Par lettre en date du 27 décembre 2011, le Cabinet Goïta’s SCPA, conseil du Patronat du Mali (CNPM), a saisi le Comité de Règlement des Différends siégeant auprès de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics et des Délégations de Service Public ARMDS pour dénoncer la procédure de passation du marché de 5 922 389 082 FCFA relatif à la fourniture de bulletins de vote et spécimens de bulletin de vote, d’isoloirs, d’urnes, d’enveloppes et de scellés pour le référendum et les élections générales de 2012. Mais le 23 décembre 2011 déjà, c’est le Cabinet d’avocats Me Lamissa Coulibaly, conseil de Graphique Industrie, qui avait saisi la même autorité pour le même motif. Au cœur de la discorde, l’attribution sans appel d’offre de ce juteux et très convoité marché à une société étrangère, en l’occurrence la société libanaise Inckript Technologies. Cela au moment où des entreprises maliennes se disent bien outillées pour exécuter ledit marché.
Par décret n°2011-824/P-RM du 22 décembre 2011, le Gouvernement de Cissé Mariam Kaïdama Sidibé a approuvé le marché par entente directe d’un montant de 5 922 389 082 FCFA relatif à la fourniture de bulletins de vote et spécimens de bulletin de vote, d’isoloirs, d’urnes, d’enveloppes et de scellés pour le référendum et les élections générales de 2012. L’heureuse bénéficiaire du juteux et très convoité marché n’étant autre que la société libanaise Inckript Technologies. Alors que des sociétés maliennes évoluant notamment dans le secteur de l’imprimerie s’attendaient à se partager ce pactole de près de 6 milliards FCFA qui va maintenant tomber dans l’escarcelle de cette société étrangère. Suite à ce qu’il a, dans sa requête, qualifié de "violation de la réglementation en vigueur en la matière" le Conseil National du Patronat du Mali (CNPM) a saisi le Comité de Règlement des Différends d’une dénonciation. Dans le but que soit annulée la décision d’attribution de ce gros contrat à une société étrangère. C’est donc au nom et pour l’intérêt du secteur privé malien dans sa totalité que le CNPM a entrepris cette démarche.
Moyens développés à l’appui de la saisine du CNPM
Dans son recours le CNPM, à travers son conseil le Cabinet Goïta’s SCPA, déclare que c’est à la suite de "rumeurs persistantes relatives à l’intention du Gouvernement de conclure un marché par entente directe avec un opérateur étranger, pour la fourniture de matériels et documents électoraux en vue du référendum et des élections générales de 2012 " que le président du CNPM, Mamadou Sidibé, saisissait, par lettre datée du 28 novembre 2011, le ministre de l’Administration territoriale et des Collectivités locales, le Général Kafougouna Koné, pour lui signaler que le marché dont il s’agissait ne demandait aucune technicité particulière et que l’une des missions de l’Etat était de "favoriser l’émergence de véritables entreprises nationales".
Dans sa lettre, dont ampliation avait été faite au ministre de l’Economie et des Finances et au Premier ministre, le président du CNPM se disait convaincu que le ministre de l’Administration territoriale et des Collectivités locales prendrait "les mesures appropriées permettant à tous les opérateurs économiques de participer à cet éventuel marché".
C’est dans cette attente de la réponse du Général Kafougouna Koné, le manitou des élections générales de 2012, que le Conseil des ministres du 14 décembre 2011 a adopté un projet de décret portant approbation du marché en cause. D’où l’ire du Conseil National du Patronat du Mali qui a estimé que la "démarche du Gouvernement relevait du mépris" et a donc introduit un recours gracieux devant le Premier ministre qui n’y a pas fait suite. Quel mépris souverain !
Face à cette indifférence, le CNPM a donc saisi le Comité de Règlement des Différends d’un recours qu’il estime recevable sur la base de plusieurs textes relatifs aux marchés publics. Toujours dans sa requête, le CNPM, sous la plume de son conseil, dénonce l’absence de publication du marché en cause, la violation des dispositions relatives au marché par entente directe, ainsi que celles des articles 3 et 19 du Décret n°08-485 qui définit dans son 8ème alinéa le candidat aux marchés publics.
De ce qui précède, le CNPM a demandé au Comité de Règlement des Différends de "déclarer irrégulière, donc nulle et de nul effet, l’attribution et l’approbation du marché" dénoncé.
Moyens développés par l’Administration territoriale
Se trouvant sur le banc des accusés, le ministère de l’Administration territoriale et des Collectivités locales a dépêché au Comité sa Directrice des Finances et du Matériel pour apporter des éléments de réponse à l’appui de la décision du Gouvernement d’attribuer ce gros (mais aussi juteux) marché à une société étrangère. Elle a, de ce fait, invoqué la nécessité d’une bonne tenue du référendum et des élections générales présidentielle et législatives de 2012 qui, selon elle, est au cœur des préoccupations des hautes autorités de notre pays, de la classe politique et de la société civile. Elle a ajouté que l’organisation d’élections libres, transparentes et crédibles dans les délais constitutionnels, gage de paix et de stabilité sociale pour le pays, est une priorité politique afin d’éviter à notre pays les expériences malheureuses des crises postélectorales connues ailleurs. Selon la représentante de l’autorité contractante, le recours du CNPM procède d’affirmations gratuites, car il ne vise pas d’actes en cause du MATCL ou du ministre de l’Economie et des Finances. Elle soutient en outre que la requête du CNPM est vague et totalement abstraite et qu’il est impossible de donner des réponses à des questions imprécises.
Le Comité tranche en faveur du CNPM mais se dit incompétent pour annuler le marché en cause
Dans sa Décision n°12-001/ARMDS-CRD du 5 janvier 2012, le Comité de Règlement des Différends déclare recevable la dénonciation du CNPM et constate que le marché en cause a été passé par entente directe en violation des dispositions de l’article 49 du Décret n°08-485/P-RM du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public. Toutefois, le CRD constate que la dénonciation qui porte sur le mode de passation du marché est intervenue après l’approbation du marché par Décret n°2011-824/P-RM du 22 décembre 2011 pris en Conseil des ministres, consacrant sa mise en vigueur.
De ce qui précède, la Décision dit que le Comité de Règlement des Différends n’est pas compétent pour suspendre ou annuler un marché en vigueur ; les marchés qui ont pris effet ne pouvant faire l’objet que de recours en règlement amiable concernant le contentieux de leur exécution conformément à l’article 113 du Décret n°08-485-RM du 11 août 2011 susvisé.
Comme on le voit, la tension est aujourd’hui beaucoup plus forte entre les différents protagonistes après cette décision du Comité de Règlement des Différends. Qui, malgré son indépendance et sa volonté de préserver cette indépendance, s’est trouvé dans une situation très inconfortable. Pouvait-il rendre un avis différent quand on sait que les motivations politiques ont surtout prévalu dans l’attribution de ce marché de 6 milliards FCFA à une société étrangère.
L’Etat ayant peur de se retrouver dos au mur, en cas d’échec pour non livraison à temps du matériel et des fournitures concernés. Les privés nationaux pensant, de leur côté, que ce marché devait normalement revenir à des entreprises maliennes. A suivre.
Mamadou FOFANA