Le Mali et la République du Sénégal sont unis par la géographie et par l’histoire. Et pourtant, rallier les deux pays requiert parfois de la témérité.
Il est 18 heures 25 minutes à la gare routière des Baux maraichers de Dakar Pikine, une soirée de septembre 2015. Djibi, un chauffeur de la compagnie « Benso Transport» qui fait le trajet Dakar-Bamako, vient de prendre la route pour la capitale malienne. Une fois sorti de la gare routière, le chauffeur doit faire face à l’embouteillage monstre sur la route. Pour ceux qui connaissent Dakar, les embouteillages font partie du quotidien des Dakarois. Après une série de klaxon pour se frayer un chemin, nous nous engageons sur l’autoroute à péage, là enfin nous pouvons pousser un ouf de soulagement, car la fluidité routière est au rendez-vous. A 21h, escale à M’Bour, afin de permettre aux passagers du car de prendre une pause pour leur diner et faire leur prière du soir. Après 35 mn de pause, nous reprenions la route pour la destination Bamako. Nous roulerons toute la nuit pour être au poste frontalier entre le Sénégal et le Mali à 6h30. Au poste de police de Moussala de Kédougou sur le territoire sénégalais, les agents présents procèdent au contrôle d’identité. Les Maliens et autres nationalités non sénégalaises payent la somme de 1.000Fcfa pour récupérer leur pièce d’identité ou passeport. Les Sénégalais eux sont épargnés par ce racket. Cap après sur le premier poste de police du côté malien. Là-bas aussi, on procède au même rituel, les étrangers doivent débourser la somme de 1000Fcfa pour récupérer leur pièce d’identité. La Douane s’invite aussi pour un contrôle des bagages dans le car, et après avoir reçu leur dessous de table, nous mettons le cap sur Kéniéba. On recommence à ce poste la fouille par les camions au moment où les policiers récupèrent les pièces d’identité des passagers. Comme aux deux premiers postes, il faudra encore débourser la somme de 1.000Fcfa pour être en possession de sa pièce d’identité. Même scénario jusqu’à Kati, dernier poste de contrôle, pour regagner enfin Bamako. Visiblement fatigué par le voyage, Djibi le chauffeur du car qui nous a transportés s’exprime sur la fluidité du trafic entre les deux pays: « C’est toujours compliqué au niveau du Mali, car du côté sénégalais les douaniers et les policiers ne sont pas compliqués. Mais ces jours-ci, à cause de l’approche de la fête de Tabaski, les Sénégalais ont érigé aussi assez de barrages, mais la traversée est plus fluide à leur niveau. Mais du côté malien, nous avons des difficultés. Il dénonce par ailleurs le nombre élevé de postes de police et de douane sur la partie malienne, au nombre de sept parfois huit. « Au plan des tracasseries, même s’il y a une avancée, il reste toujours des postes de contrôle très sévères. Les postes douaniers de Kéniéba et de Kita rackettent énormément. Pour des marchandises comme les limonades, les pates alimentaires, des mèches, des chaussures… l’on ne peut pas imaginer combien ces deux postes de douane exigent. Vraiment, nous lançons un cri du cœur pour que cela change », déclare-t-il.
Et pourtant, ce ne sont pas les engagements en vue d’une fluidité du trafic entre les deux pays qui manquent. Les deux gouvernements se sont, en effet, engagés à prendre des mesures appropriées pour améliorer la fluidité du trafic. Pour le Sénégal, il s’agit surtout d’appliquer les dispositions communautaires relatives à la limitation des points de contrôle routier, d’intensifier les campagnes d’information et de sensibilisation sur les documents exigibles en matière de contrôle routier…
Voilà en tout cas une sacrée route qui fatigue les transporteurs avec son corolaire de racket. Tous les kilomètres, nous dépassons des camions à bout de souffle roulant à faible allure et semblant accablés par le lourd fardeau qu’ils transportent. Sur les bas côtés, de nombreuses remorques sont renversées. Bienvenue sur l’autoroute de l’extrême. La peur dans les yeux, le chauffeur de bus double tous les véhicules que nous voyons. Faisant fi des nids de poules, il arrive parfois que notre bus s’envole un peu avant de retomber violemment sur ses amortisseurs qui n’amortissent plus rien. Les passagers à l’arrière du bus, à chaque fois, râlent contre le chauffeur qui repart alors de plus belle. J’arrête en tout cas de regarder la route et commence à prendre des photos. Les enfants dorment. Certains passagers causent. Mais l’aventure vécue nous a fait comprendre que de part et d’autre des deux frontières, les professionnels du transports n’aspirent qu’à une vraie intégration au niveau de l’espace Cedeao. Après avoir vécu les « joies et la colère» de l’axe Dakar-Bamako, nous sommes revenus à Bamako avec le sentiment que les tracasseries routières constituent un frein à l’épanouissement du commerce entre ces deux pays. Et ce ne sont ni Benso Transport, ni les usagers du bus qui diront le contraire. Paul N’GUESSAN