Pour ce 5ème numéro de son émission «Le Grand Débat économique», l’Association «Forum de la Presse du Mali» a confronté deux regards, deux approches, deux styles : le ministre des Mines, Dr. Boubou Cissé, face au Pr. Abdoulaye Niang, chercheur, auteur de plusieurs travaux de recherche sur les mines au Mali. Deux heures contradictoires, parfois houleuses, mais instructives autour de la problématique de la place de l’or dans l’économie du Mali. Décryptage.
Ce débat, qui a ainsi eu lieu le samedi 14 novembre à la Chambre de commerce et d’industrie du Mali, a opposé le ministre des Mines, Dr. Boubou Cissé, au Pr. Abdoulaye Niang, universitaire, directeur du Centre de recherche et d’études stratégique «Sènè». Un exercice contradictoire de deux heures, avec parfois des mots durs, mais dans un climat courtois. Le débat franc et direct aura eu le mérite d’éclairer la lanterne des journalistes, étudiants, chercheurs et autres invités sur une question aussi problématique.
D’entrée de jeu, le ministre des Mines s’est félicité des potentialités du secteur minier malien. Selon Boubou Cissé, notre pays comptabilise à ce jour une dizaine de mines d’or réparties entre les régions de Kayes, Koulikoro et Sikasso. Ces mines, explique le ministre de tutelle, ont une capacité de production de 45 à 50 tonnes par an, faisant du Mali le 3ème pays producteur d’or en Afrique et le 1er dans la sous-région. Si deux mines vont bientôt fermer, le ministre annonce que plus de 600 titres miniers sont attribués. En plus des recettes fiscales générées, cette production d’or a «un grand impact sur le développement du pays», notamment en emplois créés. «Aujourd’hui, plus de 17.000 emplois ont été créés grâce aux mines. Aussi, la contribution des sociétés minières dans le développement des collectivités est d’un apport non négligeable», s’est réjoui le ministre des Mines.
Mais ce tableau est loin d’être partagé par le Pr. Abdoulaye Niang. «Si la dizaine de mines constitue un réel potentiel pour le Mali, son impact est très négligeable dans le développement humain durable», analyse l’universitaire.
L’or du Mali est victime de mauvaise gouvernance
Dans un tableau réalisé par son centre de recherche (Sènè) et présenté au cours de ce débat, l’universitaire conclut que la part d’actions du Mali dans le capital d’investissement est «très insignifiante». Fixée à 20%, cette part peut être ramenée à 45%, soutient le chercheur, qui préconise «une forte capacité de rétention des richesses en faveur des populations maliennes». Pour le Pr. Abdoulaye Niang, le potentiel minier dont regorge le Mali peut sortir le pays de la crise globale et sécuritaire. Mais aussi, améliorer la position du Mali dans le classement des pays les plus pauvres de la planète». «Il est inadmissible que Kéniéba, qui est une zone aurifère, manque aujourd’hui d’eau potable, d’écoles, de structures de santé adéquates et de routes», déplore le Pr. Niang, qui dénonce un système de mauvaise gouvernance au sommet de l’Etat. La dépossession des agriculteurs de terres au profit des sociétés d’exploitation sans compensation, le sous-emploi, l’absence de perspectives réelles de développement humain durable sont, selon lui, autant de faits qui permettent de conclure que l’or ne profite pas aux Maliens.
Pour le directeur du centre de recherche «Sènè», la gouvernance du secteur de l’or est faite de telle sorte que le Mali ne contrôle pas sa production. «Pour que l’impact de l’exploitation de l’or sur les communautés des localités soit visible, il faut une réelle volonté politique», tranche Pr. Niang. Celle-ci passe, selon lui, par la renégociation des contrats miniers, le réajustement du Code minier prenant en compte les préoccupations des communautés…
Reprenant la parole, le ministre des Mines a balayé d’un revers de la main ce tableau, reconnaissant toutefois que «des efforts importants restent à faire». D’où, l’annonce du ministre de la relecture du Code et l’audit des contrats miniers. Ce chantier, explique Boubou Cissé, est mené par «les bureaux d’études les plus crédibles au monde». Il vise, selon lui, à adapter le Code minier aux nouveaux enjeux». Car, regrette-t-il, la dernière lecture de notre Code minier date de 1991.
Le Pr. Abdoulaye Niang déplore que ce chantier d’audit des contrats miniers et de relecture du Code se fasse sans l’implication des bureaux de recherches maliens. L’universitaire craint en effet un nouveau Code minier taillé sur mesure, toujours au service des sociétés étrangères.
Ce 5ème numéro de «Grand Débat économique» a été aussi l’occasion pour le ministre des Mines d’annoncer de bonnes perspectives pour le secteur minier malien. Cela, malgré le contexte tendu du marché. Boubou Cissé a annoncé l’ouverture d’une nouvelle mine d’or en fin 2017. La mine de Fakola qui sera, selon lui, l’une des plus grosses mines du Mali en capacité de production et qui sera dirigée par une société canadienne pour une durée de 10 à 12 ans. Pour le ministre des mines, il s’agit d’une opportunité économique pour le Mali.
Le 5ème numéro de «Grand Débat économique» sur les mines intervient alors que le Mali s’apprête à organiser les 6èmes Journées minières. Celles-ci, explique Boubou Cissé, constituent un cadre de rencontre et d’échanges entre les professionnels du secteur minier. Elles seront l’occasion pour les acteurs de réfléchir sur les stratégies pour accroître la production minière au Mali.
Tony CAMARA
Journaldupeuple.com