Chaque établissement tente de s’organiser pour faire face à ce phénomène nouveau qui perturbe la quiétude dans les classes. Mais ce n’est pas toujours facile. Nous sommes au Lycée Mamadou M’Bodge de Sébénicoro. Il est 17 heures. Les cours viennent de prendre fin. Les élèves se précipitent dehors.
Goundo Traoré, élève en 10è fait partie des premiers à sortir. Aussitôt hors de la salle de classe, elle dégaine son téléphone portable pour passer un coup de fil. Elle se signale à son frère qui doit venir la chercher. Le réflexe de Goundo Traoré est courant. Le téléphone portable qui s’est véritablement démocratisé aujourd’hui dans notre pays, a fait une entrée fracassante dans les établissement scolaires. Certains élèves et étudiants s’en procurent par leurs moyens propres, d’autres, avec l’aide de leurs parents.
Les élèves possédant un portable sont si nombreux aujourd’hui que son utilisation est devenue un sujet de préoccupation pour les autorités scolaires. Issa Kamissoko est surveillant général du Lycée Mamadou M’Bodge. Il critique l’usage du portable à l’école. "Ça perturbe les cours et distrait les élèves. En somme, le téléphone nuit à l’environnement scolaire", dénonce le responsable scolaire.
INSTRUMENT DE FRAUDE :
"Les portables sont, à tout point de vue, nuisibles à l’école, surtout avec l’Internet incorporé, s’indigne Mme Dembélé Maria Josée, proviseur du lycée notre Dame du Niger. Au lieu de se concentrer sur les cours, certains élèves passent leur temps à surfer en classe".
Pour Corenthin Keïta, enseignement dans le même établissement, ce n’est pas une mauvaise chose en soi que l’enfant ait un téléphone. Au contraire, grâce au portable, l’élève et ses parents maintiennent le contact. Mais à son avis, l’appareil doit rester à la maison pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est un moyen redoutable de fraude à la disposition des élèves, fait-il remarquer. Non seulement ils se servent des calculettes incorporés dans les appareils, mais ils peuvent aussi communiquer avec l’extérieur lors des épreuves d’examens ou de compositions pour se faire dicter les réponses aux sujets.
"Le portable est devenu un vrai casse-tête pour les responsables d’établissements scolaires", constate Fousseyni
Oumar Tolo, censeur au lycée Dramane Diallo reconnaît que le téléphone permet aux parents de rester en contact avec leurs enfants qui vont dans des écoles souvent très éloignées du domicile. "J’ai acheté un portable pour mon garçon qui est en 5è année. Sa soeur cadette fréquente le même établissement que lui. Depuis lors, je suis plus ou moins tranquille. Avant, je passais la journée au bureau dans l’angoisse. Cette angoisse ne prenait fin que le soir quand je retrouvais mes enfants à la maison. En cas de problème ils peuvent directement me joindre. Et moi-même, il m’arrive de les appeler de temps en temps surtout pendant la récréation pour prendre de leurs nouvelles", témoigne Mme M. T., pour qui l’usage du téléphone en classe est une question d’éducation. "Je sais que mes enfants n’en n’abuseront jamais", assure-t-elle.
UNE GAMME DE SANCTIONS :
C’est justement son caractère nuisible à la quiétude dans les classes que dénonce Oumar Tolo. En dehors de la perturbation de cours et de son usage pour la fraude, le portable est souvent à la base de frictions entre professeurs et élèves et entre élèves eux-mêmes. Des plaintes pour vol de téléphone sont fréquentes. Au lycée Mamadou M’Bodge, nous a-t-on appris, deux enseignant et leurs élèves se sont récemment violemment disputé à cause de l’usage du portable en classe.
Face au phénomène, chaque établissement scolaire tente de s’organiser comme il peut. Certain ont prévu une gamme de sanctions contre les utilisateurs du portable en classe. Ces sanctions vont de l’interdiction pure et simple du téléphone à la confiscation des appareils en cas d’entêtement de l’élève.
"Cette année, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes", assure Fousseiny Diallo. A l’entrée du lycée Dramane Diallo, une note de service en date du 29 septembre interdisant l’usage du téléphone dans les classes et dans la cour de l’école, est affichée. Dans cet établissement, on a recours à l’arme de la note de conduite. Les récidivistes perdent ainsi des points sur cette note.
En nous recevant dans son bureau au lycée Mamadou M’Bodge, Issa Kamissoko n’était pas mécontent d’exhiber devant nous un appareil qu’il venait de confisquer à un élève. Le propriétaire ne rentrera en possession de son bien qu’à la fin de l’année, assure-t-il. "Cette fermeté est nécessaire pour faire respecter le règlement intérieur de l’établissement qui interdit l’usage du téléphone même dans la cour", assure le surveillant général du lycée. Celui-ci annonce l’organisation prochaine d’une assemblée générale avec les parents d’élèves, au cours de laquelle, la question du portable sera largement débattue.
"Étant donné que ce sont les parents qui, le plus souvent, achètent l’appareil pour leurs enfants pour être en contact avec eux, ils doivent être associés à la lutte contre le phénomène", préconise le responsable du lycée Mamadou M’Bodge.
LES ASTUCES :
Dans d’autres établissements comme le lycée Mamadou Sarr à Lafiabougou, c’est de facto le laisser-faire. Ici, les élèves continuent à recevoir des appels en classe, malgré les mesures d’interdiction, témoigne un élève.
Hadjara Na Diakité, une élève de SHT de l’établissement, est certaine qu’on ne pourra jamais empêcher l’usage du téléphone à l’école. Cette élève de terminale explique que si certains professeurs sont stricts sur le respect de la mesure d’interdiction, d’autres sont plus tolérants avec les élèves. Ils leur permettent ainsi de sortir de classe pour écouter les appels. De toutes les façons, les élèves ne manquent pas d’astuces pour tromper la vigilance du professeur, assure la jeune fille. Par exemple, explique-t-elle, certains élèves mettent leur appareil en mode vibration. Quand ils sentent l’appareil vibrer, ils demandent au professeur la permission de sortir pour aller aux toilettes.
Pour contrer cette pratique, Issa Kamissoko pense qu’il faut mettre à contribution les responsables de classe qui se chargeraient de dénoncer ceux qui s’y adonnent. "Ils sont nos yeux et nos oreilles dans les classes", poursuit l’enseignant. Reste à savoir si les responsables en question sont disposés à jouer ce jeu ou si eux-mêmes ne s’adonnent pas à la pratique décriée.
De toute évidence, le bannissement du téléphone portable dans l’espace scolaire n’est pas pour demain.
C.A. DIA
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