Un regard sur le Franc CFA, au-delà des considérations identitaires

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Le franc CFA, né le 26 décembre 1945, a été baptisé successivement, Franc des colonies françaises d’Afrique, Franc de la communauté française en Afrique, enfin Franc de la communauté financière africaine, en vigueur depuis les indépendances. Ces appellations ont, à un moment ou un autre de l’histoire des pays du pré-carré français, obéi à une stratégie visant à satisfaire la « Françafrique », c’est-à-dire la politique africaine de la France. Notre regard ne s’intéresse pas à cet aspect tout aussi important, pour le moment.

Partagé par 14 pays repartis en deux zones monétaires distinctes et géré par trois banques centrales, notamment la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), regroupant le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Benin, la Guinée-Bissau et le Togo (formant l’UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine); la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), regroupant le Tchad, le Cameroun, la Guinée-Equatoriale, le Gabon, la Centrafrique et la république du Congo (zone CEMAC : Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale) et la Banque Centrale Européenne (BCE) ; garanti par le trésor public français, le Franc CFA joue un rôle non négligeable dans l’essor socio-économique des pays africains qui l’ont adopté comme monnaie unique. A noter que les Francs CFA des deux zones monétaires susmentionnées ne sont pas convertibles, un handicap sérieux pour l’optimisation de la zone Franc.

A l’ère de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie de marché, les politiques monétaires occupent une place prépondérante parmi les politiques publiques.

Le Franc CFA, sans risque de se tromper, est le nerf de la politique monétaire de nos Etats africains, disons de nos banques centrales car depuis 2010, nos Etats leur ont laissé la main libre pour définir et orienter cette politique. Pour être un levier efficace pour le développement des pays de la zone Franc, il doit relever trois défis majeurs.

1/ Le défi de la faible part du commerce intra-régional : plus de 70 ans après la création du franc CFA, la part du commerce intra-régional (échange entre pays membres de la zone CFA) est toujours inférieure à 15%, contre plus de 60% dans la zone Euro. Il n’y a pas de raison lorsqu’on n’échange pas, de partager la même monnaie car sa raison d’être fondamentale est la facilitation et la fluidité des échanges commerciaux.

2/ Le défi de la compétitivité : quand des économies faibles comme les nôtres sont rattachées à une monnaie forte comme le CFA, qui est en arrimage fixe avec l’Euro, elle-même étant l’une des monnaies les plus fortes au monde, cela fait un effet de subvention sur nos importations et de taxes sur nos exportations. C’est-à-dire que vous avez l’impression d’être riche lorsque vous avez une monnaie forte, donc plutôt que de produire ce dont vous avez besoin vous-même, vous êtes tenté d’importer ce que les autres produisent et lorsque vos producteurs de coton par exemple veulent exporter leur coton, la monnaie internationale étant le dollar et qu’elle est faible par rapport à l’Euro, vous avez des coûts de production en Euro-CFA, mais vous vendez en dollar. Cela fait que vous n’arrivez jamais à dépasser la zone de coût fixe, donc vous ne pouvez pas être compétitif. C’est un problème de nature structurelle, c’est-à-dire qu’on a des balances commerciales structurellement déficitaires.

3/ Le défi du sous-financement chronique des économies de la zone CFA : le ratio crédit sur PIB (produit intérieur brut) est de 23%, (ce sont les prêts accordés par des banques, rapportés sur les richesses du pays), pour un ratio de 155% pour l’Afrique du Sud, plus de 100% dans la zone Euro. C’est dire qu’il n’y a pas d’argent qui circule dans la zone Franc, on a l’impression que nos économies sont des économies de troc, on peut se poser la question de savoir en quoi cela est en rapport avec la monnaie ? C’est que, si vous ouvrez les vannes de crédit pour financer l’économie, le fait que nous importions beaucoup, car nous produisons très peu, cela fait fuir les devises. A un moment donné, nous ne pouvons plus supporter le taux de change entre le CFA et l’Euro, c’est purement mécanique.

En plus de ces défis, s’ajoute la question de la mobilisation des réserves de change auprès du trésor public français. En 2015, le montant de ces réserves pour la zone UEMOA s’élevait à quatre mille milliards de francs CFA et plus de huit mille milliards pour la zone CEMAC. Les accords qui nous lient au trésor public français, exigent qu’on couvre l’émission monétaire à hauteur de 20%. Aujourd’hui, on est à 90% pour l’UEMOA et 97% pour la CEMAC. Vous conviendrez avec moi que cet écart peut permettre de financer beaucoup de projets structurants pour nos économies.

Nous posons la question à nos banquiers centraux (BCEAO et BEAC), pourquoi cette manne financière dort dans les comptes du trésor public français, alors que rien, tout au moins sur le plan juridique, n’interdit de la mobiliser pour financer nos économies ?

Issa Coulibaly

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1 commentaire

  1. Nous (africains) pensons que le changement est difficile et spontané. C’est un processus. Le plus difficile est de commencer.

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