Monsieur le Président, pour le citoyen lambda, il est difficile de faire la différence entre les banques et les établissements financiers. Alors que tous deux sont membres de votre association, l’Apbef. Que peut-on leur dire pour qu’ils comprennent mieux la différence, s’il y en a véritablement?
Je voudrais vous remercier de l’opportunité que vous m’offrez de m’adresser aux lecteurs de votre journal L’Actu-Economie, l’un des rares journaux qui traitent avec efficacité, pertinence et professionnalisme l’actualité économique, financière et bancaire de notre pays. Aussi, je partage tout à fait votre appréciation des difficultés que rencontrent les citoyens pour faire la différence entre une banque et un établissement financier.
Globalement, la banque collecte les fonds de la clientèle qu’elle rend disponible sur des comptes appelés comptes de dépôts. Il peut s’agir de dépôts occasionnés par les paiements de salaire, de factures commerciales ou d’épargne. Ainsi, elle propose des services y liés comme les moyens de paiements, le change, les conseils en gestion du patrimoine, les transferts, les services d’assurance.
La banque propose des crédits à ses clients. Les produits de crédit peuvent être de natures diverses : crédit à court terme (crédit de consommation, financement du besoin en fonds de roulement ou BFR), crédit à moyen et long termes (crédit d’investissement ou d’équipement, crédit immobilier) et les engagements par signature (cautions, garanties bancaires).
A la différence des banques, les établissements financiers ne réalisent que cette deuxième activité, c’est-à-dire peuvent octroyer du crédit, mais ne peuvent pas percevoir les dépôts des clients.
Les deux sont appelés sous le vocable « d’établissements de crédit ». On distingue donc deux types d’établissements de crédit :
Ceux bénéficiant d’un agrément de plein exercice (les banques),
Et ceux disposant d’un agrément restreint qui ne les autorise à effectuer que certaines activités (sociétés financières et institutions financières spécialisées).
Au plan réglementaire, des différences majeures existent entre une banque et un établissement financier. A ce titre, je rappelle que le capital social minimum d’une banque est fixé aujourd’hui à 5 milliards de FCFA contre 1 milliard de FCFA pour un établissement financier. Le Conseil des ministres de l’Economie et des Finances de l’UEMOA a décidé lors de sa session du 30 mars 2015, de l’entrée en vigueur de la deuxième phase d’augmentation du capital social minimum à compter du 1er juillet 2015, en portant le capital social minimum des banques à 10 milliards de FCFA et celui des établissements financiers à 3 milliards de FCFA. Les établissements de crédit en activité disposent d’un délai de 24 mois, c’est-à-dire à échéance le 30 juin 2017, pour se conformer à cette réglementation.
Sur cette lancée, pouvez-vous donner un aperçu de la configuration du secteur bancaire et financier à l’heure actuelle ?
De nos jours, le paysage bancaire malien se compose de dix sept établissements de crédit :
treize (14) banques : la Banque Atlantique Mali (BAM), la Banque pour le Commerce et l’Industrie du Mali (BCI), la Banque Commerciale du Sahel (BCS-SA), la Banque de Développement du Mali (BDM-SA), la Banque de l’Habitat du Mali (BHM), la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie du Mali (BICIM), la Banque Internationale pour le Mali (BIM-SA), la Banque Malienne de Solidarité (BMS), la Banque Nationale de Développement Agricole du Mali (BNDA), la Bank Of Africa (BOA) Mali, Orabank (ancienne Banque Régionale de solidarité -BRS Mali), la Banque Sahélo – Saharienne pour l’Industrie et le Commerce du Mali (BSIC), Ecobank-Mali et une succursale bancaire bénéficiant du régime de l’agrément unique Coris bank International;
trois établissements financiers : Fonds de Garantie Hypothécaire du Mali (FGHM), le Fonds de garantie du secteur privé (FGSP), une succursale de la Société Africaine de Crédit Automobile – Alios Finance Mali.
Et comment appréciez-vous la bancarisation au Mali, notamment au niveau de la population ?
Le Mali fait des progrès en matière de bancarisation. Plusieurs dispositions ont été prises par les autorités monétaires et les banques depuis quelques années pour améliorer le taux de bancarisation. En 2014, le taux de bancarisation de la zone UMOA a été de 13,5% tandis que ce taux atteint 16,1% au Mali à la même période. Le Mali compte un peu moins d’une vingtaine d’établissements de crédit. La revue des dispositions réglementaires relatives aux coûts des opérations bancaires, la promotion des activités bancaires liée à la concurrence, le développement du réseau bancaire et les actions de l’APBEF dans les domaines de l’information, la sensibilisation et l’éducation financière tendent à améliorer le taux de bancarisation. Ces efforts seront poursuivis. Aujourd’hui, avec le développement des technologies de l’information et de la communication dans les secteurs bancaires et financiers, la notion de bancarisation est presque dépassée. Nous parlons maintenant de l’inclusion financière. Cette notion intègre toutes les opérations financières effectuées en dehors du compte bancaire. Le taux de l’inclusion financière atteint les 35% au Mali.
De nos jours, on parle beaucoup de relance économique. Quel rôle le secteur bancaire et financier du pays joue-t-il dans ce cadre ?
La relance économique s’amorce, se maintient et se consolide grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs tels que la gestion budgétaire de l’Etat, notamment l’accès des opérateurs économiques locaux et des entreprises à la commande publique, la structure de la consommation des ménages, les investissements publics et privés, l’accompagnement bancaire (crédits à l’économie, célérité des opérations et innovation en matière de moyens de paiement) pour assurer la fluidité des opérations, la politique économique de l’Etat en matière fiscale.
Nous voyons bien que les banques restent au cœur de ce dispositif parce qu’elles assurent la bonne circulation des flux, améliorent la célérité des opérations par des moyens et procédés innovants, mettent à disposition les formes de crédits nécessaires à la continuité des opérations. Elles confortent et accompagnent la mise en œuvre des politiques économiques de l’Etat pour leur assurer un grand succès.
A ce sujet, vous venez de participer à la rencontre du Comité national de crédit que la BCEAO consacre à une sorte de revue de la situation économique. Quels enseignements peut en tirer le secteur bancaire que vous avez l’honneur de représenter au nom de son groupement professionnel ?
Nous venons effectivement de participer, le 14 septembre 2015, à la troisième réunion trimestrielle du Comité National de Crédit du Mali. Les thèmes portaient essentiellement sur la situation économique, financière et monétaire de l’UEMOA et du Mali, sur la stratégie de financement des Petites et Moyennes entreprises, sur l’évolution de l’activité d’émission de la monnaie électronique, sur la création d’un fonds de garantie des dépôts de l’UMOA etc…
Ces réunions auxquelles participent différentes catégories socio- professionnelles y compris les associations des consommateurs et des Professeurs d’Université, constituent un cadre d’échange, de concertation et de débat sur l’actualité économique, financière et monétaire de l’UEMOA et du Mali. Elles révèlent bien que les banques sont largement concertées pour toutes les questions économiques d’importance majeure. Elles confirment aussi le rôle prépondérant des banques dans le renforcement de la croissance économique durable du Mali et la nécessité d’une bonne coordination des stratégies et actions entre l’Etat, les Autorités monétaires et les établissements de crédit.
Au cours de cette réunion, nous avons noté que l’économie du Mali se porte plutôt bien et que la croissance attendue en 2015 revue, de l’ordre de 5%, est porteuse d’espoir pour le secteur bancaire.
Pourtant, il arrive que l’on fasse un mauvais procès aux banques en les accusant de ne pas suffisamment accompagner les entreprises. Que répondez-vous exactement ?
Les banques fournissent aux entreprises différentes formes de crédits, de services, des conseils en tant que professionnels et investissent dans la célérité des opérations financières. Elles sont soumises à des contraintes réglementaires et prudentielles spécifiques visant à garantir les déposants au-delà des contraintes classiques de rentabilité et de pérennité de l’exploitation. Les banques ont donc intérêt, par vocation, à prendre des risques qu’elles rémunèrent par des taux d’intérêt et des commissions. Elles doivent donc s’assurer de la bonne appréciation et de la bonne maîtrise des risques : secteur sinistré ou non, secteur à fort potentiel ou non, matières premières (intrants) disponibles, bons procédés de fabrication et de gestion (personnel, équipement et organisation de la production), marché existant pour les produits finis, bonne analyse de la concurrence, entreprise en création, en restructuration ou en croissance, environnement stable ou instable.
Les banques prennent donc en compte une panoplie d’informations afin de minimiser le risque, de développer leurs activités et d’assurer leur équilibre d’exploitation.
Afin de satisfaire au maximum leurs clients, elles redoublent d’imagination et animent plusieurs cadres de concertation comme le Conseil National du Crédit avec l’Etat et les Autorités monétaires. Des pistes de solutions comme le capital-risque, le capital-investissement, les fonds de garanties, l’adoption de mesures administratives, réglementaires et fiscales sont régulièrement envisagées.
Les banques financent la croissance économique à travers tous les secteurs (agriculture, industries, commerce, communication et technologie), tous les types de clients (particuliers, entreprises, PME/PMI, Institutionnels) et sous toutes les formes. Les besoins sont certes énormes, et, beaucoup restent encore à faire. Il faut simplement éviter de tomber dans les travers causés par des bulles liées à la surchauffe financière comme ce fut le cas aux Etats Unis en 2008 ou en Grèce en 2015.
Je signale qu’au 30 juin 2015, les emplois bancaires ont atteint 2.791 milliards de FCFA.
Monsieur le Président, on a beaucoup parlé cette année de la restructuration du secteur bancaire et il a été aussi question d’apporter des réformes en matière de gouvernance bancaire. De quoi s’agit-il en réalité ?
La restructuration du secteur bancaire recouvre un ensemble de mesures issues de décisions de politiques économiques et de contraintes réglementaires visant à modifier l’organisation, les méthodes et les principes de la profession bancaire. Aujourd’hui, nous faisons face à quelques mesures visant à renforcer la structure financière des établissements de crédit (exemple : capital social minimum cité plus haut) et à promouvoir le financement des secteurs à forte valeur ajoutée sociale. Du coup, les banques qui rencontrent aujourd’hui quelques difficultés, se trouveront plus robustes dans un ensemble assez homogène.
La réforme du secteur bancaire en matière de gouvernance concerne tous les aspects liés au bon fonctionnement des organes dirigeants des banques. Il s’agit de s’assurer d’abord de l’existence des différents organes d’administration, de gestion et de contrôle au sein des banques tels qu’une assemblée générale des actionnaires, un conseil d’administration, différents comités comme les comités d’audit, de rémunération, une direction générale (PDG et DGA/ SEGAL ou PCA, DG et DGA/SEGAL). Il faut ensuite s’assurer du bon fonctionnement et de la transparence des informations fournies qualitativement et quantitativement. Les règlements de la Commission Bancaire tendent à rechercher une plus grande transparence et une plus grande indépendance pour une plus grande responsabilisation des organes d’administration, de direction et de contrôle dans toutes les chaînes de décision. Il est retenu que l’une des pistes pour atteindre cela est la séparation des fonctions de PDG en PCA et DG. De toutes les entreprises privées ou publiques, les banques sont les plus contrôlées et surveillées à travers des états quotidiens, hebdomadaires, mensuels, trimestriels, semestriels et annuels. Ce qui est normal à partir du moment où elles travaillent avec l’argent des autres. En outre, les organes de contrôle et de supervision de l’activité bancaire sont multiples et diversifiés : les départements d’Audit, de Contrôle ou d’Inspection en interne des banques, les Commissaires aux Comptes, les Auditeurs Externes, l’Inspection des Finances, la Commission Bancaire pour les contrôles externes.
Récemment, Monsieur le Président, on a vu votre organisation professionnelle, l’APBEF, signer un accord avec l’UNTM, en ce qui concerne des augmentations de salaires du personnel des banques et établissements financiers. Qu’en est-il exactement ?
Les travailleurs des banques et assurances sont régis par une convention collective. Cette convention fait l’objet de relecture tous les trois ans. La dernière relecture est celle signée en 2015 et qui couvre la période 2015-2017.
En ma qualité de Président de l’APBEF, je suis à ma troisième convention négociée avec succès avec les syndicats. C’est pourquoi, je voudrais présenter mes sincères remerciements et exprimer ma très profonde gratitude aux syndicats des banques et établissements financiers : Syndicat National des Banques et Etablissements Financiers (SYNABEF) et Fédération Nationale du Pétrole, du Commerce, des Assurances et des Banques (FENPCAB) pour l’esprit de collaboration et de grande compréhension dont ils ont fait preuve lors des négociations des différentes conventions.
Ce comportement responsable a permis de conclure les négociations dans les meilleurs délais et dans un esprit de compromis mutuellement avantageux pour les travailleurs et les dirigeants des Banques, Etablissements Financiers et des Assurances.
Le dialogue social fondé sur la concertation, la coopération et le respect mutuel demeure un puissant instrument de gestion des relations interprofessionnelles.
L’APBEF réitère sa totale et entière disponibilité à œuvrer pour la promotion et le développement du secteur bancaire et financier de notre pays dans une dynamique de partenariat et de consensus avec les représentations syndicales.
Globalement, sur la période 2015-2017, une augmentation de salaire de 15% a été octroyée au personnel des établissements de crédit et des assurances.
Et pour le mot de la fin, quel message avez-vous à lancer en direction du public et des autorités nationales ?
Le Mali est dans une très bonne dynamique économique qu’il faut suivre et entretenir. Les banques ont un rôle crucial dans la croissance économique durable et inclusive. Elles sont totalement mobilisées pour relever les défis auxquels le pays est confronté. C’est une question de responsabilité historique et elles ne failliront pas incha allah.
Entretien réalisé par Amadou Bamba NIANG