Même si ses hommes essaient de minimiser l’événement, la mort de Khalil Ibrahim est un important objectif militaire. Car l’irrédentiste de 54 ans fut un redoutable dialecticien qui a toujours soutenu que la misère et la marginalisation des gens de sa vaste région du Darfour étaient voulues par un « pouvoir arabe » de Khartoum aux accents « aryens ». C’est pourquoi, écorché vif ou grand joueur qui séduisait à chaque fois la communauté internationale, il ne signa aucun accord issu des longs rounds de négociations depuis 2004, contrairement à Mini Minawi, le leader du Slm, l’autre aile de la rébellion qui a signé la paix en 2006 tout en gardant, pour l’instant, son armée.
Incontestablement, le Soudan connaît un grave problème de gouvernance et d’injustice criarde entre ses régions qui a aggravé la fracture sociale entre un centre oligarque d’arabes bon teints et une périphérie prolétarisée et noire dont l’actuel et ex-région du Sud Soudan avec pas plus de 50km de route goudronnée à son indépendance en juillet 2009.
Le discours égalitaire avait donné une certaine légitimité populaire au chef du Mouvement Justice et Egalité dans un Darfour soumis jusqu’en 2005 à une répression aveugle que Khartoum sous-traitera surtout avec ses milices Jenjaweed. Ironie du sort, ce sont les trêves successives avec Khartoum qui semblent avoir perdu le chef rebelle âpre au combat aux alliances réversibles. Deby, El Beshir, puis Kadhafi : Khalil Ibrahim savait peut-être qu’il paierait un jour sa faute tactique. Celle d’avoir éconduit en 2003 le chrétien Garang qui lui proposait de fédérer leurs rancœurs et leurs forces contre le pouvoir de Khartoum et d’avoir privilégié avec l’islamiste Tourabi plus l’axe de la convergence identitaire que de l’exigence démocratique. C’est vrai qu’il voulait lui aussi d’un Darfour indépendant. Mais tout est maintenant de savoir ce que pèsera l’agenda Darfour sans l’opiniâtreté et le carnet d’adresses du capitaine disparu.
Adam Thiam
Le Républicain du 27 Décembre 2012