la coopération entre le CNT et ses sauveurs est en train de se mettre en place pour un nouveau régime en Libye. Reste à savoir si les futurs dirigeants libyens seront assez réalistes pour initier la démocratie et le développement, surtout après 42 ans de pouvoir dictatorial.

Rappelons pourtant avec quelle attention certains pays européens (Belgique, Suisse, Italie, entre autres) tenaient à restaurer leurs relations de coopération avec la Libye de Kadhafi et avec quels fastes et sollicitudes Kadhafi avait été reçu dans le temps à Paris par…ce même Sarkozy. Durant une heure, Kadhafi s’était même payé le luxe de faire « poireauter » (attendre) la Presse et les officiels français, y compris Sarko. C’est qu’à cette époque, la France était disposée à « se plier en quatre » pour satisfaire les desiderata de l’ex-Guide libyen. Mais cette nébuleuse affaire de vente de « rafales » (avions de guerre) ratée entre Kadhafi et Sarkozy avait définitivement brouillé les relations entre les deux hommes. La suite, on l’a connaît…

Par ailleurs, bien des pays africains ont bénéficié de la manne financière issue des pétrodollars libyens. Le groupe libyen LAICO est presque partout présent en Afrique et s’investit dans bien des secteurs : télécommunications, agriculture, hôtellerie… Cependant, tous les pays africains (enfin presque) reconnaissent aujourd’hui le CNT, bien qu’ils aient pourtant « mangé dans le plat » de cette manne financière de Kadhafi. En tout cas, très rares sont de nos jours les pays africains qui clament haut et fort leur soutien à l’ex-régime libyen. Aussi, des observateurs se demandent si cette soudaine désolidarisation des pays africains envers Kadhafi et leur ralliement aussi soudain à la cause du CNT ne sont pas une combine franco-américaine. En fait, c’est comme si Sarkozy et Obama avaient exercé sur ces pays africains  une sorte de chantage qui ne dit pas son nom : le genre « Séparez-vous de Kadhafi et ralliez-vous au CNT, sinon… ». Si c’est le cas, on peut se demander : que récolteront ces pays africains en échange de leur « trahison » envers Kadhafi ?

 Pourtant, il faut reconnaître que les aides consenties par Kadhafi aux pays africains n’étaient pas gratuites, encore moins humanitaires, même si elles avaient été louées par beaucoup d’Africains. En effet, ces aides visaient surtout à lui conférer une aura internationale qui lui permettrait de devenir…le Président des Etats Unis d’Afrique : un rêve, ou du moins une utopie qu’il avait toujours nourrie, caressée, soutenue et farouchement défendue. Ne s’était-il d’ailleurs pas fait couronner « Roi de rois » d’Afrique ?…Mais on a beau dire ou « maux dire », même si la plupart de ses voisins d’Afrique de l’Ouest avaient observé un silence de carpe face à ces dernières évolutions de la situation libyenne, Kadhafi était resté un homme admiré, chouchouté et ménagé par tous ses pairs africains, soit à cause de ses idées révolutionnaires, soit à cause de sa richesse et de la puissance du pétrole libyen. Dans tous les cas, ce « divorce » des pays africains avec Kadhafi remet en question leur coopération avec la nouvelle Libye. En effet, que deviendront ces entreprises (agricoles, immobilières, hôtelières et autres) initiées par Kadhafi  dans bien des pays africains ? Seront-elles reprises par le futur gouvernement du CNT, mais sous de nouvelles formes de coopération ? Et si cela se réalisait, l’économie de ces pays africains bénéficiaires de l’aide de Kadhafi n’en ressentirait-elle pas de sérieux coups ?

Quoi qu’il en soit, le moins que l’on puisse constater, c’est que la démocratie n’a réellement pas contribué à améliorer la solidarité entre les pays africains : il suffit qu’un Chef d’Etat africain (qu’il soit démocrate ou despotique) soit confronté à des problèmes pour que ses pairs jouent au sourd et à l’aveugle à son endroit. Alors que c’est exactement l’inverse chez les Occidentaux : non seulement ils n’en arrivent jamais aux mains, mais ils s’unissent étroitement chaque fois qu’il s’agit de sauver leurs intérêts réciproques.

 

Zhao A. Bamba

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