Les autorités de la Transition doivent mettre balle à terre
Vendredi dernier, les Bamakois et tous ceux qui suivent l’actualité sur le Mali ont dû retenir leur souffle pendant de bon moment. Et pour cause, des milliers de policiers s’étaient massés devant la porte de la Maison d’arrêt centrale de Bamako-Coura pour exiger la relaxe pur et simple de leur camarade, le commissaire de Police Oumar Samaké, commandant de la Force spéciale anti-terroriste (Forsat). Le grief des manifestants en uniforme pour se faire entendre de cette manière est : « la Police n’est pas la seule force constitutive de la Forsat. Donc, le commissaire ne saurait être le seul à répondre à la convocation d’un juge, encore moins placé tout seul sous mandat de dépôt. A cet effet, ils exigent la comparution des officiers des autres forces que sont la Gendarmerie et la Garde nationales… »
Après plusieurs heures de brouhahas et de négociations, les visiteurs ont fini par avoir raison du sang-froid des autorités qui ont fini par céder à leur revendication. Le commissaire Oumar Samaké, après un petit moment en prison, est ressorti et transporté par ses collègues jusque dans la cour du Groupement mobile de sécurité (GMS), à N’Tomikorobougou. Pris de court par la rapidité des événements et au regard de la gravité de la situation, le gouvernement dirigé par Dr Choguel K. Maïga n’a pu réagir que 24 heures après cette opération musclée. Dans ce communiqué largement partagé sur les réseaux sociaux, le gouvernement condamne mollement cette action musclée des éléments de la Police nationale et rappelle sa volonté d’aller vers une gouvernance de rupture et vertueuse, faisant de la lutte contre l’impunité et la mauvaise gestion des affaires publiques l’axe central de ses actions. Le communiqué rassure également les policiers du respect de leur droit dans toutes ses dimensions. Toujours dans le sens de l’apaisement, le directeur général adjoint de la Police nationale, Youssouf Binima, a été dépêché par la hiérarchie pour aller négocier avec les policiers dans leur base, au GMS. La mise en relation de toutes ces initiatives vise à mettre balle à terre pour ramener le calme dans les rangs de la Police nationale.
Allait-on en arriver là si les autorités avaient juste mesuré la portée juridico-politique de cette initiative ? Certainement pas. Dans un contexte d’instabilité généralisée, le bon sens voudrait qu’on diffère le traitement de certains dossiers brûlant, même s’ils sont d’extrême gravité. C’est le cas des dossiers relatifs au crime de sang qui avait renvoyé l’ancien président Moussa Traoré à la barre environ deux ans après les événements de mars 1991. Pendant ce temps, les responsables politiques d’alors, d’abord le président de la Transition, Amadou Toumani Touré, et le nouveau président élu d’alors, Alpha Oumar Konaré, ont travaillé à soigner les plaies sociales nées de cette profonde crise politique. Le procès lui-même a duré de longs mois.
C’était également le cas en 1997, où à la suite d’un meeting populaire de l’opposition, regroupé au sein de la coalition alors appelée le Coppo (Collectif des partis politiques de l’opposition), un policier répondant au nom de Moussa Diarra a été battu à mort par une foule déchainée. A cette occasion, le gouvernement du président Alpha Oumar Konaré, alors dirigé par un certain Ibrahim Boubacar Keïta, a fait arrêter prèsque tous les leaders de l’opposition réunis au siège du Miria, à Hamdallaye, pour animer une conférence de presse. Pendant de longs mois, ils sont restés en prison et relaxés sans jugement après des conciliabules menées par des médiateurs traditionnels et l’intervention de certains chefs d’Etat amis du Mali. L’affaire est classée sans suite. Récemment aussi à Niono, un commissaire de Police a été tabassé par des manifestants remontés en bloc contre lui pour des raisons professionnelles, jusqu’à ce que mort s’en suive. Comme l’affaire Moussa Diarra, cette autre affaire reste pendante sans une suite judiciaire clairement établie.
Au regard de ces crimes qui n’ont pas encore élucidés par la justice, il convient de mettre balle à terre au nom de l’équité et non juste faire plaisir à un camp contre un autre, en abandonnant ce dernier à son triste sort. Cela s’appelle la justice des vainqueurs, qui mérite d’être analysée à la loupe pour éviter les frustrations. Car, une gouvernance ne saurait être vertueuse quand elle a un sens unique. Elle doit l’être pour toutes les composantes de la société.
Assimi Goïta et Choguel K. Maïga doivent mettre balle à terre au nom de la stabilité et laissé le règlement judiciaire de cette affaire pour le gouvernement futur.
M. A. Diakité