Investir dans le marché aérien, solution au développement ?

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Une quarantaine d’ambassadeurs de toutes les régions d’Afrique, accompagnés de représentants du ministère des Affaires étrangères français et de la Direction générale de l’Aviation civile, se sont retrouvés, à 8h du matin, le mercredi 16 avril 2014, au terminal d’aviation d’affaires de l’aérodrome du Bourget, en périphérie nord de Paris. Invités par ATR Aircraft, le constructeur aéronautique contrôlé à parts égales par le groupe européen EADS et l’entreprise italienne Finmeccanica, ils se sont installés à bord du tout nouvel ATR 72-600, aux couleurs de la Royal Air Maroc, direction Toulouse, ville berceau de l’aéronautique, dans le sud-ouest de la France.

 

 

La porte du cockpit était ouverte. Les pilotes, disponibles pour expliquer les spécificités technologiques de l’appareil, n’ont pas hésité à détailler les exigences professionnelles de leur métier. À 9 heures, l’avion à hélices décollait. Guido di Paolo, vice-président des ventes d’ATR pour l’Afrique et l’océan indien, s’est tout de suite adressé à son aréopage de passagers pour souligner le confort et les qualités techniques de l’appareil dans lequel ils voyageaient, car cette journée «ATR Afrique» s’inscrivait «dans la continuité du projet de l’avionneur d’établir de nouveaux partenariats industriels forts» avec le continent.

 

Malgré le ronronnement des hélices, la presse africaine présente a profité des 80 minutes de vol pour commencer les interviews, savoir l’état des lieux dans chacun des pays représentés, et connaître les attentes de ceux qui avaient décidé de participer à cette initiative. Leurs Etats, soucieux de désenclaver les villes du pays, d’assurer une liaison rapide avec la sous-région, et de regagner une partie du trafic aérien général, sont en effet tous en train de revoir leur stratégie. Les diplomates étaient donc venus afin d’observer cet avion ATR de près, comprendre de quoi il s’agissait, pour potentiellement poursuivre les contacts déjà établis entre leurs Etats et l’avionneur. Du tarmac de Toulouse-Blagnac, ils ont été conduits au siège d’ATR où le Président Directeur Général, Filippo Bagnato, les a accueillis et invités à s’installer dans la salle de conférence.

 

Dans son discours d’introduction, Bagnato a précisé que «le marché africain de l’aviation présente un fort potentiel de croissance et pourrait devenir l’un des plus importants du monde» et que «l’appareil ATR répondait parfaitement aux besoins de ce marché grâce à son rendement énergétique remarquable, puisqu’il consomme jusqu’à 35% de carburant en moins que les autres turbopropulseurs régionaux». Il a fait valoir que «cette génération d’avions, équipée d’un nouveau système de navigation par satellite, est capable d’opérer quelles que soient les conditions météorologiques auxquelles les pilotes sont confrontés». Cet avion peut ainsi «atterrir facilement sur une piste de 1500 mètres, même en terrain accidenté ou dans un aéroport avec peu d’infrastructures». Les conférenciers d’ATR n’ont pas vraiment insisté sur la concurrence que lui font Bombardier, le rival américain de toujours, et les appareils à faible coût que propose la compagnie chinoise Xi’An Aircraft Avic.

 

Mohamed Mahmoud Ould Brahim Khlil, ambassadeur de Mauritanie, s’est étonné que cet avion soit présenté comme un produit franco-italien alors qu’il est équipé d’un moteur du constructeur canadien «Pratt & Witney». Le programme de la journée étant très serré, d’autres ambassadeurs n’ont pu poser leurs questions qu’une fois descendus dans la salle de réception où les attendait un cocktail-déjeunatoire principalement consacré aux entretiens avec les médias.

 

Consul honoraire du Mali à Toulouse (région Midi-Pyrénées) depuis 2011, Karim Rahhaoui se charge, entre autres, de développer les relations commerciales et industrielles entre la région toulousaine et le Mali, adhérant ainsi parfaitement au «réflexe économique» du MAE «de soutenir les entreprises françaises à l’extérieur». Il a expliqué l’intérêt que représenterait l’acquisition d’un avion ATR pour désenclaver les régions maliennes. Cet enjeu majeur fait d’ailleurs dorénavant partie des missions de Mamadou Hachim Koumaré, le nouveau ministre de l’Equipement et des Transports. «Frontalier de 7 pays, le territoire national, grand comme deux fois et demi la France, n’a que très peu d’infrastructures sur les 2/3 de sa superficie. Ce n’est donc pas un luxe mais une nécessité pour le Mali de faciliter les déplacements d’une de ses régions à l’autre, et de relancer, donc développer, les échanges économiques du pays avec la sous-région».

 

Le Consul honoraire a souligné que, d’ores et déjà, tous les aéroports maliens avaient des pistes suffisamment longues pour accueillir l’avion ATR. Acquérir cet appareil, conçu pour une petite soixantaine de  passagers,  et remarquable pour ses performances énergétiques et son autonomie en carburant, permettrait de baisser notoirement le coût des billets pour les passagers et celui du transport de marchandises, que ce soit d’une région malienne à l’autre ou vers toutes les villes de la sous-région. À la question embarrassante concernant le manque de trésorerie au Mali pour acheter un avion qui coûte tout de même 25 000$, voire 26 000$ l’unité, Karim Rahhaoui a répondu que «si le frein économique s’arrête à ce stade là, le Mali ne pourra jamais se développer». Il « existe des solutions pour pallier l’absence de budget d’acquisition. On peut faire appel au leasing, c’est-à-dire à la location, pour rembourser, à des conditions satisfaisantes et sur un certain temps, un nombre de loyers mensuels incluant la maintenance, donc la sécurité». Tidiane Traoré, ministre chargé d’Affaires et Ambassadeur par intérim du Mali, a conclu en disant qu’il était venu à Toulouse pour «soutenir les actions du Consul honoraire puisque, une fois de plus, elles entrent dans la droite ligne de la politique nationale, et qu’en effet le désenclavement, donc le développement, passent nécessairement par le transport aérien».

 

Après un court trajet en bus vers les locaux de la chaîne d’assemblage d’ATR, le corps diplomatique a été guidé par Filippo Bagnato à travers les gigantesques ateliers du site.  Muni d’un audio-casque pour mieux entendre ses explications,  chacun a découvert l’intérieur des fuselages encore vides d’équipement cabine, longé une série d’ailes d’avion en attente de montage, et compris les différentes étapes qui mènent l’appareil jusqu’aux rutilantes couleurs de la compagnie aérienne qui en a fait l’acquisition. Après la photo officielle, il était l’heure pour les diplomates de remonter dans l’avion ATR de la Royal Air Maroc et rentrer à Paris afin d’informer leurs Etats des renseignements obtenus et surtout des conclusions qu’ils en avaient tirées.

La diplomatie économique et les politiques d’influence étaient en marche.

Françoise WASSERVOGEL 

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