De rebondissements en rebondissements, Planor avait fini par remporter le contentieux qui l’opposait au groupe Emirati Etisalat, concernant le contrôle de la société de télécommunications du Burkina Faso, Télécel. C’est ainsi qu’Apollinaire Compaoré, président directeur général de Télécel, est resté le seul patron à bord de Télécel. Mais le groupe Emirati est revenu à la charge pour relancer la bataille judiciaire, au moment où Appolinaire doit aussi faire face à une situation tendue concernant la troisième licence de télécommunications au Mali.
Ce feuilleton judiciaire entre le groupe Planor représenté par Apollinaire Compaoré et le groupe Etissalat des Emirats Arabes Unis, à travers sa filiale Atlantic Télécom, ne cesse de dérouler ses différents épisodes et l’on se demande bien jusqu’où ce combat pourrait mener les deux protagonistes. En effet, même si en un moment donné on a pensé que l’affaire était close, pour que l’opérateur économique burkinabé s’installe enfin confortablement aux commandes de Télécel Burkina, arguant qu’il avait gagné le procès, il semble bien que le groupe Emirati n’ait pas raccroché. Il entend rester dans le réseau.
En effet, Etisalat vient de tout chambouler, suite à la saisine de la Cour de cassation de Paris qui a annulé, le 28 mars 2013, toutes les décisions précédemment prises dans ce dossier dont principalement, l’annulation de la déchéance prononcée contre Etisalat (donc au profit d’Apollinaire) sur Télécel.
Il faut noter que cette affaire remonte à l’année 2004, suite à un différend entre Apollinaire Compaoré et Atlantic Télécom, tous deux actionnaires dans Télécel. En ce temps-là, Télécel accumulait les mauvais résultats et Planor, qui assurait la présidence du Conseil d’administration de l’opérateur, avait porté plainte contre Atlantic Télécom pour exproprier ce dernièr afin de rester seul propriétaire de l’entreprise. Depuis lors, les deux parties sont devenues des acteurs d’un long feuilleton judiciaire dont les épisodes se jouent sur différentes scènes juridictionnelles dont des tribunaux nationaux, régionaux et internationaux.
Notons que, dès le départ, les tribunaux burkinabés s’étaient déclarés incompétents et le contentieux s’est retrouvé devant la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Cette juridiction avait donné raison à Apollinaire, sans tenir compte de la décision de la Cour arbitrale de la CCI de Paris qui avait tranché en faveur du groupe Emirati, Etissalat.
Cette guerre pour le contrôle de Télécel Burkina n’est pas sans rappeler un autre combat du même genre que le même Apollinaire a engagé au Mali afin de sortir de l’affaire de la 3è licence de télécommunication, son ex-associé, Cessé Komé, qui était pourtant son partenaire au sein de la société malienne de droit commun, Alpha Télécom, montée spécialement pour porter cette licence de téléphonie globale au Mali, au moment de la soumission suite àl’appel d’offres international.
Il s’y ajoute qu’un éminent avocat de la place, Me Waly Diawara, constitué par des personnes physiques et morales de la société civile malienne, a introduit devant la Section administrative de la Cour suprême du Mali, un recours en annulation de l’attribution par entente directe de ce marché à Apollinaire Compaoré qui a déjà versé 33 milliards Fcfa sur les 55,1 milliards Fcfa promis. Le reliquat est attendu pour au plus tard le 13 mai prochain, date qui marque la fin du délai de 90 jours fixé par le gouvernement, lors de la signature de l’adjudication provisoire.
Reste maintenant à savoir comment Apollinaire à qui on colle l’étiquette de se complaire dans les procès, pourra-t-il gérer ces deux conflits en même temps surtout que dans les milieux d’affaires, il est difficile d’avoir des soutiens techniques et financiers avec pareilles turbulences.
Birama FALL
Certaines décisions n’ont a priori qu’un relatif intérêt, ne serait-ce que parce qu’elles ne présentent pas l’attrait de la nouveauté et qu’elles s’inscrivent dans une jurisprudence constante et dépourvue d’originalité. Pourtant, elles revêtent parfois un intérêt pédagogique, pourrait-on dire, parce qu’elles donnent l’occasion de revenir utilement sur des principes et constantes qui sont malheureusement galvaudés dans un but de nuisance par des pseudo- analystes. Pour faire une appréciation objective de l’affaire Planor Afrique et Télécel Faso contre Atlantique Télécom et Etisalat, il convient de situer le contenu exact de la décision du 28 mars 2013, avant d’analyser sa portée et ses implications pour Planor Afrique et la société Télécel Faso.
I. CONTENU DE LA DECISION DU 28 MARS 2013
La décision en cause a été rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation française. Il convient donc en premier lieu de déterminer quelles ont été les parties à la procédure ayant abouti à cette décision, et ensuite, d’exposer l’objet de leur litige.
Dans cette procédure initiée par-devant la Cour de cassation française, le litige portait sur une affaire opposant la. société Atlantique Téléceom aux sociétés Planor Afrique et Télécel Faso.
Ainsi, et contrairement aux informations données par une certaine presse, la société Etisalat n’est pas directement impliquée dans ladite procédure. En conséquence, il est aisément notable que la présente décision ne peut avoir pour objet de purger une prétendue « dispute d’actionnaires » entre la société Planor Afrique et la société Etisalat.
A ce propos, la question de l’actionnariat a été définitivement tranchée par les juridictions nationales et la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA) à travers les décisions d’exclusion de la société Atlantque Télécom du capital de Télécel Faso.
Revenant à la décision du 28 mars 2013. celle-ci a eu pour objet l’annulation d’une décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 29 juin 2011, laquelle décision conférait l’exéquatur à deux décisions burkinabè, respectivement rendues le 27 février 2008 par le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou et le 15 mai 2009 par la Cour d’Appel de Ouagadougou. Ces décisions rendues au Burkina avaient annulé l’augmentation du capital social de la société Télécel Faso, obtenue en violation des droits de la société Planor Afrique.
Ce sont ces décisions d’annulation de l’augmentation du capital faite en fraude aux droits de Planor Afrique qui ont été rendues exécutoires en France à toutes fins utiles.
L’exéquatur est une décision qui autorise l’application dans un pays d’un jugement ou un acte étranger. Il permet à une partie qui a obtenu une décision de justice, de la rendre exécutoire dans un pays autre que celui où la décision a été rendue.
En termes plus clairs, la décision rendue par la Cour de Cassation française a annulé l’ordonnance qui rendait exécutoires en France des décisions rendues au Burkina Faso.
Aussi, faut-il le rappeler, la société Planor Afrique avait demandé que les décisions burkinabè annulant l’augmentation du capital de Télécel Faso puissent avoir force exécutoire en France. Le Tribunal de Grande Instance de Paris avait fait droit à cette requête. Mais, par décision du 28 mars 2013, la Cour de Cassation a annulé cette décision d’exequatur des décisions burkinabè. Comme on peut aisément le constater, la décision du 28 mars n’est pas de nature à mettre la société Planor Afrique en difficulté face à la société Etisalat en ce qui concerne la question de l’actionnariat de la société Télécel, qui a été définitivement tranchée tant par les juridictions nationales que communautaires. Ceci étant, il convient à présent d’analyser la portée de cette décision pour la société Planor Afrique et les conséquences possibles qu’elle peut avoir sur la direction de la société Télécel Faso.
II. PORTEE DE LA DECISION DU 28 MARS 2013
Il sera ici question d’une analyse purement juridique de la décision du 28 mars afin de déterminer dans quelle mesure elle pourrait porter atteinte aux intérêts de la société Planor Afrique.
1. Motif de la décision du 28 mars 2013
La décision du 28 mars 2013 a annulé la décision autorisant l’exequatur des décisions burkinabè en France, non pas parce que cette demande n’était pas fondée, mais parce que le Tribunal de Grande Instance de Paris n’a pas recherché, avant de statuer, si un protocole d’accord passé entre les parties en date du 05 septembre 2007, n’avait pas déjà l’autorité de la chose jugée en la matière. Elle a donc estimé que ledit tribunal a ainsi violé une règle de procédure française. C’est ainsi que la Cour de Cassation qui est par définition, la juridiction de contrôle de l’application stricte de la loi, et non pas une juridiction d’appréciation des faits, a annulé la décision du 29 juin 2011 et a renvoyé la cause et les parties pour être rejugées devant le Tribunal de Grande Instance de Nanterre pour ce seul motif. Ainsi, s’il est vrai que la décision du 28 mars 2013 annule une décision qui était favorable à la société Planor Afrique, rien ne permet d’affirmer que la demande d’exequatur des décisions burkinabè introduite par la société Planor Afrique sera rejetée par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, qui sera amené à réapprécier les faits de la cause. En conclusion, la décision du 28 mars remet simplement en cause les parties devant une juridiction qui devra se prononcer sur les prétentions et arguments de chaque partie, c’est -à-dire sur le bien-fondé de la demande d’exequatur des décisions burkinabè en France. Dans cette attente, il convient cependant d’exposer les implications réelles ou supposées que cette décision peut avoir sur l’actionnariat de la société Télécel Faso.
2.Implications de la décision du 28 mars 2013 sur l’actionnariat de la société Télécel
D’aucuns prétendent que la décision du 28 mars 2013 rendue par la Cour de Cassation française, serait défavorable à la société Planor Afrique en ce sens qu’elle remet en cause l’actionnariat de la société Télécel.
Il s’agit là d’une analyse faite sur falsification du droit et des faits parce que, comme il a déjà été amplement démontré, cette décision ne remet nullement en cause l’actionnariat de la société Planor Afrique dans la société Télécel Faso, qui est acquis et consolidé au profit de la société Planor Afrique.
Ensuite, et quel que soit le verdict que le Tribunal de Grande Instance de Nanterre rendra en ce qui concerne l’exequatur des décisions burkinabés en France, il n’en demeure pas moins, comme énoncé plus haut, que cette question a déjà été définitivement tranchée par les juridictions burkinabèet communautaires.
En effet, les décisions burkinabè dont l’exequatur a été demandé en France sont des décisions ayant autorité de chose jugée, c’est-à-dire que ce sont des décisions devenues définitives que plus rien ni personne ne peuvent remettre en cause. Ainsi, que la justice française décide de leur accorder l’exequatur sur son territoire ou non, il n’en demeure pas moins que la société Atlantique Télécom a été exclue du capital social de la société Télécel Faso par des décisions rendues respectivement les 09 avril 2008 par le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou et le 19 juin 2009 par la Cour d’Appel de Ouagadougou. Ces décisions ayant autorité de chose jugée et ayant déjà été appliquées au Burkina Faso, plus rien ne peut inverser cet état de fait et de droit.
Il faut donc retenir que la société Atlantique Téléceom a été définitivement exclue de la société Télécel et que la société Planor Afrique demeure l’actionnaire majoritaire de la société Télécel Faso. La société Télécel Faso étant située au Burkina Faso, aucune décision contraire aux décisions rendues par les juridictions burkinabés ne pourra être exécutée au Burkina Faso à l’encontre de la société Planor Afrique, et encore moins dans un Etat membre de l’OHADA car la CCJA a vidé définitivement la question de la contestation portant sur l’actionnariat de Télécel Faso en date du 31 janvier 2011. L’actionnariat de la société Télécel Faso ne pourra donc plus jamais être juridiquement remis en cause entre la société Planor Afrique et les sociétés Atlantique Télécom et éventuellement Etisalat.
La société Planor Afrique et son Président Directeur Général Monsieur Apollinaire Compaoré n’ont donc nullement perdu une « manche décisive » et n’encourent aucune difficulté quant à la direction de la société Télécel Faso.
Enfin, pour éviter tout équivoque ou malentendu à venir, il convient d’analyser le protocole d’accord intervenu entre la société Planor Afrique et les sociétés Atlantique Télécom et Etisalat en date du 05 septembre 2007.
III. DU PROTOCOLE D’ACCORD DU 05 SEPTEMBRE 2007
Ce protocole d’accord, passé entre la société Planor Afrique et les sociétés Atlantique Télécom et Etisalat, avait pour objet de régler de façon amiable les différends nés de l’actionnariat de la société Télécel Faso.
Pour diverses raisons, ce protocole n’a pas pu être respecté, et la société Planor Afrique a opté de s’en référer aux juridictions burkinabés pour voir trancher ce litige définitivement, ce qui a été fait en sa faveur. Mais, la société Etisalat a pour sa part mis en œuvre une clause compromissoire présente dans ledit protocole. Selon cette clause, si les parties n’arrivaient pas à s’entendre sur les modalités d’exécution du protocole, elles devraient en référer à la compétence de la Cour lnternationale d’ Arbitrage. Une sentence arbitrale’ a donc été rendue en date du 09 septembre 2010 obligeant la société Planor Afrique à respecter les modalités de répartition des actions de la société Télécel Faso convenues entre elle et la société Atlantique Télécom.
Cependant, par décision rendue le 30 novembre 2011, le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou a rejeté l’exequatur de cette sentence au Burkina Faso en ce qu’elle est contraire aux décisions qui ont déjà été rendues en la matière (Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou des 27 février 2008 et 09 avril 2008, et Cour d’Appel de Ouagadougou des 15 mai 2009 et 19 juin 2009). De même,. cette sentence qui avait été rendue exécutoire en France par une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 14 octobre 2010, a par la suite été annulée, de même que la décision lui conférant l’exéquatur, par une décision du 17 janvier 2012 par la Cour d’Appel de Paris. Ainsi, ce protocole d’accord et la sentence à laquelle il a donné lieu, ne sont pas de nature à mettre la société Planor Afrique en difficulté.
En conclusion, la société Planor Afrique et Monsieur Apollinaire Compaoré ne sont nullement mis en difficulté ou inquiétés par la décision du 28 mars 2013 en l’état actuel des choses, et leur actionnariat dans la société Télécel Faso ne pourra nullement être remis en cause.
Par suite, quand bien même par extraordinaire la justice française venait à accorder l’exequatur au protocole d’accord du 05 septembre 2007 et à la sentence qui en est issue, leur exécution ne pourra jamais être poursuivie au Burkina Faso où se trouve le siège et l’ensemble des actifs de la société Télécel Faso ni dans aucun autre pays membre de l’OHADA.
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