Mali, la nouvelle ruée vers l’or

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Traditionnellement, ce sont les femmes, courbées en deux, qui lavent le sable aurifère dans les eaux boueuses de la rivière. Crédits photo : Stephen Dock / Agence VU
Traditionnellement, ce sont les femmes, courbées en deux, qui lavent le sable aurifère dans les eaux boueuses de la rivière. Crédits photo : Stephen Dock / Agence VU

VIDÉO – Alors que la guerre fait rage dans le nord du Mali, chaque jour à Kéniéba, dans le sud-ouest du pays, des milliers de chercheurs d’or creusent inlassablement la terre pour échapper à la misère et trouver le filon qui les rendra riches. Un rêve dans un paysage de cauchemar.

Àla force des bras, Hamidou remonte lentement de la profonde tranchée qu’il vient de creuser pendant des heures. Les gestes sont lents. Le poids de la fatigue, toujours plus lourd. Sur son visage couvert de poussière, les traits sont tirés. Les muscles de ses mains sont presque tétanisés.

 

À la force des bras, ce mineur se prépare à descendre au fond du puits.
Dans la fournaise, par une température de plus de 45 °C, de 7 heures à 18 heures, il aura foré la terre sans presque s’arrêter, comme possédé par la fièvre de l’or.

Comme lui, des milliers de mineurs venus de tout le pays transforment chaque jour la région aurifère de Kéniéba, à environ 400 kilomètres de Bamako, dans le sud-ouest du Mali, non loin de la frontière avec le Sénégal, en une gigantesque termitière à ciel ouvert. À perte de vue s’étend un enchevêtrement de galeries compliquées, qui sont autant de saignées dans la terre aride.

Au fond de ces mines, les hommes triment sans relâche, l’espoir au coeur. L’or est partout. Ils le savent, ils le sentent. C’est plus fort qu’eux. Cette fois, c’est certain. Le filon est là, juste sous leurs pieds. Il les attend et fera d’eux des hommes riches. Immensément riches. Adieu la misère des faubourgs de Bamako, les dangers du nord du pays et la guerre civile contre les islamistes qui les a jetés sur les routes.

Dans la ville minière, on refait le monde et l’on oublie la misère

 

À plus de 10 m de profondeur, le mineur monte un à un les seaux de terre.Le regard un peu perdu, ébloui par le lourd soleil de cette fin de journée, Hamidou lui aussi veut y croire. À quelques mètres à peine de sa mine, un jeune, presque un enfant, venu du Burkina Faso voisin a eu de la chance le mois dernier. Il a trouvé de la poussière d’or. Une vingtaine de grammes dans la journée. Une fortune! Demain, c’est sûr, ce sera son tour.

En attendant, il va rejoindre ses camarades dans un des campements de fortune de Kéniéba pour se reposer un peu et se rafraîchir. Formé de quelques cases construites en toile, en bois et en tôle ondulée récupérés ici ou là, son logement n’est situé qu’à quelques centaines de mètres de la mine.

Il va y dormir quelques heures avant d’aller boire une bière dans un des nombreux «maquis» de la ville minière. Un bar crasseux où, sous les néons, dans le fracas du R’n’B, les hommes s’oublient dans l’ivresse et, parfois, dans les bras des prostituées nigérianes qui trustent ici le marché de l’amour facile.

À peine majeurs, ils ont arrêté leurs études

Accoudé à la table, un couvercle de bidon d’essence soudé à une bielle hors d’usage, il a retrouvé ses amis, Abdou, Moussa, Oumar et Ousmane. Tous ont quitté leur famille pour venir ici tenter leur chance. Cela fait sept mois qu’ils creusent. Leur parcours est le même que la plupart des mineurs. Arrivés en bus depuis Bamako, ils ont mutualisé les frais. À peine majeurs, ils ont arrêté leurs études et ont préféré rejoindre la mine «pour aider leurs proches». Moussa, lui, travaillait avec les touristes. Mais les événements du Nord et le récit des exactions des islamistes ont fait fuir les étrangers. Sans travail, il est devenu mineur.

La guerre et la peur de voir le Mali s’enfoncer dans la violence plombent l’atmosphère du camp. Mais, comme chaque soir, les cinq amis vont refaire le monde et se raconter la même histoire qui se raconte partout, de Bamako à Mopti en passant par les routes qui mènent à Kéniéba. Celle de cet homme de la banlieue de la capitale arrivé en bus à la mine et reparti le soir même avec 2 kilos d’or. Une fable bien sûr, mais qui leur donne encore et toujours de l’espoir. Dans cette ville née de la folie des hommes pour l’or, les rôles sont bien définis. Et derrière l’apparent chaos, le travail minier est parfaitement organisé et le circuit de l’or strictement balisé.

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Dans sa main, une richesse. Une fois refroidi, l'or de kéniéba est souvent revendu en plaquettes.Au milieu des campements des mineurs, les boutiques de «quincaillerie et divers» poussent comme des champignons. Autour de la rue principale, des ruelles partent à droite et à gauche. Partout, une activité intense règne. Cette zone d’orpaillage est connue depuis des siècles, mais c’est la première fois qu’elle est exploitée industriellement.

Si les emplacements de certains filons se transmettent de bouche à oreille, les mineurs utilisent désormais des détecteurs de métaux achetés à Bamako ou loués à un tiers contre un pourcentage de l’or découvert. Dès que le détecteur sonne, le prospecteur commence à creuser. Puis il repasse avec l’engin au-dessus de la cavité. S’il sonne encore, on creusera de nouveau. Sinon, on ira voir plus loin.

Du mercure qui empoisonne l’eau de Kéniéba

Dans tous les cas, la fine poussière sera mélangée à de l’eau, puis tamisée. Pour suivre un filon, les mineurs peuvent forer la terre jusqu’à plus de 20 mètres de profondeur, se glissant entre des parois mal étayées qui, parfois, ne font pas plus de 40 centimètres de large. Au risque d’être ensevelis sous des gravats et de mourir écrasés dans ce piège mortel. Chaque jour, ce sont des centaines de kilos de terre qui sont remontés et transportés à dos d’homme dans des sacs de toile vers la zone de concassage. Pour chaque sac, les mineurs reçoivent 500 francs CFA, soit 0,76 euro. Ceux qui creusent sont ceux qui portent les sacs. Ici, c’est la règle. Certains ont acheté leur terrain, d’autres, plus pauvres, louent leurs bras.

 

À Kéniéba, le moindre espace disponible est occupé par les mineurs.
Au concassage, la terre est lavée, puis tamisée en quête de la moindre poussière brillante. L’eau est puisée dans la rivière à l’aide de pompes hydrauliques. Tout autour de la zone de concassage, les femmes manient le tamis avec dextérité. Dans l’eau boueuse, en plein soleil, elles rincent l’argile et les cailloux broyés par la concasseuse, leur dernier-né sur le dos. Tout le monde est mobilisé. L’or commande. Le minerai est broyé puis filtré jusqu’à obtenir une poudre aussi fine que de la farine. Elle passe ensuite sur une sorte de toboggan dont les paliers de bois sont souvent recouverts de morceaux de moquette. L’or, encore mélangé à une terre boueuse, s’y colle.

Placée dans des batées coniques, cette soupe épaisse est l’ultime étape avant la séparation définitive de l’or. Celui ou celle qui manipule la batée fait tournoyer l’eau et le minerai qu’elle contient, tout en laissant échapper, par le bord supérieur, la part la plus légère. Soudain, de minuscules paillettes jaunes apparaissent. Certains déposent une goutte de mercure, ce métal toxique qui amalgame l’or, mais qui empoisonne l’eau de Kéniéba, pour permettre sa récupération finale.

L’or est revendu à des acheteurs d’Europe ou du Moyen-Orient

 

À Bamako, sur le bureau de ce grand marchand, plus de 20.000 euros d'or passent de main en main.Quand un mineur, heureux, découvre de l’or, il le revend sur place à des petits négociants qui fournissent des intermédiaires ou rentre à Bamako pour le proposer à un acheteur des maisons de négoce de la ville, qui rachètent l’or en fonction des variations quotidiennes du prix du marché international (actuellement, un gramme d’or 18 carats, ce qui correspond à environ 75 % d’or pur, peut s’échanger jusqu’à 40 euros).

Dans les ateliers, la poussière et les pépites sont ensuite fondues en fines plaquettes, puis revendues à des acheteurs étrangers venus principalement d’Europe ou du Moyen-Orient. Mais une importante quantité de métal précieux alimente aussi le marché de la bijouterie locale. En fin de journée, il n’est pas rare de trouver l’équivalent de 20.000 euros en plaquettes sur le bureau d’un de ces nouveaux barons de l’or. Protégés par des gardes du corps – dont certains font partie de l’armée malienne -, ils profitent de la flambée mondiale des cours et de la crise politique que traverse le Mali pour s’enrichir.

20.000 enfants travailleraient actuellement

Les autorités du pays semblent en outre dépassées par l’ampleur de la ruée anarchique des populations vers les sites d’orpaillage. Selon l’ONG Human Rights Watch, au moins 20.000 enfants travailleraient actuellement «dans des conditions extrêmement dures et dangereuses» dans les mines d’or artisanales du pays. «Ces enfants mettent littéralement leur vie en péril, assure l’ONG. Ils portent des charges plus lourdes qu’eux, descendent dans des puits instables, touchent et inhalent du mercure, l’une des substances les plus toxiques».

Pourtant, la législation malienne interdit le travail dans les mines et l’utilisation du mercure à toute personne âgée de moins de 18 ans. Mais l’or a changé la donne… Selon les chiffres obtenus par Human Rights Watch auprès du ministère malien des Mines, la quantité d’or artisanal exportée chaque année s’élève à environ 4 tonnes, soit une valeur approximative de 168 millions d’euros. Une manne qui attire toutes les convoitises dans un pays au bord de l’implosion et devenu en quelques années le troisième plus grand producteur d’or d’Afrique, derrière l’Afrique du Sud et le Ghana…-

 

lefigaro.fr/

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