A la loupe : Députés règlementaires

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Modibo Kéita
Primature: La passation de pouvoirs entre le PM sortant Moussa Mara et le PM entrant, Modibo Keita

Jeudi dernier, les députés ont créé le buzz dans l’hémicycle en reportant une séance de questions d’actualité parce que le Premier ministre n’avait pas daigné répondre à leur convocation. Modibo Kéita, comme tous ses prédécesseurs et comme tout ceux qui ont été nommés ministres au Mali depuis des décennies, occupent ou ont occupé des postes politiques, certes, mais doivent surtout leur nomination à leurs compétences. C’est sur la base de leurs diplômes, de leurs aptitudes, de leur expertise et de leur technicité qu’ils sont nommés. Il est vrai que des ministres déçoivent et ne soient pas à hauteur de souhait, mais a priori ils avaient le profil. En revanche, à l’Assemblée nationale, on peut trouver de tout : intellectuels, illettrés, analphabètes, semi-analphabètes (les pires), incultes, technocrates, bergers, cultivateurs, etc. la présente législature compte même des présumés terroristes et criminels en tout genre. Bref, l’Assemblée nationale, c’est un fourre-tout, un pot-pourri.

Même l’idiot du village, pourvu qu’il en ait les moyens, peut acheter des voix au sein du peuple. Oh ! Il en faut juste un peu, au Mali le taux de participation est trop faible depuis que le peuple, dans sa très grande majorité, a compris qu’on se servait de lui comme d’un ascenseur pour parvenir à l’hémicycle où il y a donc n’importe qui et n’importe quoi. On n’a pas besoin de diplôme pour être député au Mali, on a juste besoin de savoir se faire appeler honorable même si on ne l’est pas. C’est d’ailleurs pourquoi, ce pouvoir qui se dit législatif n’a jamais pris de son propre chef d’élaborer le moindre texte législatif. C’est le gouvernement qui lui envoie des projets de textes qu’il entérine. Les langues vipérines disent que les nombreuses commissions parlementaires ne servent donc à rien. Ce qui est faux, car elles servent à élaborer des textes règlementaires. En particulier, un règlement intérieur qui ne doit, logiquement et normalement, s’appliquer qu’aux seuls députés et dans l’enceinte de l’hémicycle. Et qui suscite cette question : comment le règlement intérieur du Législatif doit-il être imposé à l’Exécutif dans un Etat où la séparation des pouvoirs, consacrée par la Constitution, interdit au chef de l’Etat de pénétrer dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ?

Règlement intérieur

C’est pourtant ce règlement intérieur propre à eux qu’ils ont brandi jeudi dernier pour exiger la présence du chef du gouvernement à Bagadadji, l’un des quartiers les plus insalubres de Bamako. Conciliant, Modibo Kéita est venu le lendemain. Avec, en prime, la tête de son ministre chargé de la sécurité offerte sur un plateau d’argent. Normal, puisque les questions d’actualité étaient censées porter sur l’insécurité généralisée au Mali. Les téléspectateurs de l’Ortm étaient donc nombreux devant leurs téléviseurs, croyant pouvoir savoir enfin pourquoi des maisons explosent à Gao, des camps et casernes sont attaqués à Ansongo, des véhicules sautent sur des mines antipersonnel, des roquettes pleuvent sur Tombouctou, des forains sont attaqués, dépouillés et tués par des coupeurs de route. Mais aussi, pourquoi des fonctionnaires sont tués dans le centre et le sud du pays, pourquoi le drapeau national est déchiré et brûlé, comment, en plein centre de Bamako, des gens sont attaqués et dépouillés de leurs mobylettes « Jakarta », braqués jusque dans leurs domiciles. Pourquoi Kidal ne fait plus partie du Mali. Le ministre de la sécurité intérieure est le mieux placé pour répondre à ces questions d’actualité même si, visiblement, il n’a pas les solutions. Mais le ministre Sada Samaké pouvait s’estimer heureux à la sortie de la pseudo-épreuve, car les questions essentielles n’ont pas été posées. Les députés étaient plus soucieux de savoir pourquoi ils ne peuvent plus voyager faute de passeport, pourquoi ils ne peuvent plus vadrouiller en ville faute de carte d’identité. La sécurité du peuple ? Ils ne sont pas élus pour cela, le peuple n’a qu’à se débrouiller tout seul. Eux, ce qui les intéresse, c’est voyager et voir du monde à l’instar de cet autre élu, grand voyageur devant l’éternel qu’il tutoie dans les cieux avec son superbe Boeing pendant que ses parlementaires ambitionnent de sortir de leur misérable condition de maigrichons. Mais si cela peu consoler les « honorables », ce n’est pas seulement à l’hémicycle que n’importe qui peut être élu. A la présidence de la République aussi.

Cheick TANDINA

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2 COMMENTAIRES

  1. Le règlement intérieur de l’AN s’impose à ses membres. Il ressort d’une loi organique.

    Cependant, le Gouvernement est responsable devant l’AN selon les conditions fixées aux articles 78 et 79 de la constitution malienne du 25 février 1992. Ce qui signifie que le Parlement n’a pas à interpeller indéfiniment un PM. Maintenant ce qui s’est passé le jeudi dernier constitue une question préjudicielle qui à priori doit être tranchée par la Cour constitutionnelle, qui est juge de la constitutionnalité des lois. En terme clair lorsqu’une disposition du RI de l’AN est contraire à la Constitution, elle doit être corrigée purement et simplement. Nous invitons donc les autorités compétentes à tirer les conséquences de ce vice.

    Le PM devrait automatiquement se retirer de la salle en attendant la levée du vice. Merci.

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