Pourquoi des pays comme la Grèce, l’Ukraine ou la Serbie feraient partie de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), tandis que la porte serait fermée au Soudan? Si l’abhorré Oumar El Béchir règne aujourd’hui à Khartoum, en 1960 il y avait en Grèce la dictature des colonels et les Serbes, eux, sont les auteurs du plus grand génocide du XXe siècle, après celui des Nazis.
La France reconnaît des Etats et non des gouvernements, a-t-on coutume de dire. Cette règle devrait s’appliquer avec plus de constance encore quand il s’agit de défendre la langue française. En l’occurrence, il devrait suffire du critère linguistique aux réunions internationales et de l’existence d’une filière “français” dans quelques facultés du pays candidat, ce qui est une condition facile à remplir par tout le monde. Car la francophonie doit être ouverture, comme le français lui-même. Y aurait-il un partage secret des zones d’influence prévoyant des chasses gardées et des territoires neutres comme au bon vieux temps de la guerre froide et de la colonisation?
Ce serait, pour les anciennes colonies, une surprise désagréable. En effet, en raison même de ce passé désastreux, nous sommes, nous les noirs en tout cas, de ceux qui sentent viscéralement l’appel de la civilisation universelle. Quoi ! Le Gambien et le Sierra Leone, qui ont leurs frères malinkés en Guinée, en Casamance, à Odienné ou au Mali seraient classés anglophones, comme ces Soudanais qu’on vient de rejeter, en disant qu’ils relèvent du Commonwealth?
Le New Yorkais de Harlem, le Brésilien noir et le Cubain seraient irrémédiablement perdus pour cause de lusitanité et d’hispanité? On l’a bien compris : ce rejet du Soudan n’est pas de bon augure, tout comme de considérer la Roumanie comme un pays francophone parce qu’elle veut se servir de la France pour intégrer l’Union européenne au plus vite. Il serait vain de parler de “valeurs” démocratiques de la Francophonie (un domaine où les Anglo-Saxons nous battent assurément) tout comme de confier son destin à la force politique de la France, du Canada, de la Belgique et de la Suisse. Il faut s’appuyer sur les rapports humains vécus à travers les échanges commerciaux et culturels (dont participent les fameux courants migratoires) et bannir le fait gouvernemental. Il faut découvrir l’âme bambara, malinké ou peulh dans les poèmes de Victor Hugo, les fables de la Fontaine, Le Cid de Corneille, la Chanson de Roland, ainsi que les oeuvres mondiales auxquelles nous avons eu accès grâce à la langue française.
Ibrahima KOÏTA
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