Editorial – Le choc des corporatismes

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Le samedi dernier, les auditeurs de la radio Klédu, lors de l’émission réservée aux consommateurs, ont pu donner leur avis sur la paralysie des milieux hospitaliers et socio-sanitaires depuis le mercredi dernier. Les avis étaient partagés entre ceux qui estiment que les médecins doivent répondre de leurs actes (ils n’étaient pas nombreux), ceux qui pensent que nous sommes en face d’un abus de la famille judiciaire décidée à venger la mort d’un de ses membres (l’écrasante majorité) et ceux enfin qui sont convaincus que le pays fait face à une crise de l’autorité de l’Etat.

 Malgré la douleur qui frappe la famille de Me Touré Aïda Niaré et la famille judiciaire, il apparaît que le juge d’instruction, en décidant de mettre sous mandat de dépôt le médecin et son assistante, est allé vite en besogne. Outre qu’il donne l’impression d’être juge et partie, il a compliqué davantage une affaire qui n’était déjà pas si simple dès le départ, vu l’émotion qu’elle a suscitée. Le juge prive non seulement deux hommes de leurs libertés, faisant fi de la présomption d’innocence et les condamne dans la foulée presque comme des coupables avant même de savoir le fin mot de l’histoire ou d’avoir en sa possession les conclusions de l’enquête qui s’impose. Ne mériterait-il pas, lui aussi d’être poursuivi au regard des dommages collatéraux sur la population ?rn

La célérité avec laquelle la Justice s’est saisie de l’affaire tranche avec sa lenteur habituelle. Et le fait que Me Touré Aïda Niaré soit avocate n’y est certainement pas étranger. D’où le malaise palpable du fait de l’impression que la famille judiciaire se soustrait à ses propres règles et se rend justice quand elle ne règle pas des comptes. Conséquence, une banale affaire s’est muée en affaire d’Etat ou de l’Etat avec le déploiement des médecins militaires appelés à la rescousse pour suppléer la désertion des médecins qui ont abandonné le travail par solidarité envers leurs collègues incarcérés injustement à leurs yeux. « Puisque la Justice fait du corporatisme, nous allons lui montrer que notre corporation est plus nombreuse et plus utile » entend-on dire de la bouche des blouses blanches qui ne décolèrent  pas après les robes noires.

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C’est le choc des corporatismes qui a engendré le cauchemar que les populations ont vécu. D’où la remarque des Maliens dont certains se demandent où se trouve l’Etat, où est passée son autorité ? Il est clair que les mesures administratives envisagées à l’encontre des grévistes ne pourraient au mieux qu’envenimer la situation et au pire radicaliser les positions. Parce que le domaine de la santé ne peut souffrir longtemps d’être sous perfusion avec un service minimum assuré par des militaires volontaires mais dépassés alors que même en temps normal les services hospitaliers et socio-sanitaires ne satisfont pas la demande.

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Ce qui s’est passé n’est pas sans rappeler la fameuse affaire de « la maîtresse du président de la République ». Dans un zèle qui n’a d’égal que sa promptitude à servir les puissants, la Justice a embastillé un enseignant et cinq journalistes avant de les condamner à l’occasion d’un procès qui demeurera à jamais comme un véritable scandale dans les annales des dénis de justice. Là également, face à ce qu’ils ont assimilé à une véritable atteinte à leurs libertés, les journalistes avaient décrété une journée « presse morte » et les syndicats enseignants menacent de vulgariser le sujet à la prochaine rentrée des classes si jamais l’enseignant n’était pas complètement blanchi et remis dans ses droits.

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Elhadj Tiégoum Boubèye Maïga

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