Après avoir vu leur rêve européen se briser, certains candidats à l’émigration clandestine échouent au nord du Mali. Dans la localité de Tessalit, ils essayent de refaire leur vie en s’accrochant à l’espoir de voir un jour jaillir le pétrole.
Ruée vers l’or noir. Ces derniers mois, de nombreuses compagnies pétrolières européennes, américaines et asiatiques signent des contrats de recherche avec le gouvernement malien pour prospecter dans tout le nord du pays. La société australienne Baraka Petroleum Limited, qui a découvert en 2001 d’importantes réserves dans la partie mauritanienne du bassin de Taoudenni au Mali, a été la première à signer début 2005 ce type de contrat. Elle prévoit de réaliser les premiers forages en 2008 et de débuter l’exploitation du pétrole en 2014.
Des perspectives encore lointaines et incertaines qui intéressent malgré tout au plus haut point les émigrés qui n’ont pas réussi à atteindre l’Europe et échouent dans ce Nord désertique, a priori hostile. Depuis la fermeture des voies d’accès des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, sur la côte nord du Maroc, en octobre 2005, les Africains de l’Ouest et du Centre qui ont l’habitude de passer par le Mali pour gagner le Maroc via l’Algérie, reprennent le même chemin en sens inverse pour retourner dans leurs pays.
Certains s’arrêtent pour une durée indéterminée dans des villes du nord du Mali comme Kidal, Gao ou Tessalit. À l’image de Patrick Essomba. Sans sa silhouette trapue, ce Camerounais de 29 ans pourrait presque se faire passer pour un autochtone du nord du Mali avec son visage au teint clair presque entièrement caché sous un turban. Patrick, qui se fait appeler Boubacar, vit à Tessalit depuis 2 ans. Avec ses 2 000 habitants, ce chef-lieu de cercle situé à près de 1 500 km au nord-est de Bamako, est la dernière localité importante avant la frontière avec l’Algérie.
«Une vie à peu près normale»
Refoulé à plusieurs reprises aux portes de l’Espagne, Patrick est arrivé ici en compagnie d’une dizaine d’autres jeunes Africains (Camerounais, Congolais, Ivoiriens, Nigérians, Ghanéens) candidats à l’émigration. «La plupart de mes compagnons sont repartis, explique Patrick. Certains voulaient tenter encore leur chance, d’autres ont préféré rentrer au bercail. Je suis resté ici parce que je n’avais pas de quoi retourner chez moi ni aller en Europe». Il enseigne l’anglais à l’école primaire Ahmed Ag Assalat de Tessalit. Un travail pour lequel il perçoit chaque mois de la mairie un salaire de 60 000 Fcfa (environ 90 €). Tout juste de quoi «mener une vie à peu près normale», mais largement insuffisant pour obtenir le million de Fcfa (1 500 €) nécessaire au voyage vers l’Europe. «Je n’ai nullement envie de finir mes jours dans ce désert, mais je pourrais m’y établir pour un temps si j’obtenais un emploi bien rémunéré dans le secteur pétrolier», confie-t-il.
Adama Sangaré nourrit le même espoir de voir un jour jaillir le pétrole. Cet Ivoirien de 32 ans raconte qu’il a été raflé par la police espagnole il y a 3 ans, alors qu’il avait réussi à pénétrer à Ceuta. «J’ai vraiment manqué de chance», se souvient-il. De retour à Tessalit, il a décidé de mettre à profit ses quelques notions de fabrication du pain et a investi l’argent qui lui restait pour acheter le matériel nécessaire à l’ouverture d’une boulangerie, l’unique de la ville, qui connaît depuis un franc succès. «Le pain est maintenant disponible à Tessalit 24 heures sur 24 !», lance fièrement Adama qui envisage déjà d’ouvrir un restaurant pour les travailleurs attendus dans le sillage des compagnies pétrolières. S’il ne réussit pas à réaliser ses projets, Adama tentera d’émigrer à nouveau en Europe ou aux États-Unis. Pas question pour ce jeune originaire du nord de la Côte d’Ivoire qui a rejoint puis quitté la rébellion en proie à des dissensions, de retourner dans son pays.
En attendant le pétrole…
Kaou Sow et Yacouba Bouaré sont eux Maliens. Candidats à l’émigration vers l’Espagne, ces deux jeunes n’ont pas réussi à gagner les côtes de la Méditerranée. Leur rêve s’est brisé en juillet dernier, en plein désert entre Gao et Tessalit. «Nous étions huit compatriotes. Nous avons été pillés par des individus qui se sont fait passer pour des gendarmes et des policiers. Ils nous ont délestés de plus de 3 millions de Fcfa (plus de 4 500 €)», raconte Kaou, originaire de Fana, une ville du centre du Mali.
Arrivés à Tessalit sans argent, ils ont dans un premier temps vécu de petits boulots. Kaou a été recruté par l’épouse d’un fonctionnaire pour arroser son jardin potager. Un job qui lui a donné l’idée de se lancer avec son ami Yacouba dans la culture de carottes, choux, tomates oignons, melons et autres. «Avant d’arriver ici, je voyais cette partie du pays comme une immensité désertique où rien ne poussait. Il y a pourtant des endroits où le sol est propice à l’agriculture», explique Kaou. Aujourd’hui, les deux maraîchers écoulent sans peine leur production et auraient même les moyens de poursuivre leur voyage vers l’Europe. Mais ils semblent avoir pris goût à la vie à Tessalit. «Nous gagnons bien notre vie ici et comptons rester pendant un temps. Surtout qu’il fera bon vivre en cas de découverte du pétrole.»
Il faudra auparavant explorer des milliers de kilomètres carrés et forer exactement à l’endroit d’un hypothétique gisement. Après l’inaccessible rêve européen, un autre mirage ?
Syfia/Mali
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