La Coopérative des chauffeurs de taxis du Mali a, en partenariat avec l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE) et la Banque Régionale de Solidarité (BRS) rebaptisée ORABANK, lancé en 2009, l’opération taxi. Il s’agissait, pour ses initiateurs de renouveler, d’une part, le parc vieillissant des taxis de notre capitale. Et, d’autre part, de promouvoir des emplois.
Deux ans seulement après, cette opération tourne court. Avec, à la clé, 568 taxis neufs hors d’usage et plus de 5 milliards CFA volatilisés. Se sentant floués, les bénéficiaires pointent un doigt accusateur sur ces deux banques ; mais aussi, sur les cadres de l’ANPE et l’ex- président de la coopérative des chauffeurs de taxi, soupçonnés de détournements de fonds.
Enquête sur l’une des plus graves tragédies financières vécues par notre pays.
Lancé à coup de grands renforts de publicité, ce projet a été financé à hauteur de 5 milliards par des banques de la place (BRS rebaptisée Orabank et la BIM-SA). Cette opération portait sur le financement de 568 véhicules neufs. Soit 470 taxis financés par la BRS à 4 milliards F CFA et 98 autres financés par la BIM-SA à 1,2 milliard F CFA.
Les véhicules de l’opération taxis étaient mis à la disposition de la Coopérative des chauffeurs de taxis, avaient bénéficié d’un prêt bancaire, selon des critères définis dans une convention, dont nous nous sommes procuré copie.
Pour bénéficier d’un taxi, il fallait être un demandeur d’emploi à l’ANPE (avoir la carte de demandeur d’emploi de l’ANPE) ; avoir un compte à la BRS ; être chauffeur ou membre de la coopérative des chauffeurs de taxis ou de la Fédération nationale des syndicats de conducteurs routiers. Aussi, le demandeur doit verser une caution de 300 000 F CFA s’il prétend bénéficier d’un véhicule à essence et 500 000 F CFA pour les taxis fonctionnant au diesel. Dans ce dernier cas, un chauffeur de taxis peut donner son ancien taxi en guise de caution pour l’acquisition d’un nouveau taxi.
Des détournements de fonds planifiés par la coopérative des chauffeurs et l’ANPE.
Pour atteindre leur but, les «bourreaux financiers» (responsables de la coopérative et l’ANPE) ont entretenu le flou, l’informel et une spéculation sauvage autour des prix des véhicules. Selon nos informations, les véhicules de l’opération taxi ont été cédés aux bénéficiaires à des prix qui dépassent l’entendement. Plus grave, à ce jour, le prix réel des véhicules n’est pas connu. Selon certains bénéficiaires, le véhicule à essence a été cédé par la coopérative à 9 millions F CFA et les diesels à 12 ou 15 millions F CFA. Alors que dans la convention, liant la BRS, l’ANPE et la coopérative des chauffeurs, il ressort que les véhicules à essence ont été cédés aux bénéficiaires à 7 millions et les diesels à 9 millions F CFA.
Cette confusion, autour des prix a été entretenue, selon nos investigations, par le président de la coopérative, un certain Aliou Guissé qui aurait élaboré une convention parallèle sur le dos des bénéficiaires. Et , cela en complicité avec les responsables de l’ANPE et ceux de la BRS qui n’ont pipé mot, après avoir eu leurs «pattes graissées».
Rappelons que dans la convention officielle, puisqu’il y en a deux, il ressort que chaque bénéficiaire doit rembourser le prix de son véhicule dans un délai de 40 mois. Soit 8000 F CFA par jour, pour les voitures à essence et 9 000 F CFA à 11500 F CFA par jour, pour les diesels.
Autres détails : les frais des véhicules prennent en compte les frais de réparation, d’entretien, d’assurance (tous risques). Mais rien n’a été fait dans ce sens. A ce jour, deux chauffeurs de taxi bénéficiaires de l’opération taxi sont décédés. Et leurs ayant-droits n’ont pas reçu, à ce jour, ni leurs taxis, ni un centime de la compagnie d’assurance SONAVIE.
Plus de 500 chefs de famille mis au chômage
Tout a été panifié et mis en oeuvre par la Coopérative des chauffeurs de taxis avec à sa tête Aliou Guissé, en complicité avec les responsables de l’ANPE, pour plumer les bénéficiaires, avant de les jeter dans la rue. Plus de 500 chefs de famille sont aujourd’hui sur la paille à cause de la mauvaise gestion, aggravée parles magouilles des patrons de la Coopérative des chauffeurs de taxis et de l’ANPE.
Ce ne sont pas les preuves qui manquent. Dans la convention signée par l’ANPE, la BRS et la coopérative des chauffeurs de taxis, il est indiqué que les services d’entretien et de réparation des véhicules sont faits par des concessionnaires (SERA-Mali, Wad-Motor, Malienne de l’automobile, etc.) Mais à la surprise générale, quelques mois après, des garages parallèles ont été créés à Bamako par la coopérative et son complice, ANPE, pour assurer l’entretien et la réparation des véhicules. Faute de pièces de rechange, d’huile de qualité et de mécaniciens qualifiés, ces garages n’ont pas pu faire face à ces missions. Face à cette situation, la coopérative oblige les taximen à réparer eux –mêmes leurs véhicules tombés. Conséquences : une année seulement après le démarrage du projet, tous les taxis sont cloués au sol. Aujourd’hui, les véhicules de l’opération taxi sont rares dans la circulation. Comme neige à Aguelhok. Les garages à travers la capitale sont jonchés de ces taxis qui faisaient, il y a trois ans, la fierté des Bamakois.
«La dizaine de véhicules de l’opération taxi (sur 598 taxis) qui circulent actuellement à Bamako, appartiennent au président de la Coopérative des chauffeurs, Aliou Guissé, au Directeur de l’ANPE ou à leurs proches. Certains taxis ont été réparés, repeints et remis à leurs enfants ou copines », nous confie un membre du Collectif des chauffeurs de taxi victimes de l’opération taxi.
Autres faits reprochés à la coopérative des chauffeurs de taxi et à l’ANPE : signature de contrats parallèles sur le dos des chauffeurs et le non-versement des recettes journalières dans les comptes bancaires des chauffeurs à la BRS.
Soupçonné de vouloir s’en mettre plein les poches, le directeur général, Makan Moussa Sissoko aurait, officieusement, signé le 19 juillet 2011, un contrat avec un cabinet de consultation (Crédit-Mali). Objectif : faire le suivi-conseil de la gestion de l’opération taxi. Cette prestation était rémunérée à 2 millions F CFA par mois sur les fonds de l’opération taxi. L’article 3 de ce contrat, dont nous avons pu nous procurer copie, indique que «crédit-Mali, la coopérative des chauffeurs et l’ANPE s’engagent mutuellement à garder la confidentialité des informations et de tous les documents auxquels ils auront accès pendant et après le contrat de gestion et de consultation». Ce contrat a été résilié en décembre 2012 par le directeur général de l’ANPE suite à une incompréhension avec son partenaire.
Par ailleurs, il se trouve que les recettes journalières des chauffeurs de taxis n’étaient pas versées à la BRS, comme il se doit, conformément à la convention qui lie les parties. Les recettes journalières de chaque chauffeur de taxi devraient être versées dans son compte bancaire à la BRS. Mais le président de la Coopérative des chauffeurs de taxi, Aliou Guissé a, unilatéralement, fermé ces comptes bancaires et les a remplacés par un compte collectif qu’il a toujours géré seul. Sans que les autres parties (banque et ANPE) aient levé le petit doigt.
Il s’agit là, entre autres, des pratiques peu orthodoxes, orchestrées impunément par l’ANPE et la Coopérative des chauffeurs de taxis pour pomper les fonds de l’opération taxi qui est, aujourd’hui, morte de sa belle mort, abandonnant ainsi des centaines de chefs de famille dans la rue.
Le silence assourdissant des autorités face à ce gâchis financier
Depuis déjà une année, les bénéficiaires de l’opération taxi se sont regroupés au sein d’une association appelée ‘’Collectif des chauffeurs de taxi victimes de l’ANPE et de la Coopérative des chauffeurs de taxi’’.
A l’invitation de ce collectif, le ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle, Mahamane Baby a pu, au cours d’une visite de terrain, constater les dégâts. Cette démarche a été appréciée par les chauffeurs victimes.
Suite à une plainte des victimes, le président de la Coopérative des chauffeurs de taxis, Aliou Guissé a été entendu par le Pôle économique. Avant d’être invité à rejoindre son domicile. Depuis, plus rien. Où est donc la justice ?
Ces victimes qui n’ont que leurs yeux pour pleurer, ont fait le tour de plusieurs institutions de la République, des départements ministériels (médiateur de la république, Assemblée nationale, les ministères des transports, de la justice, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) et de certains partis politiques pour être écoutées. En vain. Au même moment, les présumés auteurs de ces détournements se la coulent douce au volant de luxueuses bagnoles. Ou à l’ombre de belles villas qu’ils se sont offertes avec ces fonds mal acquis.
Aux dernières nouvelles, le DG de l’ANPE aurait été relevé de son poste. Mais le décret de son relèvement n’est pas encore publié officiellement.
Le silence des nouvelles autorités, face à ce dossier est incompréhensible et inexplicable, surtout au moment où, elles promettent de créer 200 000 emplois d’ici cinq ans. La réalisation de cette promesse passe, nécessairement, par la sécurisation des emplois existants.
Nous y reviendrons en détails dans notre prochaine édition
Abou Berthé
Oumar Babi
Très édifiant comme article ! 😉 ➡ 💡 💡 💡
Très bel Article! Seulement une question pourquoi maitenant au moment où le DG de l’ANPE s’aprête à partir?!
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