C’est en substance, ce qui ressort d’un entretien que nous a accordé le président du Réseau Malien des Consommateurs du Secteurs des Télécommunications et des Tics (Recomatem), Dr Adama Traoré, Economiste chercheur PhD. Entretien au cours duquel, il a parlé des combats que son réseau a eu mené dans la défense des intérêts des consommateurs du secteur des télécoms. Il a également expliqué comment le secteur des télécoms a été le bradé par les autorités maliennes lors du processus de privatisation du secteur, avant de lever le voile sur l’arnaque et les nombreux abus dont sont victimes les consommateurs maliens de la part des sociétés des télécoms.
Parlant du Recomatem, Dr Adama Traoré indique que dès sa création en 2006, il a pour mission essentielle la défense des intérêts des consommateurs du secteur des télécoms et des Tics. Depuis sa création, le Recomatem a mené beaucoup d’activités à l’endroit des consommateurs du secteur des télécoms. Aussi, il a largement défendu les intérêts de la société historique du Mali à savoir la Sotelma, surtout au moment de l’ouverture du secteur des télécoms à la concurrence, c’est-à-dire, son ouverture aux opérateurs privés.
Quel doit être la place l’Etat dans le secteur des télécoms ? Quelle devait être la marge de manœuvre de la société historique (Soltelma) ? Qu’est-ce qu’on lui a donné et qu’est-ce qu’on lui a enlevé lors de la privatisation du secteur? Sont entre autres, des questions qui ont été largement débattues, par le passé, par le réseau. Selon Dr Traoré, ces débats et combats ont été menés par le Recomatem pour un seul objectif : préserver l’essentiel du secteur télécoms pour le bien du Mali et pour le bonheur des Maliens.
Les télécoms constituent un secteur stratégique, un attribut de la souveraineté nationale à préserver à tout prix
Pour le président du Recomatem, ce que le commun des mortels ne sait pas, le secteur des télécoms est l’une des branches qui génère les grosses richesses au monde. Les preuves existent partout.
C’est pourquoi, il a paraphrasé Mao Zedong qui, en son temps, disait que ‘’tout pays qui ne maîtrise pas le secteur de ses télécommunications, ira à vau-l’eau et celui qui maitrise tes Télécommunications te maitrise’’. Thomas Sankara, ancien président du Burkina-Faso a dit presque la même chose au cours d’une visite du président français François Mitterrand en ces termes : ‘’je préfère perdre une partie de l’armée que de perdre la moindre parcelle sur l’autorité des télécommunications du pays ». Autrement dit, chaque pays doit être maître de ses télécommunications. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui au Burkina. Les Burkinabé ont compris la leçon de Thomas, puisque un Burkinabé vient d’acheter une licence au Mali. Mais au Mali, les autorités semblent refuser de suivre la logique.
La société historique des télécoms a été affaiblie par les autorités maliennes
Depuis les premières heures de la privatisation du secteur des télécoms au Mali, le Recomatem a pris le postulat qu’est celui de nos devanciers et a mis les débats par rapport à ça. C’est pourquoi lors de la privatisation de la Sotelma, le réseau a tiré la sonnette d’alarme en interpellant les autorités de faire attention, de ne pas brader le secteur des télécoms et en les invitant à rester dans l’esprit de la « Déclaration de la Politique Sectorielle » (DPS) qui protégeait le secteur.
La première version de la Déclaration de la Politique Sectorielle (DPS) élaborée dans les années 1990, avait prévu des mesures qui protégeaient les services de bases des sociétés historiques télécoms. Même si tout a été bafoué par la suite.
La première DPS était assez claire par rapport à la sauvegarde du secteur. Dans la mesure où, elle encourageait les sociétés privées maliennes à s’approprier du secteur des télécoms. L’objectif principal étant de protéger la société historique Sotelma face à l’arrivée massive des investisseurs étrangers dans le cadre d’une éventuelle privatisation.
C’est conformément à l’esprit de cette DPS, que le Recomatem, aux dires de son président, s’est toujours battu. Pour le Recotem, les segments de bases des télécoms doivent restés sous le contrôle de l’Etat, quelle que soit la situation. Et seul le segment mobile peut être cédé aux privés étrangers. C’est sur cette base que le secteur a été ouvert, pour la première fois, à la concurrence internationale.
C’est ainsi que des opérateurs économiques maliens (Moctar Thiam et Moridié Konaré et autres) avaient créé SOGETEL composée de privés maliens, pour s’approprier du secteur des télécoms. SOGETEL devient actionnaire à Malitel qui venait d’être créée par l’Etat. 60% du capital de Malitel était détenu par l’Etat et les privés avaient 40%. Mais ce type de partenariat qui était l’idéal recherché, n’a pas fait long feu, surtout quand le président Alpha Oumar Konaré a imposé Moctar Thiam, un responsable de Sogetel comme PDG de Malitel, société dont l’état est majoritaire. Chose impossible. Et plus grave, au même moment, les privés n’avaient pas encore versé un copeck dans le capital social. Dans ces conditions, le niet de l’Etat ne s’est fait pas attendre et le crash a eu lieu entre Alpha (dont la volonté n’a pas été respectée) et Sotelma Malitel. Affaiblie par ces querelles, Sotelma Malitel est vendue, des années plus tard, au Groupe Maroc télécom.
Le secteur des télécoms au Mali bradé aux multinationales
C’est donc suite à des querelles d’intérêts, que le président Alpha Oumar Konaré a ordonné à l’époque, la relecture de la DPS au cours de laquelle relecture, tous les services de base réservés à la société historique (Sotelma) ont été mis dans le Global. Conséquence : désormais, l’operateur qui achète une licence au Mali, devient automatiquement operateur global de télécoms. C’est dans ces conditions que des multinationales ont accès aux licences globales au Mali, à vil prix.
Selon Dr Traoré, c’est du jamais vu, nulle part ailleurs. Au Sénégal, dit-il, a pris une marge de 8 ans, avant d’ouvrir le secteur global à la concurrence. Le Cameroun a fait 9 ans, la Cote d’Ivoire 7 ans, le Burkina Faso 6 ans. A l’en croire, dans toute l’Afrique de l’ouest, personne n’a donné globalement déjà, la licence à un opérateur. Dans ces pays, c’est un segment, celui du mobile qui a été confié aux opérateurs. Et le segment mobile a été cédé dans beaucoup de pays entre 100 à 150 milliards CFA.
Au Mali suite à l’ouverture du secteur, la France a obtenu une licence, aux dires du président du Recomatem, dans des conditions très obscures. Tout a été fait pour que France télécom ait la licence à l’issue d’un appel d’offres auquel plusieurs concurrents ont pris parts. Mais le plus grave est qu’on a vendu la licence globale à moins de 40 millions de dollars. Au moment où certains pays vendent la licence mobile entre 100 à 150 milliards CFA, au Mali on a vendu la licence globale à moins de 20 milliards CFA.
Au moment de l’achat de la licence, France télécom, aujourd’hui Orange France, était en partenariat avec une société sénégalaise (SONATEL) dans laquelle elle était actionnaire. C’est ainsi que les deux sociétés (France télécom et Sonatel) ont décidé alors de gérer, ensemble, la licence achetée à vil prix au Mali avec les Maliens regroupés à Sogetel. Au sein de la société IKatel qui verra le jour, France télécom et SONATEL sont majoritaires. C’est ainsi que Ikatel, aujourd’hui Orange Mali, est devenu la propriété de la France et du Sénégal dans la mesure où ces deux états détiennent plus de 70% du capital et dont moins de 30% pour les Maliens.
Cette situation fait dire au président du Recotem que «Le Mali ne contrôle rien dans la gestion d’Orange Mali qui reste la propriété de l’Etat Sénégalais. La France n’est pas majoritaire dans le capital de Sonatel, c’est donc le Sénégal qui contrôle la situation des télécom chez lui, mais aussi au Mali. Ce n’est pas un hasard que si les sénégalais sont souvent nommés PDG de orange Mali ».
Pour lui, ce que le Sénégal tire des rentes par rapport aux télécoms au Mali dépasse l’entendement. C’est plus qu’un scandale.
C’est pourquoi, depuis dix ans, le Recomatem crie et dénonce le bradage des télécoms au Mali, mais il n’a jamais été entendu par qui que ce soit. Ni par l’autorité en charge des Telecom (AMRTP), ni par le gouvernement. Il faut le dire, les autorités n’ont pas joué le jeu pour permettre aux opérateurs privés maliens d’intégrer fortement le secteur des télécoms.
Pour le Recotem et des experts du secteur, la seule porte de sortie pour le Mali, c’est la a création des opérateurs virtuels de télécommunications. C’est une recommandation du Recomatem, mais personne, ni l’autorité de régulation ni l’état n’est pas prêt d’aller dans ce sens. Un opérateur virtuel c’est un opérateur qui n’a de licence, qui achète des produits et les revend sous sa propre marque. En France, on compte une vingtaine d’opérateurs virtuels.
Source : Le Serment du Mali