L’harmonisation du commerce sur le corridor Dakar – Bamako n’est pas pour demain si l’on s’en tient aux déclarations et mouvements d’humeur des chauffeurs maliens dont 50 étaient encore récemment détenus dans des prisons sénégalaises. Deux sont décédés, en raison des dures conditions de détention. Un a été élargi. Actuellement, ils sont donc 47 chauffeurs, apprentis et convoyeurs à croupir dans les prisons de Thiès, Kaolack, Tambacounda et Dakar. Le Syndicat national des associations des chauffeurs et conducteurs routiers du Mali projette d’organiser une journée de deuil en la mémoire des camarades disparus. Laquelle sera suivie d’une grève illimitée sur l’ensemble du pays.
L’objectif visé par les chauffeurs du Mali : boycotter le corridor Dakar – Bamako pour protester contre la détention de leurs camarades. Ce n’est pas la première fois que la question des chauffeurs maliens détenus au Sénégal est posée par leur syndicat. On s’en souvient, le 21 mai 2011 à Kayes, lors de la rencontre transfrontalière sur la fluidité des échanges commerciaux sur le corridor Dakar – Bamako, le Premier ministre du Mali, Mme Cissé Mariam Kaidama Sidibé, avait saisi son homologue du Sénégal en des termes peu protocolaires: " J’ai 29 de mes chauffeurs qui sont détenus chez vous et j’ai sous la main la menace d’une grève. Je voudrais que vous m’aidiez à vite trouver une solution…".
La réponse du Premier ministre Sénégalais, Maitre Souleymane Ndéné N’diaye, a été sans équivoque: " Quand la justice se saisit d’un dossier chez nous, l’exécutif n’y peut plus rien. Dans le cas des chauffeurs maliens, ils sont accusés de trafic de drogue, ce qui est tout de même interdit chez nous. Mais une fois arrivés à Dakar, nous allons voir ce que nous pouvons faire… ".
Depuis, les choses ont empiré. Le nombre de chauffeurs détenus est passé de 29, avant la rencontre de Kayes, à 49. En plus, deux d’entre eux vont mourir en prison. D’autres, très affaiblis, sont entre la vie et la mort.
Du 8 au 17 juillet dernier, une délégation s’est rendue au Sénégal à ce sujet. Elle était composée d’éléments du ministère de l’Equipement et des transports, de la Sécurité intérieure et de la protection civile et du Syndicat des chauffeurs et conducteurs routiers du Mali. La délégation a visité les prisons où sont détenus les chauffeurs, apprentis et convoyeurs afin de procéder à leur recensement.
La visite des geôles s’est effectuée en compagnie d’un avocat du Barreau sénégalais mandaté à cet effet. La situation des chauffeurs et conducteurs routiers maliens détenus se présente ainsi: 2 sont à Thiès, 16 à Kaolack, 21 à Tambacounda et 8 à Dakar. Soit au total 47 détenus.
Sur place, la délégation a pu constater la mort des chauffeurs Mamadou Coulibaly de la compagnie Ben & Co et Boubacar Wattara dit Ema de la société Total. Cependant, au niveau de la prison de Thiès, l’un des détenus a été condamné à trois mois de prison ferme, suite à un accident de la circulation ayant entrainé la mort de trois passagers. Mis à part ce cas, tous les autres sont impliqués dans le trafic international de stupéfiants. Certains ont d’ailleurs été jugés et condamnés à dix ans de prison ferme et d’autres sont en attente de jugement.
Le Secrétaire général du syndicat national des transporteurs routiers du Mali et la dizaine de conducteurs de gros porteurs que nous avons rencontrés, le mardi dernier, à leur siège, se défendent d’être des trafiquants de drogue. Pour eux, c’est un complot ourdi par certains agents véreux de la douane sénégalaise, en complicité avec certains transporteurs sénégalais prêts à jeter l’opprobre sur leurs homologues du Mali (rivalité oblige!).
Comment se fait le transport des stupéfiants depuis le Mali jusqu’au Sénégal?
Daouda Samaké, Secrétaire général du syndicat des transporteurs routiers, a tenu à nous faire savoir qu’il n’a jamais voulu s’intéresser à cette question d’arrestation de chauffeurs pour trafic de stupéfiants. Mais il a fini par lever le mystère qui entoure cette affaire, quand des chauffeurs maliens ont surpris la conversation d’un indicateur en pleine communication téléphonique avec son interlocuteur, un agent de la douane sénégalaise.
L’indicateur, qui venait de mettre de la drogue dans ses effets embarqués à bord d’un véhicule malien à destination du Sénégal, était en train de donner toutes les indications sur ledit véhicule. Les témoins de cet échange l’ont rapporté aux chauffeurs qui ont fait passer à l’indicateur un sale quart d’heures. Il a fini par passer aux aveux.
A le croire, comme cela nous fut rapporté par nos interlocuteurs, le transport des stupéfiants est organisé depuis le Sénégal. L’indicateur se procure le produit qu’il dissimule soigneusement dans ses bagages embarqués avec lui à bord d’un car ou d’une remorque à destination du Sénégal. Lorsque le véhicule franchit la frontière malienne, l’indicateur appelle son complice de la douane sénégalaise pour lui donner les détails.
Une fois que le véhicule arrive au poste de contrôle, l’indicateur indélicat se dérobe comme un éclair et l’agent des douanes monte alors à bord. Il va droit à l’endroit communiqué par sa source pour découvrir la cargaison de drogue. Chose bizarre, à chaque découverte de drogue à bord d’un véhicule venant du Mali, le propriétaire du colis n’est jamais là. Conséquence : le chauffeur, son apprenti et le convoyeur payent à sa place.
Il faut préciser que lorsque les agents véreux mettent la main sur des stupéfiants, deux possibilités s’offrent à la personne mise en cause: payer cash 5 millions FCFA dont 3 millions à l’agent de la douane et les 2 autres millions à l’indicateur, ou bien se voir jeté en prison. Et lorsque le douanier arrive à jeter un trafiquant en prison, c’est la porte ouverte à la prime de promotion.
En tout cas, c’est l’information que nous avons eue après recoupement des différentes sources. Ce qu’il faut aussi reconnaître, c’est que les routiers ont aussi une part de responsabilité dans cette affaire car ils doivent veiller sur la nature du produit transporté et éviter de se faire piéger par le premier venu. Le Syndicat national des transporteurs et conducteurs, pour protester contre la situation qui prévaut et dénoncer les conditions de détention de leurs camarades, projette d’observer dans les plus brefs délais une grève illimitée sur toute l’étendue du territoire.
L’objectif des routiers maliens est d’arriver à boycotter le corridor Dakar-Bamako et d’amener les opérateurs économiques à reporter le flux de leurs marchandises sur d’autres corridors.
Nous y reviendrons.
Abdoulaye DIARRA