L’Union des caisses mutuelles d’épargne et de crédit “Jemeni” a vu sa mise en liquidation prononcée par le tribunal de commerce de Bamako en son audience du 22 novembre 2013. Le liquidateur désigné par le tribunal, l’expert-comptable Aliou Touré, a rendu le tablier en fin de semaine dernière. Pourquoi ?
L’expert Aliou Touré a, selon des sources proches du dossier, rendu sa démission le vendredi dernier. Il craint pour sa sécurité et ne tient pas à ternir sa réputation par une mission mal réussie.
En effet, la veille, il a vu son cabinet assiégé par un demi-millier de manifestants qui s’estiment spoliés de leurs sous par “Jemeni”. Ils pensent que la procédure de liquidation ne garantit pas leurs droits et qu’au final, ils se retrouveront le bec dans l’eau. Aliou Touré les a reçus avec courtoisie, les a écoutés et leur a promis de faire de son mieux pour eux. Après leur départ, il a resolu de rendre le tablier et de ne plus se mêler de la liquidation de “Jemeni” tant que le sort des travailleurs et des petits déposants n’aura pas été réglé. Mais qui se chargera de régler les droits de cette foule de malheureux ?
Les malheurs de “Jemeni”
“Jemeni”, structure coopérative et mutualiste de microfinance, compte la bagatelle de 50.000 clients issus généralement de milieux défavorisés – marchands ambulants, vendeuses de denrées, maçons, ouvriers, etc. Ces clients ont déposé des sommes qui n’ont pu être remboursées avant que l’entreprise n’aille en faillite. Du coup, ils ont mis la pression sur l’administrateur provisoire désigné par le ministre des finances et chargé de gérer l’entreprise en lieu et place des organes statutaires (direction générale et conseil d’aministration). Chaque jour, des manifestants furieux forçaient la porte de l’administrateur, l’obligeant à supporter des monologues, des pleurs, des injures et même des menaces de mort. Il a fallu déployer au siège de Jemeni un peloton de soldats pour y ramener un semblant de tranquillité. Parallèlement, les mesures de saisie des biens de “Jemeni” par une multitude de créanciers se poursuivaient. Lesdits créanciers ont vendu enchères jusqu’aux tables de travail du personnel de l’entreprise.
Sur ces entrefaites, l’Etat débloque un milliard de nos francs pour rembourser en partie l’argent des petits déposants. Ce n’est là qu’une goutte d’eau dans l’océan: distribué parcimonieusement à raison de 30 000 FCFA par semaine et par épargnant, le milliard fond comme neige au soleil. Les travailleurs, eux, sont licenciés à tour de bras; le maigre effectif qui subsiste se serre l’estomac, privé de salaire et réduit à venir, chaque matin, contempler les murs d’une entreprise en ruine où, depuis 2010, plus personne ne dépose un franc.
Des repreneurs potentiels éconduits par l’Etat
Pour vaincre le signe indien qui le frappe et retrouver sa place de deuxième réseau de microfinance malien, “Jemeni” se laisse tenter par les propositions de rachat émises par deux partenaires étrangères.
La première est une entreprise sénégalaise dénommée CCMAO (Confédération des caisses mutuelles d’Afrique de l’Ouest). Elle s’engage à reprendre “Jemeni” et à rembourser l’argent des déposants à condition que l’Etat malien émette à son profit une “lettre de reconfort”, c’est-à-dire une sorte de promesse d’accompagnement administratif et politique des investissements qu’elle projette. L’Etat refuse. Quant à l’entreprise américaine “3B Holdings Corporation”, elle se dit prête à reprendre “Jemeni” et à apurer ses dettes à la condition que l’Etat malien permette à “Jemeni” d’effectuer des activités bancaires. L’Etat, borné comme un âne de Baghdad, ne veut rien entendre: il refuse ! Pourtant, les documents et autorisations qu’on lui demande n’engagent pas ses finances ! La frilosité étatique condamne “Jemeni” à mort.
La liquidation décidée
En août 2012, “Jemeni” obtient du tribunal de commerce de Bamako une ordonnance de suspension des poursuites individuelles dans le cadre d’une demande de règlement préventif. En vertu de cette ordonnance judiciaire, les créanciers sont tenus d’interrompre leurs actions judiciaires individuelles contre en attendant qu’un expert désigné par le tribunal évalue les possibilités de redressement de l’entreprise. Le rapport de l’expert conclut à une évidence : sans liquidités nouvelles, “Jemeni” ne peut survivre car elle détient des actifs d’une valeur de 5 milliards de FCFA contre des dettes de 9,5 milliards de FCFA. Et puisque l’Etat ne veut rien faire pour l’aider ni encourager des repreneurs à s’y engager, “Jemeni” n’a aucune possibilité de renaître de ses cendres. Le tribunal de commerce décide donc, par jugement en date du vendredi 22 novembre 2013, la liquidation des biens de “Jemeni”. Il désigne un expert et un magistrat (juge-commissaire) pour recenser et vendre les actifs de l’entreprise en vue de rembourser les dettes qui peuvent l’être.
Si le tribunal de commerce a ses raisons, force est de reconnaître que tout le monde ne gagnera pas dans l’affaire de liquidation. En effet, quand les liquidateurs auront rassemblé les actifs de “Jemeni”, ils devront rembourser les créanciers de “Jemeni” dans l’ordre établi par la loi. Les premiers à être remboursés seront les créanciers hypothécaires (les banques qui détiennent en garantie l’immeuble abritant le siège de “Jemeni”). La seconde catégorie privilégiée rregroupe les travailleurs de “Jemeni”, l’Etat (INPS, impôts et autres) et les émoluments des liquidateurs eux-mêmes. Le plus gros contingent de créanciers, formé des déposants individuels, risque fort de se retrouver sans un rotin. Puisqu’ils sont plus de 40.000 créanciers dans ce lot et qu’aucun d’eux ne comprend un mot des règles juridiques de liquidation, il y a lieu de craindre des émeutes populaires. L’expert Aliou Touré en a déjà un avant-goût pour avoir vu, jeudi dernier, son paisible cabinet noirci d’un monde en colère. Ils avaient un unique solgan à la bouche: “Pas question de liquider Jemeni!”. Peut-être qu’avec la démission du liquidateur (appelé en droit “syndic”), l’Etat malien prendra enfin conscience de l’enjeu et payera aux déposants ce qu’il a toujours refusé de payer pour sauver “Jemeni”…
Tiékorobani