S’il était encore de ce monde, le multi-instrumentiste et auteur-compositeur camerounais Francis Bebey (1929-2001) nous aurait sûrement gratifiés d’une œuvre d’un humour caustique dans la lignée de « La condition masculine », succès planétaire qu’il a chanté en 1976 pour remettre dans le droit chemin Suzanna, sa belle et tendre épouse, qui comprenait tout de travers au motif qu’elle était désormais une femme émancipée. Mieux que ça, Francis Bebey, avec sa grosse voix et son fort accent Douala, se serait écrié : « Mes amis les Espagnols, qu’est-ce que je vous plains !».
Autant que Francis Bebey était révolté par l’indocilité de Suzanna qui ne voulait plus ni lui donner à manger ni lui servir à boire, nous sommes très nombreux en Afrique à nous questionner face à la parité du genre que les Occidentaux érigent en norme de gouvernance. Et que dire alors d’un gouvernement majoritairement féminin dont 11 des 17 membres est du sexe dit « faible » ! En Espagne déjà, c’est une première, mais en Afrique, ce serait carrément le séisme.
En nommant un gouvernement pro-européen – à la différence de l’Italien Giuseppe Conte – et le plus féminin de l’histoire de l’Espagne, le très jeune Premier ministre Pedro Sanchez vit son époque à plein poumon et, involontairement, envoie des messages forts à nous autres Africains, foncièrement conservateurs, féodaux et machistes sur la question du genre. A l’exception notable du Rwanda dont le nouvel exécutif formé de 31 membres compte 11 femmes sur les 20 ministres et 11 secrétaires d’Etat, les autres pays du continent excellent dans la profession de foi. Sur les désormais traditionnelles photos de famille d’une nouvelle équipe gouvernementale, on s’ingénue à placer fièrement cinq à six dames au premier plan noyées par une marée masculine.
A défaut d’atteindre les performances du Rwanda, de l’Espagne, de l’Europe du Nord ou de quelques autres pays à travers le monde qui ont des chefs d’Etat, des chefs de gouvernement ou des monarques au féminin, l’Afrique devrait travailler à faire évoluer ses mœurs politiques dans le sens de davantage capitaliser l’énergie positive de ses filles et de ses femmes. Partout sur le continent, le ratio sexuel leur est favorable, mais elles restent encore largement confinées dans des tâches ingrates, subalternes et très peu valorisantes. Et là-aussi, malgré une législation qui a envie de faire bouger la ligne mais qui se trouve parfois confrontée à une force d’inertie, véritable boulet frileux face à toute évolution de la société patriarcale héritée de nos aïeux.
Je voudrais revenir aux Ibériques à qui je voue une admiration hors normes pour leur passé glorieux, leur tempérament méditerranéen et l’hospitalité qu’ils continuent d’offrir aux nôtres qui, par dizaines de milliers, ont trouvé refuge chez eux à partir de la fin de la décennie quatre-vingt-dix. Même si tous les observateurs donnent le gouvernement Pedro Sanchez sursitaire puisque ne disposant que de 84 députés sur 350, et fortement tributaire de la volonté d’alliés de circonstance, en l’occurrence le parti de gauche radicale Podemos, les nationalistes basques et les indépendantistes catalans, il marquera cependant l’histoire récente de l’Espagne. D’abord en mettant fin au long règne du conservateur Mariano Rajoy qui était synonyme d’une stabilité en trompe-l’œil, mais surtout en s’appropriant subtilement la sociologie humaine et politique espagnole. Lui-même ne disait-il pas que la composition de ce gouvernement est « le reflet du meilleur de la société espagnole, paritaire, intergénérationnel et ancrée dans l’UE !».
Fin politique pour son supposé manque d’expérience que ses détracteurs ont beau jeu de relever, Pedro Sanchez promeut au poste de ministre des Affaires étrangères Josep Borrel, 71 ans, ancien président du Parlement européen – donc Européen convaincu – et Catalan fermement opposé à l’indépendance de sa région. A l’Économie, il propulse Nadia Calviño, Directrice depuis mai 2014 du budget de la Commission européenne. Dans la foulée, il confie ses Finances à une autre dame, Maria Jesus Montero, précédée d’une réputation de fourmi dans le gouvernement régional de l’Andalousie.
A la Justice et à la Défense, le Premier ministre nomme deux redoutables dames : l’ancienne procureure antiterroriste Dolores Delgado et l’ancienne juge de la Cour suprême Margarita Robles.
Au poste très sensible de ministre de l’Administration territoriale se trouve une autre Catalane, Meritxell Batet, Barcelonaise de 45 ans, qui sera l’interlocutrice attitrée de l’indépendantiste Quim Torra.
Enfin, il tire le feu d’artifice en confiant les Sciences et l’Innovation à un célèbre astronaute, Pedro Duque, ingénieur aéronautique, qui a déjà effectué deux séjours dans l’espace (en 1998 et en 2003).
Pedro Sanchez est certes jeune et à l’étroit dans son nouvel habit, mais il est tout sauf bête. A mon humble avis, un boulevard vient de s’ouvrir devant lui.
Serge de MERIDIO