Ce lundi matin (14 juillet 2014), à l’arrivée des journalistes, le camp de la société minière AGG (African Gold Group Inc.), dans la zone de Khobada (commune rurale de Kangaba), ressemblait beaucoup plus à un champ de guerre qu’à un site de vie pour la prospection minière. Des gendarmes lourdement armés y sont maintenant positionnés. «Le médecin après la mort», commente un confrère. Sur place, dans un décor de désolation, plus d’une dizaine de tentes brûlées. Même sort réservé à des magasins de stocks de vivres et de matériels, des bureaux, des climatiseurs, des motos, des véhicules, de puissants générateurs, des sacs d’échantillons, des ordinateurs, des congélateurs, des couverts… Même l’infirmerie, pourtant ouverte aux populations locales pour des soins gratuits, n’a pas été épargnée.
«No comment», ose l’un des visiteurs du jour. À près de 400 m du camp de vie, les responsables d’AGG font découvrir à la dizaine de journalistes ce qui reste de la sondeuse spécialisée dont le coût est évalué à 425 millions de Fcfa (800 000 dollars US). «Une pièce rare puisqu’il n’en existe qu’une dizaine dans le monde», s’attriste Pierre Lalande, directeur, conseiller et actionnaire de la société victime de ces actes de vandalisme.
De l’autre côté, juste avant la «Base de vie» (camp), il reste aussi peu de choses de l’usine pilote et du générateur qui l’alimente. À ce niveau, la perte est estimée à 170 millions de Fcfa pour la seule usine pilote.
«Ici, le 3 juillet dernier, une foule d’orpailleurs illégaux se sont attaqués aux gendarmes et ont saccagé nos immenses investissements de prospection… Ainsi, en plus du camp et de nos équipements ultrasophistiqués, les résultats de deux mois d’intenses travaux sont aussi partis en fumée», raconte M. Lalande. Selon lui, tout serait parti de l’application d’une récente décision du gouvernement. En effet, l’arrêté interministériel du 6 juin 2014 exige la fermeture de tous les sites d’orpaillage pendant l’hivernage, précisément du 15 mai au 31 octobre de chaque année. Et c’est une mission de contrôle de cette directive qui a servi de prétexte aux «orpailleurs» (???) de Khobada pour s’attaquer aux investissements d’AGG.
Déjà, les 1er et 2 juillet, il y a avait eu des échauffourées qui s’étaient traduits par l’arrestation de six orpailleurs. Et le 3 juillet, sentant que la situation était explosive, les gendarmes ont conseillé au directeur d’évacuer les lieux. «Nous avons quitté vers 9h30 et quelques minutes après le camp a été attaqué par les orpailleurs qui n’ont rien épargné», explique Pierre, pour qui les affrontements entre gendarmes et orpailleurs ont duré au moins 3 heures. Il a fallu l’arrivée des renforts pour que les vandales se dispersent dans la nature. À la date du 14 juillet 2014, les premières estimations de la société et du ministère des Mines faisaient état de près de 1,5 milliard de Fcfa de pertes matérielles. Pis, on déplorait deux morts (un gendarme et un orpailleur), 14 blessés, dont 9 gendarmes touchés par balles. Et 94 personnes avaient été déjà interpellées dans cette affaire.
Menaces sur les investissements du secteur minier
Du côté du Département de tutelle (ministère des Mines), la révolte côtoie l’incompréhension. Et cela d’autant plus «que nous étions presque arrivés à un arrangement entre les orpailleurs et l’AGG qui était disposée à accorder à ces derniers des couloirs sur son périmètre dès la fin de la période d’hivernage», explique Lieutenant-colonel Amadou Konaté, Haut fonctionnaire de Défense au ministère des Mines. Une information confirmée par M. Sékou Konaté, représentant d’AGG au Mali et qui a organisé la mini-caravane de presse.
Des «actes barbares» dont «l’impact sur les investissements dans le secteur des mines au Mali peut-être très préjudiciable», craint Almahady Cissé, responsable de communication du Département des Mines.
Après dix ans de prospection, AGG prévoyait le début de l’exploitation minière vers fin 2015 avec un investissement estimé à près de 25 milliards de Fcfa. «Mais cela est remis aujourd’hui en cause. En effet, même si les prélèvements sont protégés à 80 %, il faudra trouver vraiment des arguments solides pour convaincre des investisseurs à s’engager après ce qui vient de se passer. Il faudra aussi et surtout que les autorités maliennes puissent donner des garanties sûres pour les convaincre que leurs investissements sont sécurisés sur le territoire», s’inquiète M. Lalande.
En dix ans, cette société minière canadienne a investi près de 20 milliards de Fcfa et créé environ 500 emplois dans les activités de prospection sur son titre qui couvre 215 Km2. Un territoire convoité aussi par des orpailleurs.
Une sécurité inefficace face à une horde de vandales venus d’ailleurs
En dehors des personnes arrêtées dans cette affaire, AGG envisage-t-elle de poursuivre le gouvernement du Mali ? «Seuls nos conseillers juridiques peuvent décider s’il y a lieu de donner une suite judiciaire à ces actes. Mais, personnellement, je pense que les autorités maliennes ont tout fait pour assurer notre sécurité. Malheureusement, cela n’a pas suffi», répond Pierre Lalande.
Pour les responsables d’AGG présents sur place, «si les meneurs des actes de vandalisme étaient des Maliens, 80 % de ceux qui ont saccagé nos installations étaient des étrangers». En effet, selon de nombreux témoignages, les orpailleurs dans la zone sont constitués essentiellement de Guinéens, de Burkinabè, de Nigérians… «Quand nous commencions l’exploration sur notre périmètre en 2004, les orpailleurs étaient une poignée et essentiellement des habitants de la zone. Mais, de 2012 à nos jours, leur nombre n’a cessé de grossir atteignant aujourd’hui près de 30 000, majoritairement des étrangers», souligne M. Sékou Konaté, représentant d’AGG au Mali.
«L’exploitation artisanale de l’or, qui est supposée avoir un impact direct sur les économies des zones minières, se développe de manière informelle et anarchique, malgré les dispositions pertinentes prévues par le code minier de 2012. Ce sous-secteur occupe de nos jours des centaines de milliers d’acteurs nationaux et étrangers dont les activités sont au cœur de nombreuses controverses», avait déclaré le ministre malien des Mines, M. Boubou Cissé, lors d’un point de presse animé le 9 juillet dernier.
Aujourd’hui, il revient donc au gouvernement de prendre des mesures rigoureuses, surtout courageuses, pour assainir ce sous-secteur afin qu’il n’hypothèque pas des ressources budgétaires vitales au Mali.
En effet, en 2012, l’or représentait 80 % des recettes d’exportation du Mali. Les statistiques précisent que, avec une production moyenne de 50 tonnes d’or par an, le secteur emploie près de douze mille travailleurs.
Moussa BOLLY
Envoyé spécial