Ce sont, en résumé, les sentiments de la Commissaire à la Sécurité Alimentaire, Mme Lansry Nana Yaya Haïdara, après cinq jours de tournée (24 – 28 mai 2011) dans quelques-uns des 166 cercles vulnérables de la première région.
Entre les 87 400 tonnes de céréales disponibles dans la commune de Korera Kore, les quelque 69 à Dianguirde, les magasins construits par le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) physiquement visibles, mais vides, plus de 19 millions de créances pour tout le cercle de Yélimané, le manque de données fiables à Koussané et à Aourou, les sentiments mitigés des participants à la mission pouvaient se justifier.
Cercle de Kayes: une gestion archaïque
Tout commence par la périphérie de la ville de Kayes, le 24 mai dans l’après-midi. La délégation se rend dans un Centre secondaire pour y rencontrer le Comité de gestion d’une banque de céréales. Après une longue attente, nos hôtes arrivent. Plus que l’attente, c’est le discours flou des membres du Comité qui fait mal. «Ça commence très mal et je crois qu’à l’exception de quelques communes, la gestion de leurs banques de céréales est le dernier souci des maires», nous lance un cadre de la Ville du Rail qui suit les débats. Cette assertion se vérifiera dès le lendemain, 25 mai. Une fois de plus dans le périurbain de Kayes.
A Koussané, à environ 75 km de Kayes. Mme Lansry et sa suite s’installent à l’ombre des arbres, dans une mairie vide en ce jour férié. Visiblement décontractée, Mme la Commissaire explique aux journalistes qu’ici, un magasin a été construit et qu’il peut contenir 150 tonnes de céréales. Après l’avoir inauguré, elle déchantera très vite. Le stock existant n’est que de 6,2 tonnes. Lors des échanges, elle apprendra aussi que la Commune compte près de 430 000 FCFA de créances. Toutefois, à la Caisse d’épargne, Koussané a soigneusement épargné 4 519 000 FCFA. Pourquoi garder cet argent, à quelques semaines du début de la période de soudure, au lieu d’acheter du grain? Les explications des autorités locales resteront indéchiffrables.
A quelques deux heures de route, voici une autre localité, dont la banque de céréales reste étonnamment vide, qui attend la délégation. Aourou, dans la commune de Djélébou. Au dernier recensement, ladite commune compte 20 461 habitants et la bourgade 4 776. La population vit de l’agriculture et de l’élevage. Mais le plus gros des ressources financières vient de l’étranger. Surtout de France. Le premier adjoint au Maire, Fodé Camara, nous confie que «la seule banque de céréales d’Aourou ne suffit pas pour tous les habitants des 11 villages de la commune». Pas étonnant, car elle ne dispose que de 5 tonnes de céréales, à cause de la mauvaise gestion. En caisse, il y a 1 226 000 FCFA qui dorment. Les créances, quant à elles, se chiffrent à 400 000 FCFA. Pire, le Comité de gestion s’est désintégré il y belle lurette.
Cercle de Yélimané: un record de créances
Plus de 19 millions de FCFA. C’est le triste record de créances que détient le Cercle de Yélimane en matière de gestion des banques de céréales dans la région. Situé dans la bande sahélienne, à environ 150 km de Kayes, le cercle souffre de plusieurs maux: enclavement intérieur et extérieur, faible pluviométrie, cherté de la vie. Le mil ou le sorgho s’achètent sur le marché 350 FCFA le kilo, pour ne prendre que cet exemple. Et la politique du gouvernement, qui vise à rendre le prix des céréales plus accessible, à travers les banques de céréales, bute sur une gestion calamiteuse. Dans un document résumant la situation qui prévaut, on peut lire: «…si la gestion de certaines banques de céréales s’est faite de façon positive, il faut reconnaître que, dans d’autres, il existe des zones d’ombre». Ces «zones d’ombre», on peut aisément les trouver dans les crédits: plus d’un million de nos francs à Diafounou Diongaga, Soumpou ou Toya et jusqu’à plus de 6 millions de FCFA à Guidimé. D’ailleurs, même les expatriés y sont pour quelque chose, soit 1 077 500 FCFA de dettes. Alors que la période de soudure approche à grands pas, les 12 communes du cercle et ses 155 641 habitants n’ont pour tout recours que les maigres 107,3 tonnes de céréales restantes. Il faudra certainement, la mort dans l’âme, débloquer les 19 482 353 FCFA qui sont dans la caisse d’épargne et en banque pour réapprovisionner les stocks. Ce sera à perte, mais cela vaudra mieux que rien.
Cercles de Nioro et Diéma: des exemples à suivre
Après quatre jours de pérégrinations, la délégation conduite par la Commissaire arrive à Nioro du Sahel avec un sentiment d’exaspération. C’est pourtant ici, cependant, que les chiffres apporteront une lueur d’espoir concernant la politique de stocks de proximité mise en oeuvre par le gouvernement depuis 2004.
En effet, avec ses 462,925 tonnes de provisions, le Cercle peut se targuer de pouvoir couvrir 60% des besoins des populations pendant la période de soudure. Même les communes à la traîne, comme Diarrah, Gavinane, Kadiaba Kadiel, Nioro Tougou ou Rangabe, peuvent compter sur leurs voisines. Non seulement il y a du grain, mais aussi de l’argent en banque. En y ajoutant les crédits en cours de recouvrement, le compte peut être bon. C’est le cas à Korera Kore (87,400 tonnes, 609 500 FCFA en banque, 3 443 725 FCFA en créances), Simbi (83,700 tonnes, 795 900 F en banque, 1 083 500 FCFA en créances), Gogui (40 tonnes, 3 868 100 FCFA en banque, aucune créance). Bref, la liste n’est pas exhaustive.
A Diéma, le même élan de vouloir faire des banques de céréales un véritable outil de lutte contre l’insécurité alimentaire va se renforcer. C’est une Présidente du Comité de gestion tout sourire, qui accueille tout le monde devant son magasin. Elle fait visiter aux hôtes du jour les 85 tonnes de céréales qu’elle stocke. «Toutes les céréales que nous avons ici montrent que nous avons bien géré le stock initial de 25 tonnes que le gouvernement du Mali nous a donné au départ. Nous nous ravitaillons sur place et, grâce à cela, plusieurs personnes savent qu’une banque de céréales existe à Diéma. J’invite toutes les autres banques à faire comme nous, afin que nos concitoyens ne soient plus victimes de la hausse des prix sur le marché», lance-t-elle, sous les applaudissements de l’assistance. Laissant, au passage, entendre que la banque de céréales envisage même d’aller plus loin: mettre en place une banque alimentaire. Apparemment satisfaite de cette «gestion féminine», Mme Lansry Nana Yaya Haïdara affirmera, à demi-mot, «cela prouve que les femmes gèrent bien». S’agissant de la banque alimentaire, elle saluera l’initiative, tout en précisant que «cela doit être fait de façon démocratique. Pourvu qu’on tienne compte de la place des céréales».
Mots d’ordre: acheter, stocker, bien gérer…
Bien que partagée entre des sentiments de déception et de satisfaction, la Commissaire à la Sécurité Alimentaire, Mme Lansry Nana Yaya Haïdara, n’a cessé, tout au long de ces quelques jours, de marteler le même message: «la période de soudure, selon les informations des experts, risque d’être très difficile. Je sais que ceux qui n’ont rien en stock auront du mal à les reconstituer. Mais il le faut, car, si les populations n’ont rien à se mettre dans le ventre, c’est la catastrophe. Pour ceux qui ont des problèmes, l’OPAM peut les aider à se ravitailler». Aux mauvais gestionnaires, Mme Lansry n’a pas manqué de rappeler que «les stocks mis en place sont destinés à aider les populations les plus démunies et non à être utilisés à des fins personnelles». Sans omettre d’exhorter les maires à «recouvrer toutes les créances». Elle n’a pas manqué, non plus, de donner quelques conseils de stockage, d’achat ou de ravitaillement à ses interlocuteurs. D’ailleurs, une mission de supervision est actuellement en cours dans les 166 communes les plus vulnérables. Cette mission affinera les différents volets abordés par la Commissaire.
«Gouverner, c’est prévoir», nous enseigne un dicton. C’est certainement ce qui a motivé le CSA à organiser cette tournée. Les maires sauront-il capter ce message? Espérons-le, car il en va du bien-être de ceux qui les ont élus. En tout cas, Mme Lansry Nana Yaya Haïdara a repris, en début de semaine, son bâton de pèlerin, pour les étapes de Mopti et Tombouctou. En compagnie, bien entendu, de ses collaborateurs, Samba Dolo, chargé de la gestion des crises, et Mme Camara Tènimba Monékata, Conseiller à la Communication.
Paul Mben, envoyé spécial