A qui la faute quand une période transitoire estimée par les experts à 3 ans en juillet 2015 est ramenée à un an en décembre 2015 ? A qui la faute quand le besoin de financement de cette phase est ramené de 22, 246 milliards FCFA à 7,5 milliards FCFA, entre juillet 2015 et décembre 2015 ?:
Après un siècle d’exploitation et quatre décennies d’indépendance, les deux Etats du Mali et du Sénégal décidèrent le 23 septembre 2003 de mettre en concession globale et intégrale leurs deux réseaux ferroviaires et de les confier à un seul concessionnaire appelé Transrail SA.
Depuis lors, la sonnette d’alarme a été tirée à maintes reprises pour dénoncer cette erreur congénitale que constitue le passage du public au privé des infrastructures ferroviaires. Des plans de reconstruction ou de sauvetage ont été même proposés. Ce fut le cas notamment à la réunion des 6 et 7 décembre 2006 à Paris ; ensuite, le plan de sauvetage de mars 2009 validé par la réunion d’août 2009 à Dakar ; il y a eu en outre le plan de restructuration dénommé ‘’plan horizon 2020’’ adopté en décembre 2010 et suivi de l’admission en règlement préventif en décembre 2011.
Toutefois, aucun de ces plans de restructuration n’a pu être mis en œuvre. Ce qui a pour effet d’obliger les Etats à décaisser plusieurs milliards pour sauver l’activité ferroviaire. Conséquence indubitable, une voie en totale déconfiture, des matériels obsolètes et immobilisés les uns après les autres, au point que le concessionnaire avoua son échec en décembre 2015, voire son incapacité à faire face aux salaires des 1200 employés, pour environ 500 millions FCFA par mois.
Le fait du prince
C’est ainsi que nos deux Etats acceptèrent alors de se subroger au concessionnaire en l’invitant à vider les lieux après le préavis de trois mois qui devait prendre fin en mars 2016. Cette décision courageuse dite “fait du prince“ emporta avec elle des conséquences de droit que les Etats signèrent dans trois documents, dans lesquels, ils s’engagent à: préserver les emplois des travailleurs, assurer le paiement régulier des salaires pendant toute la phase transitoire. A savoir la période qui sépare le jour du départ du concessionnaire soit le 07 mars 2016 jusqu’à la mise en œuvre effective du nouveau schéma institutionnel. Lequel schéma comporte : la création de société de patrimoine dans chacun des Etats, la création d’une société d’exploitation privée, la création d’un organe de régulation avec de fortes prérogatives.
Pour gérer cette phase dite transitoire que les Etats avaient naïvement estimée à un an, il a été mis en place un financement de 7,5 milliards FCFA dont 3,75 milliards FCFA par Etat du Mali pour assurer : 6 mois de salaires à raison de 500 millions par mois soit 3 milliards FCFA, 2,5 milliards FCFA pour la réhabilitation de locomotives, 2 milliards de FCFA pour le traitement des points critiques de la voie.
Cette somme, qui devrait être disponible en janvier 2016, avant même l’avènement de Dakar-Bamako Ferroviaire, l’organe de gestion de la phase transitoire, a été mise à disposition sporadiquement à due concurrence des salaires de mars 2016 à juin 2017, soit 16 mois, de sorte qu’au lieu de réhabilitation de machines ou de traitements des points critiques de la voie, elle n’a servi qu’à payer des salaires pour des travailleurs dépourvus d’outils de production.
Double signature pour décaisser les fonds
Face à cette situation de quasi-inactivité non imputable à DBF et ses salariés, l’Etat du Sénégal continua à payer régulièrement le personnel sénégalais conformément aux engagements souscrits par les deux Etats. Dakar-Bamako Ferroviaire est une structure bi-étatique et transnationale dirigée par un Sénégalais secondé par un Malien.
Pendant que le Sénégalais, premier responsable de DBF, est auréolé dans son pays par ses pouvoirs publics et ses partenaires sociaux, le Malien dans son rôle de second est accusé par ses pouvoirs publics d’avoir détourné les 3,5 milliards FCFA déboursés par le Mali en plus des 3,5 milliards FCFA déboursés par le Sénégal. Cela, dans un système financier exigeant la double signature conjointe du Malien et du Sénégalais ! Dans l’opinion nationale malienne, on fait croire que le Mali a financé seul, pour la phase transitoire, 7,5 milliards FCFA. Alors que ce montant a été conjointement financé et égalitairement par les deux Etats du Mali et du Sénégal !
Mais en réalité, cette somme a servi à payer :
– les salaires des Maliens et Sénégalais de mars 2016-à juin 2007 pour 6 486 579 174 FCFA, soit 86,49 % (cf. lettre N 0485/SAF/DBF-17 du 29 novembre 2017 adressée au Ministre des Transports et le compte -rendu de la réunion du Comité inter- Etats des 30 novembre et 1er décembre à Dakar );
– les pièces de rechange des locomotives pour 465 814 395 FCFA, soit 6, 21% ;
– les traverses métalliques pour le traitement de points critiques de la voie pour 260 632 402 FCFA, soit 0,63%.
Tous ces marchés sont signés de l’Administrateur qui est sénégalais et non du Responsable Administratif et Financier qui est malien.
Les rubriques sus – cités totalisent 7 260 085 683 FCFA, soit 96,80% laissant subsister un reliquat de seulement 239. 914. 362 FCFA, consommés dans les dépenses de fonctionnement. Notamment : dans l’assurance du trafic voyageur malien pour 72 998 250 FCFA ; dans les indemnités de départ de juillet et août 2015 des Sénégalais pour 65 123 993 FCFA ; dans le paiement de la libération du capital de la SOPAFER à concurrence de 100 000 000 FCFA.
Fonds de réhabilitation de locomotives utilisés pour payer le salaire des travailleurs
Le retard de salaire accusé par les cheminots maliens témoigne à juste raison de la cécité intellectuelle de certains pouvoirs publics doublée d’un terrorisme syndical caractérisé de surcroit d’une méchanceté allant jusqu’à pousser un syndicaliste véreux à jurer sur le Coran pour déclarer que cette manne financière de 7 500 000 000 FCFA a été détournée par le Malien Djibril Naman Keita comme s’il pouvait à lui seul signer un chèque. Si DBF n’avait pas utilisé les fonds de réhabilitation de locomotives et de traitements des points critiques de la voie de septembre 2016 à juillet 2017, on serait aujourd’hui à 21 mois d’arriérés de salaires !
L’Etat du Mali qui a continué, au-delà de cette contribution initiale, à payer à l’instar du Sénégal, les salaires d’août 2017 à mars 2018, s’est vite essoufflé devant cette hémorragie financière que représentent les salaires des cheminots sans contrepartie, faute d’activité ferroviaire.
Si la phase transitoire s’avère être un échec à l’instar de la concession, les causes de cet échec se retrouvent certainement dans les réponses aux deux questions ci-dessous :
1- A qui la faute, quand une période transitoire estimée par les Experts à 3 ans en juillet 2015 est ramenée à un an en décembre 2015 ?
2- A qui la faute, quand le besoin de financement de la phase transitoire de DBF estimé à 22, 246 milliards FCFA en juillet 2015, est ramené à 7,5 milliards FCFA en décembre 2015 ?
Ni les travailleurs cheminots ni l’organe de gestion de la phase transitoire de DBF n’étaient impliqués dans cette parodie, donc ne peuvent nullement être tenus responsables de l’échec de la phase transitoire qui n’a pas encore fini toutes ses péripéties. C’est pourquoi l’Etat du Mali doit payer les 10 mois d’arriérés de salaires, allant d’avril 2018 à janvier 2019, du personnel malien de DBF, à l’instar de leurs collègues sénégalais, conformément aux engagements souscrits dans trois documents par les deux Etats, à savoir : le compte-rendu de la réunion des experts des 06 et 07 décembre 2015 ; le préavis de réalisation du 07 décembre 2015 ; le communiqué conjoint du 07 mars 2016.
A défaut, les travailleurs maliens de DBF doivent se constituer en collectif et se pourvoir devant les juridictions nationales voire internationales pour entrer dans leurs droits. D’ailleurs, pourquoi l’Etat du Mali ne proposerait-il pas un plan social comme en 2013 pour se libérer de ce fardeau ? Lequel n’étant que la phase visible de l’iceberg pour le prix à payer du “Fait du prince’’.
Djibril Naman Keita