Drapée dans un léger voile bleu ciel, Alkahidate recoiffe les tresses de sa petite dernière, l’une de ses rares occupations depuis qu’elle vit sur cette terre désertique du Sahel, au nord du Burkina Faso. Cette mère de famille touareg a fui la capitale malienne Bamako voilà quatre mois, direction le camp de réfugiés de Mentao. Avec ses quatre enfants, elle survit désormais grâce à l’aide internationale sous une tente construite avec des morceaux de bois. C’est ici qu’elle a appris que son mari, resté au Mali, avait été tué par balles. Par qui, pourquoi ? Elle ne sait pas mais elle « ne retournera pas au Mali tant qu’il n’y aura pas la paix ».
Exécutions sommaires, pillages, saccages, viols : comme Alkahidate, 65 000 Maliens ont fui les violences qui sévissent dans leur pays depuis plusieurs mois pour venir se réfugier au Burkina Faso.
Profitant de la confusion née du coup d’Etat du 22 mars à Bamako, les rebelles indépendantistes touaregs du MNLA (le Mouvement national de libération de l’Azawad) se sont alliés avec les islamistes d’Ançar Dine pour s’emparer d’une grande partie du nord du Mali, un territoire deux fois plus grand que la France. Cette fragile alliance n’a pas duré. Le MNLA, laïque, souhaite un Etat touareg indépendant, tandis que les groupes islamistes veulent y imposer la charia, la loi islamique. Ces islamistes, appuyés par Aqmi (Al-Qaida au Maghreb Islamique) « sont les plus armés, les plus entraînés, les plus disciplinés aussi », selon Dominique Thomas, spécialiste des questions islamistes et du monde arabe. Résultat : après de violents affrontements, ces dernières semaines, les séparatistes du MNLA ne contrôlent aujourd’hui plus aucune place forte de la région.
En attendant, les conséquences humanitaires de l’exode malien s’aggravent.
Le Sahel en proie à une grave crise alimentaire
L’afflux massif de réfugiés n’est pas sans conséquence sur le reste du Sahel où la pauvreté et la sécheresse n’ont pas attendu la crise malienne pour s’installer. Sur ce territoire, qui s’étend du nord du Sénégal au Tchad (comprenant notamment une partie du Mali et du Niger), plus de 18 millions d’habitants sont touchés par une nouvelle crise alimentaire, dont 2,5 millions au Burkina Faso. C’est donc avec scepticisme que certains Burkinabè voient arriver sur leurs terres ces étrangers qui bénéficient de l’aide internationale. Dans son petit local en banco, Tamboura Amadou Saloum, animateur du projet nutrition de la Croix-Rouge l’affirme : « La présence des Maliens a fait augmenter le coût des denrées. »
Pour éviter toute tension entre la population locale et les réfugiés, Valérie Amos, la secrétaire générale adjointe des Nations unies aux affaires humanitaires, de passage sur le camp de Mentao, a tenu à préciser que l’aide du HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) était également distribuée aux Burkinabè « qui comptent 500 000 enfants souffrant de malnutrition » selon elle. Pour Jean Heureu, chef de mission de Médecins sans frontières au Burkina, cette situation sonne presque comme une aubaine : « Sans la présence des réfugiés, les populations locales n’auraient reçu aucune aide », affirme-t-il.
Des propos nuancés par Bénéwendé Sankara, le chef de file de l’opposition burkinabè : « Le problème, c’est que cette aide n’est distribuée qu’aux populations qui vivent à côté des camps de réfugiés. » Dans le reste du pays, les habitants touchés par la crise n’ont eux plus rien à manger. La barbe blanche assortie à son boubou, Ahadi prend fièrement la pose dans son village reculé de Bodiaga à l’est du pays. Pourtant, depuis le mois d’avril, ce père de vingt enfants n’a plus de stocks de céréales dans son grenier alors qu’il doit tenir jusqu’en octobre, date de la prochaine récolte. Quelques cases plus loin, Polenli attend son dixième enfant et n’a plus de nouvelles de son mari, parti au Bénin pour trouver un travail. Deux de ses petites filles souffrent de malnutrition.
S’il n’y a pas encore eu de conflit entre les réfugiés et leurs hôtes, cela reste une crainte. Le journal national, L’Observateur Paalga, fait aussi état de la flambée immobilière dans les communes situées autour des camps. Les familles maliennes aisées n’hésitent pas, selon le quotidien, à déloger les locataires des maisons en proposant d’augmenter le loyer…
Sophie Arutunian et Cécile Bourgneuf, envoyées spéciales de Mediapart au Burkina Faso