C’était prévisible ! En Centrafrique, tous ou presque étaient convaincus qu’il était difficile de passer de Bozizé à Djotodja « sans passer par Hobbes », c’est-à-dire un « Etat de nature » où l’homme est un loup pour l’homme, comme c’est le cas aujourd’hui dans les villes de Bossangoa, Bouca…
Relevons d’ores et déjà qu’il n’est pas aisé de s’exprimer à propos de la Centrafrique. Surtout que chaque jour, par l’artifice d’internet, des blogs, des centrafricains tout comme des journalistes étrangers sur place, rendent compte du développement d’une crise qui n’a pas encore dit son nom mais qui semble avoir dépassé la cote d’alerte. Guerre civile, confessionnelle-larvée ? Ce qui est sûr, c’est que tous les risques pour y parvenir sont réunis avec surtout la chape de violence qu’une bande de frappe incontrôlée de la galaxie Seleka font subir à des pauvres et paisibles populations aux abois. Encore plus grave, c’est qu’un glissement vers un conflit confessionnel – entre chrétiens et musulmans- est en train de s’opérer. Résultat, plus de 3 000 centrafricains se sont réfugiés dans la province d’Equateur, en RDC ; des populations cherchent à se mettre à l’abri des atrocités, se cachent dans la brousse comme si nous étions encore au stade primitif, ou se refugient dans la capitale Bangui.
Mais ce qui humilie et choque, c’est que la Communauté Economique et Monétaires des états de l’Afrique centrale (CEMAC) et l’union Africaine, ont encore une fois montré qu’elles ne sont que des modèles d’impuissance du fait de leur incapacité à apporter une solution tranchante à cette crise qui a fini de mettre sens dessus dessous ce pays du continent. Dans un article intitulé « La solution ne viendra pas d’eux… », le blogueur Johnny V. Bissankou ne fait pas dans le détail et dit à qui veut l’entendre de ne pas attendre grand-chose de la CEMAC dans cette crise. Et pour ceux et celles qui ont besoin d’une autre définition de la cemac, il écrit que c’est « une communauté divisée, faible à tous les niveaux, dirigés par des présidents qui sont tous ou presque arrivés au pouvoir dans leur pays à la faveur d’un coup d’Etat et qui gagnent par l’opération du Saint Esprit toutes les élections présidentielles qu’ils organisent ».
Comment expliquer que cinq sommets après le renversement de Bozizé, on en soit toujours à une espèce de stase, à assister à une cavalcade de discours de la part des dirigeants de cette communauté (voire de l’Union Africaine), qui semblent ne pas avoir compris qu’il est temps de passer de « la parole vide » à « la parole pleine » ? Impénitence ? En tous les cas, ça y ressemble.
« Quand l’Etat est fort, il nous écrase ; s’il est faible, nous périssons », cette phrase de Paul Valery, qui a valu des heures de débats en terminale avec notre professeur de philosophie, vient à l’esprit à propos de l’état actuel de la Centrafrique. Dans ce pays, l’Etat est faible et des Centrafricains sont en train de périr dans une scandaleuse indifférence quasi générale. Les médias internationaux, qui ne passaient pas une seule heure sans parler de la RCA, pressés –qui sait ?- de voir Bozizé déchu, ont aujourd’hui détourné les yeux au moment même où le nec plus ultra de la crise sécuritaire et humanitaire a été atteint. Le président autoproclamé, Michel Diotodia, et son premier ministre Nicolas Tiangaye, ce brillant avocat qui, faut il le rappeler, a défendu en 1986-1987 jean-Bedel Bokassa lors du procès de ce dernier, donnent la pénible impression de ne rien contrôler dans le pays et d’assister impuissants au calvaire des populations.
Le plus grave reste la démission des élites politiques et intellectuelles qui, à force de rivaliser de prises de position dans la guerre de place, ont fini par signer un pacte implicite avec Diotodia …et sa clique dont une partie se complait aujourd’hui à faire « descendre une couronne d’enfer sur la tête » des populations de certains villages. Et tout cela à la faveur de l’impuissance des forces de la MISCA et de la FOMAC qui sont bien en peine de les désarmer.
Et le grand perdant s’appelle le peuple centrafricain qui est en train de payer un lourd tribut à ce qui ressemble désormais à un imbroglio. Mais « les régimes vivent, s’usent et meurent », écrit Maleka Mokkedem dans L’interdite. Le peuple, lui demeure et n’a jamais été vaincu par personne.
Boubacar Sangaré